Entretien avec le chef opérateur Matthieu Misiraca

Matthieu Misiraca fait partie de la nouvelle génération de chefs opérateurs. Au fait des innovations technologiques, hybride sur les techniques, partisan du led sur les tournages, il bouscule un peu les lignes. Chaque projet est pour lui un laboratoire qui permet de tester de nouvelles caméras, de nouveaux projecteurs et de développer de nouvelles méthodes de travail. Entretien sur son parcours, ses coups de cœur et ses envies.
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Pourriez-vous nous détailler votre parcours ? Comment êtes-vous devenu chef opérateur ?

J’ai obtenu un BTS audiovisuel en juin 2000 à Saint-Quentin, dans l’Aisne, et j’ai eu la chance ensuite de faire deux stages. Le premier s’est déroulé chez Iris Caméra (racheté ensuite par le groupe TSF), spécialisé caméras, où j’ai appris le métier d’assistant caméra. J’ai fait mon second stage au sein d’une chaîne filiale de M6 où j’ai découvert le monde de la télévision. À ma sortie du BTS, j’ai travaillé pour ces deux filières : d’un côté la fiction comme assistant caméra, de l’autre la télévision. Mon souhait était de me concentrer plus particulièrement sur la fiction. Et évidemment, cela a pris du temps !

J’ai eu la chance d’avoir un pied à la télévision et un autre dans la fiction. À l’époque, c’était mal vu de travailler pour la fiction et la télévision ! On s’en cachait pas mal ; quand on était dans la fiction, on ne disait pas que l’on faisait de la télé. Par contre, quand on était à la télé, on pouvait dire qu’on faisait de la fiction… Il y avait encore cette grosse fracture entre, d’un côté, les caméras vidéo et, de l’autre, les caméras pellicule. Et il n’y avait aucun lien entre les deux.

Quand, autour de 2004, est arrivée la vague numérique HD, je fus bien content d’être issu d’un BTS audiovisuel et d’avoir travaillé avec des caméras numériques pour pouvoir surfer sur cette vague. Beaucoup de chefs op de fiction sont restés sur le carreau car ils n’avaient pas cette double culture. Il a fallu attendre facilement jusqu’en 2010 pour que le numérique arrive réellement dans la fiction.

À partir de 2007, j’ai pu vraiment commencer à vivre du métier de chef op. Actuellement, je fais des choses très variées ; cela va du clip, de la pub, à la fiction long métrage, aux séries TV, beaucoup de digital parce que celui-ci prend énormément d’ampleur.

 

 

Que mettez-vous dans la famille « digital » ?

Par exemple, tous les formats YouTube, des programmes courts, des petites séries, qui mettent autant de temps à tourner qu’un téléfilm, mais qui ont des formats variés. J’ai fait les deux saisons de « Metal Hurlant Chronicles », une série science-fiction qui n’a pas bien pris en France, mais qui a remporté un large succès à l’étranger. Puis, j’ai fait du téléfilm, cela m’a permis d’avoir une bande démo assez conséquente.

Aujourd’hui, je fais partie de ceux qui ont vécu l’évolution de la HD numérique. Quand j’ai réalisé que cette révolution allait arriver aussi à la lumière, je me suis dit qu’il ne fallait pas la manquer. Mais ce n’est pas pour autant qu’on devait se jeter directement dessus. C’est pourquoi quand Jacqueline (Delaunay, présidente de Acc&Led) que je connaissais de l’époque Transpacam (où je louais tout mon matériel), m’a appelé en 2012 en me disant : « J’ouvre, viens, je suis à Boulogne, viens tester mes projecteurs. » Je suis venu et je les ai testés.

Au début c’était sympa, mais il n’y avait pas de quoi faire tout un film avec. Il y avait des problèmes d’IRC*, c’était le problème majeur de la led. À l’époque, l’IRC était à 60-70, c’était trop bas. À partir de 2015, j’ai vu que le catalogue led disponible à la location commençait à s’étoffer et répondait à des exigences qui étaient les miennes, notamment en termes d’IRC et de variété de type de projecteurs. Et comme j’habitais à côté, eh bien je me suis rendu tous les jours chez Jacqueline. L’évolution est énorme ! Là où un projecteur Fresnel traditionnel perdurerait vingt ou trente ans, aujourd’hui le secteur ressemble à celui des caméras, il y a pléthore de nouveautés. Je les ai toutes vues arriver, je les ai testées.

Ce qui m’a fait arriver à la led, c’est la nécessité de trouver un moyen pour éclairer plus rapidement. Aujourd’hui, en fiction, nous sommes évidemment contraints à des temps qui sont de plus en plus serrés. Il me fallait changer de méthode pour pouvoir continuer de travailler, tout en évitant d’être dans un état de stress. Et j’ai trouvé que la led répondait tout à fait à ce besoin.

L’année dernière, je faisais un téléfilm pour France 3, tourné en Bretagne. Je me suis dit : « Essayons de ne le faire qu’avec de la led », mais en partant avec des petites sources, des grosses sources, etc. Eh bien, ce fut un bonheur ! Cela m’a permis de travailler plus vite, d’être plus flexible en termes d’installation, d’être aussi plus libre en termes d’énergie parce que c’est souvent aussi ça le nerf de la guerre ! Tout était toujours en 16 ampères et, mine de rien, sur un tournage, c’est un gain de temps énorme, de pouvoir se brancher sur n’importe quelle prise, même une prise du décor, sans avoir peur de tout faire sauter ! Cela a parfaitement fonctionné, j’en suis sorti ultra content.

Aujourd’hui, il y a une telle évolution sur les gammes de produits led que, par exemple, ce que j’ai utilisé il y a un an sur ce téléfilm, je ne l’utiliserais plus aujourd’hui, parce qu’entretemps il y a eu d’autres projecteurs qui sont sortis. En tant que chef op, nous avons le devoir de nous mettre à jour, et quand je dis « à jour » c’est une fois tous les quinze jours pratiquement ! Il suffit de voir le catalogue d’Acc&Led ! Sur chaque tournage, je pars avec un projecteur en bêta-test.

 

 

En matière de led, avez-vous relevé, malgré tout, quelques points faibles, que ce soit en intensité, en puissance ? Que peut-on encore améliorer ?

Le point faible de la led, c’est la forte puissance. Il est encore impossible de rivaliser avec un 18 kW HMI, quand on s’en sert de façon ponctuelle. C’est pourquoi, bien souvent, il arrive que j’aie une liste complète en led et dispose encore de projecteurs HMI ou tungstène parce que j’ai besoin parfois de sources très ponctuelles, pour mettre derrière des fenêtres, faire des rais de lumière, etc. Et ça, en led, c’est très compliqué, en tout cas en grosse puissance.

 

 

Peut-on comptabiliser le gain de temps apporté par la led sur un tournage ?

Personnellement, je l’estime à 30 %. La led étant plus chère en location et, pour entrer dans les enveloppes traditionnelles très formatées des séries ou des téléfilms, il a fallu que je revoie globalement la façon de travailler. La led est un peu comme un langage, il ne faut pas s’imaginer remplacer un projecteur par un autre, comme on cherche l’équivalent d’un mot, d’une expression, dans une autre langue. Il faut radicalement changer sa façon de travailler. Ce qui implique de changer sa façon de voir et de concevoir la lumière, de pouvoir s’adapter. Généralement, je rentre à chaque fois dans les devis. Par contre, en tournage, c’est un gain de temps énorme. La led constitue surtout un confort de travail. Aujourd’hui, si ta lumière est un poil trop forte, tu tournes un petit bouton et c’est réglé, là où il fallait changer des gélatines…

 

 

L’utilisation de la led a-t-elle réduit vos équipes ?

Oui, très clairement, mes équipes se sont réduites. Généralement, je suis à peu près en moyenne à un électro en moins par rapport à ce qu’on pourrait avoir en traditionnel. Évidemment, l’objectif n’est pas de réduire les équipes, le principal but est de gagner du temps sur le tournage.

 

 

Quelle est, par rapport à la led, l’approche de vos équipes, des électros avec lesquels vous travaillez ?

Avant nous disposions de projecteurs où, très clairement, le câblage était fort simple : une lampe, un câble, un interrupteur, une prise. Actuellement, tout est différent, tout devient plus électronique. Les projecteurs sont rangés, tels des caméras, dans des flights ; ils ont des menus. Notre monde rejoint le milieu de la caméra. Autrement dit, l’électro de demain sera vraiment un technicien, il abordera la led comme un assistant sa caméra. Bien sûr, tous les électros ne sont pas encore formés à la led. J’essaie d’avoir toujours une équipe qui connaît bien, maîtrise un peu tous les projecteurs. Il est évident que, du point de vue d’un électro, il s’agit d’une autre façon de travailler. C’est intéressant car ils vont gagner en compétences.

 

 

Que pensez-vous des nouveaux produits de DMG ?

Au début, j’étais moyennement convaincu par leurs projecteurs. Après, avec le Switch bi-color 3200-5600, la question a été radicalement résolue, mais le souci de cette source résidait dans le fait que le système bi-color avait une colorimétrie très étroite, nous avions toujours besoin de sources avec des températures plus proches des 6000 que des 5000. Je vous donne un exemple : si vous êtes obligé d’éclairer l’intérieur d’un appartement et que dehors on est en temps gris, et bien si vous éclairez en 5600, vous aurez toujours une ambiance plus chaude que l’extérieur. Le raccord par rapport à intérieur-extérieur est compliqué.

Depuis la nouvelle sortie des MIX, alors là, pour le coup, nous avons affaire à un formidable projecteur. Le MIX est excellent et la technologie MIX est admirable.

 

 

Quelles sont les innovations que vous attendez ?

Ce que j’aimerais bien développer et qui est très complexe à mettre en place, c’est l’utilisation du DMX** en fiction. Bien évidemment, le DMX, pour tout ce qui est télévision, on l’utilise lorsqu’on fait un plateau ou même lorsqu’on fait un éclairage plateau pour de la fiction. Mais quand on est en décor naturel, pouvoir utiliser du DMX, sans que cela soit forcément chronophage pourrait être une très bonne solution pour gagner du temps. Pour que cela soit intéressant, il faut obligatoirement que ce soit en sans fil. Et comme chaque projecteur a sa technologie sans fil DMX, c’est un peu délicat. Quoi qu’il en soit, j’essaie de voir l’option en fiction, même si on utilise trois ou quatre projecteurs dans un décor naturel, tout en pouvant les faire varier en un clin d’œil, sans forcément courir à droite à gauche sur les ballasts pour faire les variations.

 

 

En moyenne, en combien de temps se tourne une fiction ?

Un téléfilm est formaté en vingt-deux jours de tournage, sur des journées de huit heures, si possible, pour les directeurs de production. Moi, j’essaie toujours de faire une prépa en une heure avant, même s’il y a de grosses sources à utiliser, sauf en cas de grosses installations, d’échafaudages. En moyenne, j’ai toujours une heure de préparation avant.

 

 

Et vous-même, vous cadrez ?

Oui, je cadre, et cadrer c’est forcément être bloqué à la face. C’est une des raisons pour lesquelles le DMX m’intéresse. Si je dois aller bouger un projecteur, le baisser de 10 points, le réchauffer ou le refroidir, je voudrais pouvoir le faire avec un smartphone, tout en restant bloqué à la face. En tant que chef op cadreur, j’ai envie de maîtriser moi-même ces points, plutôt que de tout demander à un électro, bien souvent occupé à faire un pre-light ou autre chose. Si je peux le faire de mon smartphone, c’est pour ça que la technologie DMX m’intéresse.

 

 

Au cadre, êtes-vous prescripteur sur le choix des caméras ?

Oui, généralement j’en parle avec le réalisateur. Je teste un peu toutes les caméras. Pour l’instant, nous alternons beaucoup entre Red et Arri. Je n’ai pas véritablement de préférence… une petite préférence peut-être pour Red, mais je n’ai pas d’avis très tranché là-dessus, c’est quelque chose qui se discute avec le réalisateur. Après, tout dépend, si le réalisateur aime « resizer »… Avant, « resizer » c’était vraiment le truc quand il y avait une perche, un bout de traveling, un bout de pied, mais cela se fait de plus en plus. C’est pour ça qu’en fonction du réalisateur, il faut toujours plus de définition au tournage que sur le master.

 

 

Quelles sont vos dernières productions ?

Je viens de terminer une digital série de 6 x 15 minutes pour France Télévisions qui s’appelle « Dark Stories », une série de science-fiction réalisée par Guillaume Lubrano et François Descraques. Nous sommes partis tourner en Picardie six épisodes totalement différents et indépendants les uns des autres, avec des décors très variés. Il y a aussi bien du tournage en studio qu’en décors naturels, genre une ferme en plein milieu de la Picardie. Par exemple, quand nous avons tourné dans cette ferme, nous n’avions pas des ampères et des ampères à pouvoir sortir du bâtiment. Encore une fois, la led nous a bien servis !

 

 

Cette série sera-t-elle uniquement diffusée en digital ? Quel est son budget ?

Oui, elle le sera prochainement sur la chaîne Studio 4, qui est l’une des chaînes YouTube de France Télévisions. Les budgets sont hyper serrés parce que la digital série a encore du mal à se financer, vu la faible monétisation de YouTube. Les budgets demeurent très serrés, mais c’est passionnant parce que la science-fiction, ce n’est pas commun.

En fait, c’est ça qui est dommage, il a fallu que ce soit Netflix qui démocratise le genre. Pourquoi ne l’avons-nous pas fait avant ? Enfin, c’est encore un autre sujet, mais qui est parfois très énervant. Je fais de la science-fiction avec Guillaume Lubrano depuis maintenant dix ans et je suis effaré de voir que le genre a du mal à entrer dans les chaînes, alors qu’il y a un public. On a tenté de faire croire qu’il n’y avait pas de public, mais le public est là.

 

 

En arrivant, j’ai aperçu un Da Vinci. Vous faites de l’étalonnage ?

Oui. Je ne suis pas étalonneur, mais j’ai des notions d’étalonnage, c’est très important pour moi. Depuis que je tourne sur des téléfilms ou autres, j’ai toujours une station d’étalonnage avec moi qui me permet, le soir, de visualiser les images, sans forcément être dépendant d’un prestataire de postproduction ou de ne pouvoir les visualiser qu’une semaine après. Cela me permet d’ajuster ou de maintenir mon tir sur, soit l’éclairage, soit la manière de filtrer sur la caméra. Surtout, je peux établir très vite une ambiance et une identité visuelle à l’image et la faire valider auprès du réalisateur, sans forcément que ce soit fait après le tournage.

 

 

*L’indice de rendu de couleur, ou IRC, se traduit par un nombre compris entre 0 et 100, et a pour objectif de rendre compte de l’aptitude d’une source de lumière à restituer les couleurs d’un objet par rapport à celles produites avec une source de référence de même température de couleur. Ces deux facteurs, température de couleur et indice de rendu des couleurs, permettent de qualifier sommairement une source de lumière.

**Le DMX est un protocole qui permet de contrôler des sources lumineuses via une console lumière. Cette technologie est utilisée principalement dans des lieux de spectacles et des plateaux TV.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #31, p.16/18. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.