RAF/RADI, un bilan fructueux

Les RAF (Rencontres Animation Formation), qui fêtent leur dixième édition, et les RADI (Rencontres Animation Développement Innovation) continuent à questionner toutes les dimensions de la filière animation...
1_rafradi17.jpg

 

Elles font salle comble (plus de 340 professionnels en 2018) et débordent souvent sur leurs horaires impartis. Organisées par le Pôle Image Magelis (avec le CNC, le SPFA, la CPNEF Audiovisuel, l’Afdas, Audiens et la Ficam) et orchestrées par René Broca, les dynamiques rencontres professionnelles de l’animation (14, 15 et 16 novembre 2018 à Angoulême) ont su mettre en pratique les « vertus du débat public » en mettant face à face les professionnels de l’animation, les écoles, les institutions et les organisations syndicales. Leur bilan est flatteur.

Les chiffres de l’animation auscultés à la loupe (Les chiffres du secteur) autorisent des analyses fines du secteur dont la masse salariale a augmenté de manière spectaculaire ; l’étude souhaitée par le public des RAF sur les besoins réels en compétences et en formations des studios a donné lieu à plusieurs initiatives, dont la création d’une certification axée développement/programmation et d’un programme de Préparation opérationnelle à l’emploi (POE) porté par l’Afdas…

 

Pendants techniques des RAF, les RADI ne sont pas en reste. Ils ont su encourager les studios à exposer leurs pipelines de production de série ou de long-métrage, ainsi que leur logique de fabrication, voire leur R&D. Cette année, ce sont Cube Creative, Fortiche Prod, 2 Minutes, Tu Nous ZA Pas Vus Productions et TeamTO qui se sont prêtés au jeu. Sans oublier au passage de s’attarder sur des outils logiciels innovants qui font toujours l’objet de présentations très denses par leurs auteurs eux-mêmes.

Pour sa dernière édition, René Broca a tenu à mettre particulièrement en avant les TD (technical directors), la greffe réussie des logiciels libres avec un retour d’expérience probant, et à saluer l’ouverture de nouvelles écoles d’animation (preuve de la vitalité du secteur)… Autant de points forts qui ont relégué, temporairement, les inquiétudes des professionnels du secteur de l’animation face à la réforme de l’audiovisuel public qui sera mise en place courant 2020 (fermeture de France 4).

 

 

Focus sur les TD

Parmi la vingtaine de métiers aujourd’hui identifiés dans le secteur de l’animation et des VFX, les TD souffrent d’un déficit de reconnaissance. Interfaces entre les développeurs et les graphistes, ils sont pourtant les garants de toute chaîne de fabrication produisant du volume (long-métrage, série) dont les exigences de qualité et de productivité se montrent de plus en plus élevées. Avoir un suivi du projet à chaque étape et automatiser les tâches à faible valeur ajoutée artistique est devenu primordial.

« On ne s’autorise pas en France à parler de pipeline de production (organisation technique, workflow, solutions techniques trouvées…) comme s’il s’agissait d’un sujet tabou », rappelle le directeur technique Flavio Pérez (Les Fées Spéciales). « Cela ne facilite pas la connaissance de notre métier auprès des futurs professionnels et explique en partie la difficulté des studios d’animation et de VFX à embaucher des TD et des ingénieurs pour la R&D. »

 

Menée par Flavio Pérez, la table ronde Vous avez dit pipeline ?, qui réunissait Étienne Pêcheux (chef TD chez Illumination MacGuff) et Alexis Casas (Siggraph) et faisait suite à celle de l’an dernier, revenait sur l’intérêt à partager voire mutualiser certaines briques technologiques. Elle présentait également le groupe de travail Le Pipeline mis en place dans la foulée des RADI 2017, ainsi que la plate-forme lepipeline.org issue de leurs réflexions. Celle-ci prend soin d’inclure un glossaire des termes techniques qui, parfois, prêtent à confusion (assets, dataflow, workflow, etc.), et revient utilement sur la définition des métiers de la 3D, des postes et des tâches.

La plate-forme va surtout plus loin en évaluant les solutions commerciales d’Asset Manager, l’outil incontournable du pipeline, en précisant les formations de TD, considéré plus ici comme « un métier d’expérience » qu’un savoir théorique… Outre proposer à l’analyse des « postmortem » de productions (comptes-rendus), la plate-forme se propose de mettre en ligne, dans l’esprit de la communauté du logiciel libre, certaines briques logicielles et de constituer, à terme, des bonnes pratiques. « Il y a un besoin commun et urgent de communiquer et partager des expériences », écrit pour sa part Flavio Pérez dans le blog lepipeline.

Preuve que les échanges menés lors de l’édition 2017 ont porté leurs fruits, la branche professionnelle CPNEF Audiovisuel (Commission paritaire nationale emploi formation) vient de mettre en place un certificat de qualification professionnelle (CQP) expert technique. Résultant d’une étude conduite auprès des studios d’animation, celui-ci détermine le socle des compétences nécessaires au métier de TD et offre aux élèves ingénieurs une passerelle privilégiée vers ce secteur d’activité.

 

Lors de sa présentation aux RADI, le CQP, qui correspond à une formation de 400 heures en alternance, a reçu des marques d’intérêt de la part du réseau des écoles du Reca et d’ArtFX. Pour Ségolène Dupont (CPNEF Audiovisuel), le CQP peut se présenter sous la forme d’une formation en situation de travail (FEST) équivalente à du compagnonnage. Pour le CPNEF, la mise en place pourrait se faire au premier trimestre 2019.

 

 

Le libre profite à la série

À chaque édition, les RADI ne manquent jamais de mettre en avant des outils logiciels innovants (cette année, Kabaret et Golaem) et d’introduire de nouvelles méthodes prometteuses comme le plug-in open source MNPR (Maya Non Photorealistic Rendering) de rendu stylisé en temps réel pour Maya, développé par le LaBRI avec des chercheurs d’Inria Grenoble et de la Nanyang Technological University à Singapour.

Les RADI aiment également à revenir sur quelques cas pratiques. Cette année encore, les logiciels libres, qui se fraient une place de plus en plus importante dans les pipelines des studios, se retrouvent sur la sellette. Quelle place leur accorde la R&D ? Quel type de pipeline imposent-ils ?

 

Produite par Technicolor Animation Productions et fabriquée par Tu Nous ZA Pas Vus Productions*, la série télévisuelle 3D à fort volume, TeamDroniX (26 fois 22 minutes), témoigne d’une « reconversion » réussie vers le logiciel libre. Ouvert à Arles il y a neuf ans par Mathieu Rey, Thomas Giusiano et Marc Rius, ce studio a « basculé » vers le logiciel libre en 2017 : « Notre pipeline de fabrication était basé sur 3ds Max et Maya, décrit Mathieu Rey. Lorsque Blender est devenu opérationnel en production (à partir de la version 2.79), nous avons arrêté nos licences 3ds Max et Maya, et nous avons migré sur Linux. Du coup, notre pipe s’est grandement simplifié : il repose désormais sur Blender, Krita (à la place de Photoshop), le logiciel de suivi de production Kitsu (CG-Wire), FFmpeg pour encoder les vidéos… »

C’est ce pipe de production qui est utilisé sur la série TeamDroniX (réalisation Franck Michel et David Faure) pour laquelle Tu Nous ZA pas Vus Productions fabrique les nombreux assets 3D (une centaine de personnages, drones, etc.) en modélisation, rigging, texturing et animation. Ce pipeline est partagé, « à la virgule près », par Mikros Image (Technicolor) qui se charge des nombreux décors et « props », tandis que Malil’Art (Angoulême) effectue le compositing et les animations 2D (VFX).

 

Pour faciliter la communication entre les studios (Mikros travaille sur Shotgun), ont été développés en partenariat des nouveaux modules sur l’asset manager maison de Tu Nous ZA Pas Vus Productions, ainsi que des nouveaux outils open source : « Ces fonctionnalités étaient essentielles pour la série, mais n’existaient pas encore dans Blender, poursuit Mathieu Rey. Ainsi, pour le rendu sur Guerilla Render, nous avions besoin de réassigner automatiquement les textures aux personnages et de transporter les customs attributes. Second développement indispensable pour une production en multisite aux serveurs d’architecture différente : la création de variables d’environnement dans le filespath de Blender afin de faciliter l’échange des fichiers. »

À défaut d’être portées dans la nouvelle version de Blender, ces nouvelles fonctionnalités sont mises au fur et à mesure à la disposition des autres studios qui peuvent ainsi les mettre en production chez eux : « Le libre induit un nouvel état d’esprit et une nouvelle manière de collaborer entre les studios. Nous échangeons ainsi plus facilement avec ceux qui se sont équipés en même temps que nous, comme Cube Creative par exemple. »

 

 

Écoles, les nouvelles venues

À l’origine du Reca (Réseau des écoles françaises de cinéma d’animation), René Broca tenait à saluer la création récente de deux nouvelles écoles, l’ENSI à Avignon et VFX Workshop à Paris, et à revenir sur le contexte de leur ouverture. La plus inattendue est celle de l’ENSI. L’éviction brutale en janvier 2017 de Julien Deparis, directeur de l’école Mopa à Arles (anciennement Supinfocom), par la Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles avait suscité de très vives réactions de la part de l’équipe pédagogique, des étudiants et de leurs parents. Après avoir créé un comité de soutien, ceux-ci se sont réunis en comités de pilotage et ont réussi à persuader le directeur d’ouvrir une nouvelle école d’animation 3D afin de garantir aux élèves une continuité pédagogique et aussi rassurer le milieu professionnel inquiet de l’éventuelle disparition d’une filière renommée.

Ouverte en un temps record à Avignon, l’École des Nouvelles Images (ENSI), qui a repris une grande partie des élèves de Mopa, a été opérationnelle dès la rentrée 2017. Forte de partenariats avec l’Université d’Avignon et l’école ArtFx (Montpellier) ainsi que du soutien de grands noms de l’animation (Illumination Mac Guff, Mikros Image, TeamTO, Cube Creative…), la nouvelle structure (163 étudiants pour 2018) a obtenu le droit de délivrer un diplôme d’État dès sa première année de fonctionnement. Comme Mopa, elle forme en cinq ans aux métiers de l’animation 3D et son cursus, globalement inchangé, s’appuie pour l’essentiel sur l’enseignement de Maya (utilisé par la plupart des studios).

 

Autre aventure réussie, l’ouverture en 2017 de l’école des VFX-Workshop à Paris. Fondée par Renaud Jungmann (à l’origine des formations en animation 2D et 3D et jeu vidéo à LISAA) qui en est le directeur pédagogique, elle a pour but de former, en trois ans, des techniciens spécialistes des effets spéciaux numériques et de la postproduction. L’approche résolument technique de l’image se trouve à la base de cette école qui propose une alternative originale aux formations en animation plus orientées « Art appliqué ». L’école entend être un lieu d’apprentissage où les élèves acquièrent non seulement la connaissance des principaux outils logiciels (3D, motion capture…) mais aussi les principes de workflow spécifiques aux effets spéciaux numériques.

« Nous nous adressons à des élèves ayant une sensibilité à l’image photoréaliste sans forcément avoir des compétences en dessin, précise Renaud Jungmann. Dès la première année, ils apprennent à modéliser en 3D et à expérimenter les logiciels (14 sont accessibles dès la première année). Ils sont très vite amenés à décomposer l’image et à identifier les outils permettant de la produire. » Soutenue par le CNC (Centre national de la cinématographie), la formation, qui délivre le titre de « concepteur-technicien des effets spéciaux numériques », a accueilli sa première promotion en septembre 2017.

 

 

 

LES RAF PASSENT AU CRIBLE LE PLAN ANIMATION LONG-MÉTRAGE DU CNC

Salué par les professionnels présents aux RAF et très attendu par la filière, le nouveau Plan en faveur du long-métrage d’animation (soit une douzaine de mesures) concerne plusieurs directions du CNC (audiovisuel, cinéma, international, innovation vidéo et industries techniques).

Il permettra de mieux accompagner les films d’animation à toutes les étapes, du développement à leur distribution. En amont de la production, le plan prévoit entre autre un renforcement des dispositifs en place, dont l’aide au développement comme la « Passerelle animation ». Un producteur audiovisuel pourra ainsi mobiliser, en amont de la production d’un long-métrage d’animation, son soutien automatique (dans la limite de 40 %). L’aide au pilote sera également revalorisée et plafonnée à 100 000 euros par projet. La phase de production bénéficiera d’un bonus de 50 % du soutien automatique à la production (soit environ 400 000 euros de soutien automatique supplémentaire) et d’une majoration substantielle de 1,5 million d’euros de l’aide sélective à la création visuelle et sonore pour les films à dimension artistique.

 

Enfin, pour favoriser le rayonnement des films d’animation, le CNC élargit l’accès aux aides sélectives pour leur distribution dans l’hexagone. Les distributeurs étrangers d’œuvres françaises pourront également bénéficier d’une aide copilotée par le CNC et Unifrance (augmentation de 300 000 euros de l’enveloppe). Le plan de soutien du CNC (d’un montant de plus de 10 millions d’euros) résulte d’un an de concertation avec les professionnels du secteur de l’animation.

Pour le SPFA, il s’agit là de mesures fortes pour le film d’animation considéré comme le relais de croissance pour le secteur. Ce plan est entré en vigueur en janvier 2019.

 

* Lire à ce sujet « Tu Nous ZA Pas Vus Productions, un studio à Arles »

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.106/108. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


Articles connexes