Lors du Paris Images Digital Summit, le CNC et Audiens présentaient une mise à jour de l’étude entamée il y a trois ans sur l’emploi dans le secteur des effets visuels numériques. Le premier constat de cette étude est positif, puisque cette filière comptait en 2017 près de 4 000 emplois, soit une hausse de 556 emplois par rapport à 2016. L’étude souligne d’ailleurs qu’en dix ans plus de mille emplois ont été créés dans ce secteur, ce qui représente un doublement du nombre d’emplois et une hausse corollaire de 64 % des créations d’entreprises.
Il faut dire que le CNC a mis sur la table depuis 2017 un « plan VFX » qui supporte les œuvres cinématographiques et télévisuelles ambitieuses en matière d’effets visuels numériques, avec des aides passées de 7 millions d’euros en 2016 à 10 millions en 2017. Quinze projets français ont ainsi pu en bénéficier en 2018, dont « L’Empereur de Paris » de Jean-François Richet et « Taxi 5 » de Franck Gastambide.
Les VFX français se structurent, mais…
Toutefois, le constat est plus nuancé quand on s’aventure dans l’épaisseur du trait. Déjà, cinq entreprises seulement concentrent la moitié de la masse salariale du secteur, tandis que les dix premiers studios de VFX concentrent 70 % des salariés. Ces pourcentages étaient de 68 % en 2016 et 65 % en 2015. Si l’on considère le verre à moitié plein, cela signifie que les entreprises leaders du secteur se structurent peu à peu… Cette concentration est aussi géographique puisque 80 % des VFX sont réalisés en Ile-de-France, ce qui représente 95 % de la masse salariale.
Plus étonnant, la part des intermittents (les CDD d’usage) dans les VFX est importante avec 76 % d’emplois intermittents et 23 % d’emplois permanents, mais ce seuil s’abaisse depuis dix ans et la part de ceux-ci est en-dessous de la moyenne de la production audiovisuelle et de l’animation en particulier.
Ce dernier phénomène est à mettre en regard du fait que l’âge moyen des employés dans les VFX est supérieur à celui de la production audiovisuelle et a fortiori de l’animation. À y regarder de plus près, on constate que le nombre de salariés de moins de 30 ans a augmenté depuis 2015 de 12 % tandis que les « plus de 40 ans » ont bondi de +126 % !
Le CNC et Audiens ont également comparé VFX et animation, pour se rendre compte que l’animation représente à elle seule les deux tiers des effectifs des deux secteurs réunis. Plus intéressant, l’animation concentre les trois quarts de la masse salariale quand on compare les deux secteurs, alors qu’elle est la plus grande consommatrice de CDD d’usage avec 90 % de sa masse salariale. En dépit de son fonctionnement en mode projet, l’animation reste donc plus pourvoyeuse d’emplois.
L’international : un plafond de verre pour les studios français
Le secteur des VFX soutient encore moins la comparaison à l’international, là où l’animation française s’exporte bien, le secteur des effets visuels numériques se heurte à un plafond de verre. Et l’abaissement du seuil du crédit d’impôt international fléché sur les VFX n’a pas véritablement changé la donne.
Comme le rappelle Stéphane Bender de Film France : « Après l’annonce de l’abaissement du seuil d’un million d’euros à 250 000 euros, on pouvait s’attendre à un effet d’aubaine pour les studios de VFX français qui avaient du mal à être suffisamment attractifs hors de nos frontières. Le constat est en demi-teinte depuis, puisqu’en 2017 seul un projet de long-métrage basé sur des VFX a bénéficié de ce dispositif et à peine plus en 2018. »
Selon Olivier Emery, fondateur du studio de VFX Trimaran : « Les pays qui ont de l’ambition dans le domaine des effets visuels numériques sont en train de migrer vers un crédit d’impôts à un niveau d’environ 40 % de déduction fiscale. Il est clair que dans cette course au crédit d’impôt la France est un peu derrière avec seulement 30 % de déduction jusqu’ici. Le passage à 40 % nous mettrait au niveau de l’Allemagne, de l’Australie et même du Canada. Mais, prévient aussi Olivier Emery, ce n’est pas la seule raison qui explique que nos studios ont du mal à gagner des projets à l’international. »
Le dirigeant de Trimaran estime avoir perdu en 2018 des projets internationaux importants pour des raisons qui tiennent tantôt à l’agressivité commerciale plus forte des studios étrangers, avec par exemple le devis d’un studio canadien concurrent dans lequel la ligne « Superviseur VFX » était comprise dans le package de base avec un forfait ou encore à cause du fait que la bande demo de notre studio n’est pas à la hauteur de concurrents étrangers.
Cela fait dire à Olivier Emery : « Il faudrait que les studios français de toutes tailles apprennent à mieux travailler ensemble en se spécialisant au sein de projets collaboratifs, comme c’est souvent le cas à l’étranger, plutôt que d’avoir une approche généraliste et d’être peu enclins à la sous-traitance. Je ne comprends pas qu’en France le marché des effets visuels ne représente qu’un million d’euros de chiffre d’affaires hors marché publicitaire, alors qu’au Canada ou en Grande-Bretagne il est estimé à un milliard de dollars. »
Les professionnels présents durant le PIDS insistaient aussi sur la nécessité de répondre aux nouvelles certifications techniques en matière de sécurité des locaux, des systèmes informatiques… demandés par les majors américains et les plates-formes numériques comme Amazon ou Netflix.
Depuis 2018, la certification promue par le MPAA (Moving Picture Association of America) et la Content Delivery & Security Association (CDSA) s’appelle Trusted Partner Network (https://ttpn.org/). Elle repose sur une série de mesures visant à réduire le risque de piratage par les réseaux informatiques. Le TPN a été décidé suite à plusieurs cas de piratage de séries TV avant leur diffusion, comme ce fut le cas en 2017 avec la saison 5 de la série Netflix Orange is the new black (L’Orange lui va si bien) dont la copie illicite était issue d’un studio de postproduction son ayant des failles de sécurité informatique ou encore pour un épisode de la saison 7 de Game of thrones qui a fuité via une société sous-traitante de la 21st Century Fox Star India chargée de la gestion des médias de la série.
Mutualiser les ressources entre studios
La mise à niveau vers le TPN a un coût estimé à environ 20 000 euros, tandis que l’audit annuel obligatoire revient lui à 5 000 euros. Autant dire des coûts prohibitifs pour bon nombre de studios français, dont la sécurité informatique n’est pas le cœur de métier.
Face à cette difficulté supplémentaire qui constitue un « véritable plafond de verre » pour de nombreux studios français de taille modeste, « nous devrions mutualiser nos ressources », insiste Olivier Emery. L’an dernier les studios français de VFX s’étaient pourtant regroupés au sein d’un nouveau syndicat professionnel, le V2F.
« Toutefois, neuf des dix-sept entreprises membres de V2F sont des petites structures comme la nôtre, dont les gérants sont un peu au four et au moulin, tandis que notre président est très pris par ailleurs par ses différents mandats », explique Olivier Emery.
Moralité, V2F n’a pas accouché de grand-chose depuis un an. Afin de rester positif, chacun se répéta donc que la mutualisation des moyens en vue d’acquérir ces nouvelles certifications de sécurité indispensables au niveau international pourrait être un objectif pragmatique à brève échéance. De même, chacun s’accordait sur le fait que parvenir à montrer à la Visual Effects Society (VES) que sa section française créée en 2018 était dynamique avec ses 90 membres représenterait une avancée significative.
L’innovation française dans les VFX toujours active
Les difficultés de pénétration du marché international mis à part, les acteurs des effets visuels numériques français ne manquent pas d’esprit d’innovation et de créativité. Pour s’en rendre compte, il suffisait de suivre les présentations modérées par Stéphane Singier de Cap Digital qui mit en avant quelques pépites hexagonales comme Pocket Studio.
Cet éditeur logiciel a conçu (en version beta pour le moment) un logiciel de conception 3D collaborative dont l’ergonomie s’apparente à la G Suite de Google. Pocket Studio, s’il tient toutes ses promesses jusqu’à son lancement officiel avant l’été 2019, offrira un niveau d’ergonomie jamais égalé jusqu’alors avec un outil de conception 3D en ligne.
Il suffit en effet d’une connexion 4G et d’un login (mot de passe) pour que s’affiche le bureau partagé dans lequel différents collaborateurs distants peuvent concevoir une scène 3D complète, de sa modélisation à son rendu final, en ayant la possibilité d’agir sur chacun des éléments de la scène à tout moment. Il n’y a guère que l’animation de personnages qui ne peut pas pour le moment être gérée via ce logiciel collaboratif de conception 3D.
Le docu-fiction, moteur des VFX
Côté réalisations, le studio lyonnais Fauns a travaillé en 2018 sur « Living Universe » une série documentaire de 4 x 52’ particulièrement ambitieuse. Coproduite par la chaîne Arte, ABC Australia, Essential Media et le producteur de documentaires ZED, ce docu-fiction scientifique d’anticipation raconte de la manière la plus réaliste possible ce qui pourrait advenir lors d’une expédition spatiale visant à explorer des formes de vie dans et hors de notre galaxie.
Les odyssées spatiales ayant déjà fait l’objet de plusieurs blockbusters célèbres comme « Interstellar », « Gravity » ou « Seul sur Mars », il va de soi que la barre qualitative a été placée très haut au cœur de la conception des nombreux objets et créatures en synthèse présents dans cette épopée scientifique.
Après un tournage en Islande, Fauns a été chargé de réaliser des modèles 3D des vaisseaux spatiaux, robots et créatures présents tout au long de l’expédition. Le vaisseau spatial, Minerva, censé mesurer 1,3 km de long, fut à lui seul une gageure. « Il nous a fallu trouver une multitude d’astuces pour parvenir à faire imaginer au public sa taille gigantesque. Nous avons dû aussi simuler le vieillissement de sa structure, puisque le voyage interstellaire de ce docu-fiction dure plusieurs centaines d’années. De même, les créatures extra-terrestres ont fait l’objet d’une recherche poussée en matière de design et d’animation », souligne Raphaël Penasa le CEO de Fauns.
La previs sert à l’animation
Tout aussi intéressant est le décryptage technique des scènes du film d’animation en Full 3D, franco-chinois « Spycies » réalisé par Guillaume Ivernel (coréalisateur du film « Chasseurs de dragons » et producteur de « Ballerina ») et sorti en février 2019 dans les salles de cinéma. En effet, Guillaume Ivernel s’est inspiré à la fois de l’animation japonaise et de comédies « cartoon » comme « Roger Rabbit » pour réaliser un film très riche en scènes d’action survitaminées.
Afin d’assurer la cohérence des nombreuses scènes tonitruantes du film, qui nécessitent un découpage au millimètre, le célèbre réalisateur a fait appel à la technique de la previs 3D des séquences. Ainsi, il a été possible de chorégraphier avec précision les nombreuses scènes très en amont des animations et du rendu final. Chaque scène est passée entre les mains du studio français Android Associés qui bénéficie d’une déjà longue expérience en la matière.
Pour Guillaume Ivernel, « cela nous a permis de travailler de manière très précise entre les studios français sélectionnés, sachant que les cadres et mouvements de caméras choisis lors de la previs étaient extrêmement proches des scènes finales, beaucoup plus que ne l’aurait été un simple storyboard. Et, étonnamment ce process de fabrication offre une plus grande liberté de travail pour le réalisateur, car on voit immédiatement si une scène fonctionne ou pas. Cela nous a permis, dans un cadre budgétaire assez contraint, de réaliser un film cohérent d’un bout à l’autre de la chaîne de production, en dépit de scènes d’action particulièrement complexes. »
Une nouvelle perle expérimentale de Nicolas Deveaux
Les films de court métrage réalisés par Nicolas Deveaux et produits par Cube Creative avec Arte sont désormais attendus par l’ensemble de la profession, tels des mets délicats qu’on déguste avec délice ! Après « 5,80 mètres » et « 7 Tonnes 3 », le dernier opus du réalisateur de « Un mètre/heure » ne fait pas exception à la règle de par l’originalité de son sujet et de son traitement. En plus, lors du PIDS, il était projeté dans les meilleures conditions possibles en qualité cinéma et 3D relief, sachant que l’essentiel de ce film de neuf minutes en « time lapse », qui montre des escargots en train de danser sur une aile d’avion, a été tourné en 4K relief.
Enfin, c’est essentiellement le décor qui a été tourné de la sorte, car les escargots, eux-mêmes héros « danseurs » du film, ont tous été modélisés et animés en 3D. Un gros travail a notamment été effectué pour disposer d’éléments photogrammétriques de l’avion et de l’aéroport. Grâce à cette matière à 360°, Nicolas Deveaux pouvait utiliser ensuite de multiples cadrages et modifier les lumières suivant ses envies créatives. Le résultat est de ce fait une intégration parfaite entre images de synthèse et images réelles, une vraisemblance des séquences et… une grande poésie à la clef.
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #31, p.120/122. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.