Pour aider les porteurs de projets de séries d’animation, tous formats confondus, à trouver des financements, Cartoon Forum (du 16 au 19 septembre 2019 à Toulouse) est devenu l’acteur certainement le plus efficace et investi du secteur (depuis sa création en 1999, 786 séries animées ont été financées pour un montant total de 2,7 milliards d’euros).
Une fois encore, la trentième édition s’est prêtée, avec brio, à cet exercice de voltige qui consiste à réunir les studios européens les plus en vue (Xilam Animation, TeamTO, WunderWerk, Altitude 100 Production, Copenhagen Bombay…) comme les nouveaux entrants (Nebularts Productions, Des Singes Animés), les diffuseurs historiques comme les plates-formes numériques (sauf Amazon et Apple TV +). Ils étaient plus de 1 000 professionnels européens (mais aussi du Canada, de la Corée du Sud, du Togo et du Burkina Faso) à assister aux présentations de 85 projets émanant de 24 pays.
Si la moitié des projets s’adresse aux 6-11 ans, l’offre pour les pré-scolaires (un quart des projets) s’est distinguée ainsi que l’animation ado-adultes qui traite aujourd’hui de sujets à même d’intéresser toute la famille. Certains projets, parmi les plus ambitieux, adoptent un format feuilletonnant, susceptible de fidéliser le jeune public et d’anticiper la demande de la nouvelle plate-forme jeunesse Okoo de France Télévisions (en remplacement de la chaîne France 4). À noter que de nombreuses présentations sont portées par une nouvelle génération de réalisateurs et de producteurs, laquelle se féminise de plus en plus.
Toujours en tête de la sélection et des présences aux pitches, la France, qui continue de bénéficier de montages financiers efficaces et d’être le principal partenaire européen de coproduction, est venue avec une trentaine de projets ciblant tous les publics et brassant tous les genres (aventure, comédie, etc.). Suivie par la Belgique (Altitude 100 Production, Belvision) dont la dynamique région Wallonie-Bruxelles se trouvait sous les projecteurs en faisant partie, cette année, des « Petits Géants de l’Animation » du Cartoon Forum, et en recevant deux Cartoon Tributes au titre du diffuseur de l’année pour RTBF-OUFtivi et du producteur pour Panique ! (Panique au village).
Cible roi, l’offre enfant choie ses super héroïnes
L’offre pour les 6/11 ans, au cœur de la programmation du Cartoon Forum, reste la plus recherchée par les chaînes de télévision européennes, nombreuses sur ce créneau. Pas de surprise si Prima Linea Productions, l’une des sociétés les plus dynamiques de films d’animation (Zarafa, La fameuse invasion des ours en Sicile), propose à son tour sa première série animée. Adaptée en 3D d’une bande dessinée, Étrange Hôtel (52 fois 11 minutes), qui sera également décliné sous forme d’un spécial 2D de 50 minutes faisant office de préquel, met en scène l’amitié, l’aventure au travers d’histoires « civiques ». « C’est une série sans méchants », prévient la productrice Valérie Schermann, qui préfère mettre l’accent sur la richesse de l’univers et la diversité des caractères, dont de nombreux personnages féminins.
Une caractéristique que l’on retrouve, cette année, commune à de nombreux projets. Souvent mise en avant (quand elle ne donne pas son nom à la série), la « nouvelle » héroïne de série se pare de qualités traditionnellement masculines. Intrépide, gaffeuse voire gouailleuse, elle sait aussi faire le consensus auprès d’un public de garçons. La plus touchante, Dounia, du studio digital canadien Tobo (spécial de 42 minutes, 6 fois 7 minutes, podcast et livre en réalité augmentée), et écrite par Marya Zarif, revient sur la tragédie des réfugiés en s’attardant, de manière délicate et métaphorique, sur une petite Syrienne ayant fui son pays avec ses grands-parents et débarquant au Canada. « Notre but est de montrer ce que peuvent ressentir des enfants, venus de pays lointains, qui ont émigré avec leurs parents », remarque la productrice Judith Beauregard. « Le financement est presque bouclé au Canada (Canada MediaFund, Télé-Quebec, etc.). Nous recherchons ici des coproducteurs (pour une saison 2), des diffuseurs européens et des distributeurs. »
Aux antipodes des petites filles modèles, Calamity (26 fois 26 minutes pour 6,5 millions d’euros) met en scène la Traversée vers l’Ouest en compagnie de la jeune pionnière Calamity. Renâclant devant les tâches domestiques, Calamity préfère monter à cheval, traverser des rivières en crue, combattre l’injustice et toujours retourner les situations à son avantage. Produite par Maybe Movies et 2 Minutes, la série, qui est un sequel, fait suite au long-métrage Calamity, une enfance de Martha Jane Calamity (prévu pour le second semestre 2020). Son rendu graphique en 2D digital sera assez similaire et de nombreux assets du film comme les chevaux et les chariots (en 3D rendu 2D) seront réutilisés. Pour faciliter l’animation, les animateurs auront à leur disposition des banques de mouvements et de formes. Le réalisateur du film, Rémi Chayé, signera le développement visuel. « Nous aimerions que cette série soit réalisée par une femme », remarque le producteur Henri Magalon.
Portée par Xilam, Lucy Lost (10 fois 26 minutes), d’après un best seller de Michael Morpugo, revient également sur une héroïne au parcours peu commun, Lucy, qu’un pêcheur et son fils trouvent échouée sur une plage anglaise en 1915. En état de choc, la jeune fille, que l’on soupçonne vite d’être une espionne au service des Allemands, semble avoir perdu la parole. Le producteur Marc du Pontavice (long-métrage J’ai perdu mon corps) ne cache pas le potentiel cinématographique de cette série dramatique au format également feuilletonnant. Elle sera réalisée en 3D au rendu 2D par Jean-Christophe Dessaint (Le Jour des corneilles).
S’inscrivant aussi dans un registre aventure-action, Digital Girl (26 fois 22 minutes) produite par Cyber Group Studios serait la première série d’anticipation pour les 6/12 ans introduisant deux filles leaders. Regorgeant de décors (elle a pour cadre San Francisco en 2050, une ville hyper connectée), elle est rythmée par de nombreux combats entre bandes de hackeuses. Pour son producteur et créateur (avec Sylvain dos Santos), la série doit questionner sur la place des technologies digitales dans la vie quotidienne. Prévue pour être réalisée par Solène Azernour, elle est budgétée entre 10 et 15 millions d’euros.
En prenant comme personnage principal un nuage (au prénom féminin) accompagné de son ami éclair Flash, Miyu Productions (nominé aux Cartoon Tributes 2019) joue habilement sur l’ambiguïté. Sous la forme d’une sitcom comédie-aventure (52 fois 11 minutes), Claudy situe l’action au-dessus de la couche nuageuse, là où l’on apprend à fabriquer des orages, de la grêle ou des aurores boréales. Sauf que nos héroïnes hésitent encore sur leur orientation professionnelle…
Nouveau projet de série d’Autour de Minuit (avec Borderline Films), Galaxy Camp (52 fois 13 minutes pour 6 millions d’euros) échappe également au casting genré en introduisant de très nombreuses créatures et en dépeignant un univers foisonnant : un camping intergalactique où se croisent toutes sortes de morphologies de campeurs. Ce qui génère souvent des situations drôles et conflictuelles (panne de sanitaires, pluie d’astéroïdes…) que doivent résoudre les enfants des propriétaires du camping durant leur absence.
Belvision et Dupuis Edition & Audiovisuel reviennent pour leur part avec une adaptation en 3D relief de Marsupilami de 52 fois 12 minutes. Inventée par Franquin dans les années 50, la célèbre bande dessinée, qui s’adresse aux 6/11 ans, est remise au goût du jour. S’il possède toujours une queue de 7 mètres de long, le nouveau Marsupilami s’accompagne de congénères de son âge et a trouvé dans la ville contemporaine un terrain de jeu idéal. « Cette propriété attire les diffuseurs, mais le challenge est de proposer une histoire qui soit dans la continuité de l’univers de Franquin quoiqu’en rupture avec les productions précédentes », note Raphaële Ingberg, productrice pour Belvision. Le pilote de cette sitcom aventure baptisée Les Marsupilamis (estimée à 9 millions d’euros), qui sera réalisée par Philippe Vidal (Boule & Bill…), n’est autre que le « ride » développé par Belvision pour le parc d’attraction Spirou Provence.
Relève assurée
Qu’ils viennent pitcher seuls ou encadrés par une structure plus confirmée, les jeunes auteurs-réalisateurs se sont particulièrement distingués cette année. Pour la première fois, c’est une production issue d’un Cartoon Springboard, un événement organisé par Cartoon Media pour faire émerger les jeunes talents, qui arrive en tête de la liste de présences des investisseurs. Écrite par des étudiants dans le cadre de leurs études à La Poudrière (Rosalie Benevello, Vinnie Bose et Hippolyte Cupillard), Mousse et Bichon (52 fois 5 minutes pour 7,5 millions d’euros), qui s’adresse aux 4/5 ans, est librement adaptée des albums de Claire Lebourg. Depuis son passage à Cartoon Springboard, le projet d’animation s’est épanoui et la série s’enrichit aujourd’hui de personnages secondaires attachants. Soutenue très en amont par Vivement Lundi (Dimitri, Pok & Mok), elle fera l’objet d’une animation en stop motion et suivra un pipeline de production similaire à leur précédente série en volume Dimitri (sur France Télévisions).
Repéré également lors d’un Cartoon Springboard en 2017, le studio Des Singes Animés porte Les Homonobos, le chaînon manqué, une série 2D destinée aux jeunes adultes. Réalisée par Dominique Rodriguez sous la forme de sketchs (52 fois 3 minutes), la série réhabilite les homonobos, une espèce entre le singe et l’humain. Non dialoguée, elle croque de manière cinglante et comique ce brouillon de l’humanité. Estimée à 305 000 euros, elle est coproduite avec Umanimation, une société de production spécialisée dans le transmedia.
Destinée également aux jeunes adultes, Doppelgänger (9 fois 10 minutes), pitchée également dans le cadre d’un Cartoon Springboard, est la première incursion dans l’animation pour Louise Cailliez (qui vient aussi de La Poudrière). Court-métrage à l’origine, la série produite par Amopix dépeint, sous une forme feuilletonnante, des villageois fortement perturbés par l’arrivée d’inconnus leur ressemblant étrangement. Ces doubles, à la langue bien pendue, sèment le chaos en révélant l’inconscient des habitants. Pour cette comédie mordante et fantasque (11 000 euros la minute), l’aspect visuel, volontairement « trash », résulte d’allers-retours entre le dessin numérique et la reprise à la gouache. L’animation, quant à elle, est traitée en « cut out ».
Ce sont encore des jeunes talents (et réalisatrices) que les studios Nebularts Productions et Special Touch mettent en avant. Présenté par le premier, un studio franco-togolais, L’Arbre à palimpsestes (52 fois 7 minutes) fait ressurgir du passé, à travers les histoires que raconte Maman Palimpseste, d’authentiques figures héroïques d’Afrique : « Ce projet est né de ma méconnaissance de l’histoire du Togo et de l’Afrique avant le XVIe siècle », souligne la productrice Ingrid Ago dont la série sera sa première réalisation animée. « Nous connaissons mieux l’histoire de la France que nos propres héros nationaux ». Basée sur un important travail de recherche et d’écriture, la série 2D cut out (au budget de 1,7 million d’euros), soutenue par Gulli Africa, Canal+ et TV5 Afrique, envisage, pour sa fabrication, de réunir plusieurs studios d’animation africains sous l’expertise de Tiktak Produtions : Yobo Studios (Togo), Pit Productions (Burkina Faso). Si 35 % du financement est déjà sécurisé, la productrice recherchait un diffuseur national en France.
Portée par Special Touch Studios (Sebastien Onomo), qui fait lui aussi sa première incursion dans l’animation télé, Dimbit (52 fois 7 minutes) vise également à faire émerger la culture africaine en installant des héros noirs auxquels tous les enfants puissent s’identifier. Comme Dimbit, une petite Éthiopienne espiègle et craquante, créée par Feben Elias, lauréate d’un Digital Lab Africa : « J’aimerais changer l’image d’une Afrique pauvre et souvent en guerre », observe la réalisatrice. « Dimbit vit avec ses grands-parents dans une maison avec un jardin, des animaux de ferme, un garage. Comme les autres enfants, elle vit parfois des conflits générationnels. Elle aime le Metal, moins la musique traditionnelle. » Le projet, dont le pilote a été réalisé par Studio Fauns (Lyon), était à la recherche de partenaires financiers, de diffuseurs linéaires ou de plates-formes SVOD et de coproducteurs nationaux et internationaux. « Avec cette série, nous cherchons à avoir une audience la plus large possible car elle a une dimension universelle », annonce le producteur Sebastien Onomo.
Nouveau venu sur le segment télé, les Fées Spéciales (Montpellier) ont choisi pour leur part de sensibiliser au handicap en faisant intervenir des personnages malentendants. Les vérités (26 fois 7 minutes) réalisé par Eric Serre (série Bonjour le Monde) met délicatement en scène l’ennui des enfants et son antidote, l’imagination. Quelle que soit la situation, les héros inventent une langue visuelle (la langue des signes française) qui les entraîne ailleurs et leur fait « passer le temps ». La série en animation 2D de Guilhem Garcin, Léa Cluzel et Marthe Delaporte est destinée à tous les enfants.
À la recherche de cases adaptées
Si l’offre pour adultes demeure toujours en attente de cases – ou d’opportunités dans la grille des diffuseurs linéaires –, elle est régulièrement mise en avant par Cartoon Forum. Ne s’interdisant aucun sujet, la programmation toulousaine continue à se montrer très qualitative, originale et diversifiée. Elle s’est retrouvée, cette année, autour de thèmes contemporains comme la discrimination dans le sport, l’histoire des mouvements sociaux en France et les hybridations musicales (pop musique).
Produite par Bachibouzouk (avec DPT, Films Angels Productions et Hors Zone), Certains d’entre nous (10 fois 10 minutes) revient sur l’histoire d’athlètes ayant subi des pressions dans la pratique de leur sport (foot, boxe, cyclisme…) du fait de leur sexe, de la couleur de leur peau ou de leur handicap. Traitée au moyen d’images d’archives, de prises de vues réelles et de séquences 2D avec des transitions en rotoscopie, cette série documentaire s’accompagne d’une production bimedia (15 épisodes de 6 minutes) au format DiViNa.
Également très engagés, Foliascope et les Films du Tambour de Soie, tous deux intervenant dans le long-métrage d’animation d’Alain Ughetto Interdit aux chiens et aux Italiens, produisent Lutte(s) (3 fois 52 minutes) qui suit le parcours, sur plus de trente ans, de Solange, ouvrière chez Lip dans les années 70. Son implication dans la grève la conduira à devenir photographe et à couvrir le conflit social. L’épisode 2 la montre, vingt ans plus tard, suivant le conflit Renault-Vilvoorde en Belgique où son fils travaille. L’épisode 3 se concentrera sur la lutte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. « Il est nécessaire de transmettre l’histoire des conflits sociaux », insiste Ilan Urroz, producteur chez Foliascope. « Chaque combat se nourrit des précédents. » S’appuyant sur des images d’archives (INA) et une fiction animée en 2D, la production se présente sous une forme feuilletonnante. Signé d’un réalisateur différent, chaque épisode (estimé à un million d’euros) adapte, en fonction de l’époque abordée, les décors, les modes vestimentaires mais aussi la musique.
Sur un tout autre registre, Foliascope soumettait (avec les Batelières Productions), Les Voyages d’Ismaël qui questionne l’histoire des religions à partir de grands thèmes universels (10 fois 3 minutes).
À la limite également du documentaire et de la fiction, We are Family (52 fois 5 minutes) produite par TeamTO est annoncée comme la première anthologie animée dédiée à la pop musique. Basée sur des histoires réelles, elle raconte comment les styles musicaux s’hybrident et procèdent de rencontres : le rap et le rock, le punk et la disco ou le jazz et la samba (etc.). Coproduite avec 22D Music Group pour un budget de 6 millions d’euros, elle comporte plus d’une centaine d’extraits musicaux : chaque épisode introduisant plusieurs protagonistes différents, l’artiste et ses sources d’inspiration. Pour que les musiciens soient reconnaissables (Patti Smith, Madonna, Aérosmith…), la série au style graphique très affirmé repose sur un principe de fabrication permettant, à partir d’un gabarit 3D standard, de décliner tous les caractères. Avec We are Family, TeamTO s’adresse pour la première fois aux plus de 13 ans : « Nous élargissons la cible de nos productions habituelles », remarque la productrice Patricia de Wilde. « Cette série grand public (en recherche de diffuseurs, ndlr) est prévue pour tous les modes de diffusion, y compris les plates-formes. »
Avec Le Collège noir, une adaptation de la BD d’Ulysse Malassagne, Studio la Cachette revient à une forme plus fictionnelle en jonglant avec le surnaturel, la comédie et l’aventure. « On s’est inspirés des figures traditionnelles comme la sorcière, le croque-mitaine ou le corrigan », décrit Ulysse Mallasagne. « Ces monstres nous permettent d’aborder des thèmes comme la mort… » Destinée aux adolescents, la série (52 fois 11 minutes), qui met en scène une bande de copains restés pendant les vacances dans leur collège, campe une situation mystérieuse et différente à chaque épisode (disparition d’un élève, etc.) mais reste feuilletonnante dans son ensemble. Le projet est porté par Studio la Cachette (avec Milan Presse et Bayard Jeunesse Animation) qui s’était fait remarquer avec le film gothique Un Vieux Démon réalisé dans le cadre de la série Netflix Love, Death + Robots produite par David Fincher et Tim Miller.
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.118/124. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.