Dans les chaînes de télévision, il faut piloter l’ensemble des outils de montage et des solutions de postproduction et de stockage des médias. Les orchestrateurs de workflows et outils de media asset management jouent un rôle important pour le portage des infrastructures dans le cloud. Il nous a semblé naturel d’interroger Dalet, acteur majeur de ce domaine.
Comment avez-vous réagi pour accompagner vos clients face à l’évènement sanitaire du Covid-19 ?
Nous sommes présents partout dans le monde et les problématiques étaient différentes selon les pays et le niveau de préparation de nos clients. L’effectif présent dans l’immeuble d’un de nos clients américains est passé en une semaine de 300 à 6 personnes ; il ne restait plus dans la chaîne que les professionnels de la control room. Ils étaient bien préparés et équipés d’une version récente de Dalet Galaxy permettant l’activation de certaines fonctions dédiées.
Aux USA lorsqu’un cas de Covid-19 est détecté dans un immeuble, il y a un « lockdown » complet de celui-ci. La chaîne a donc préparé une control room de secours sous une tente sur le parking de l’immeuble. D’autres clients sont moins préparés, nous les avons donc accompagnés en activant des fonctionnalités nécessaires et en proposant de nombreuses formations à distance.
Peux-tu nous présenter l’entreprise Dalet ?
Dalet est une société française éditrice de logiciels distribuée dans le monde entier depuis trente ans. Environ 90 % de notre activité est réalisée en dehors de la France. Nous sommes un des acteurs globaux des solutions de Media asset management (MAM), de gestion de la chaîne de production et de distribution de médias. Issus du monde du broadcast, nous intervenons plus largement dans le monde élargi des médias et de la vidéo professionnelle.
À l’origine, Dalet proposait des solutions de production et de diffusion audio numérique. Notre plus important centre de développement a été installé en Israël il y a une vingtaine d’années, notre R&D étant répartie dans le monde entier. Au commencement, nous avions un seul produit. Au fur et à mesure de notre évolution et de l’acquisition d’autres sociétés, nous avons développé un large portefeuille de produits.
Nous avons deux plates-formes de gestion du flux média. Dalet Galaxy – actuellement en version 5 – est une plate-forme de gestion du process de fabrication de contenu orienté news et sport. Centré autour d’un media asset management et d’un orchestrateur de workflow, de nombreux outils métier interne ou venant d’éditeurs externes tels qu’Adobe Premiere Pro ou de systèmes de diffusion y sont intégrés.
Ooyala Flex Media Platform, également développé autour d’un MAM et d’un orchestrateur, est issu de l’acquisition au mois de juillet 2019 de la société Ooyala. Elle est orientée supply chain, gestion de produits finis et distribution aux multiples plates-formes digitales. Nous couvrons ainsi l’ensemble du cycle de vie des médias depuis l’acquisition, jusqu’à la mise à disposition sur multi-plates-formes.
Nous avons également des produits satellites, que les clients peuvent acheter indépendamment, mais qui sont souvent les composants d’une chaîne de production plus large. Dalet Brio est un serveur vidéo IT qui permet de faire l’acquisition et la diffusion de flux SDI et IP. AmberFin est un transcodeur haute qualité à destination des studios, issu de l’acquisition d’une société anglaise. Situé au tout début de la chaîne de production, la gestion des médias peut se faire sur site, dans le cloud ou en mode hybride.
Dalet Cube est un encodeur graphique pour l’habillage « news » étroitement intégré à Dalet Galaxy. Dalet OnePlay est un automate de production pour la diffusion en direct. Nous avons lancé l’année dernière des offres SaaS complémentaires. Dalet Media Cortex est un service d’intelligence artificielle pour Galaxy ou Flex, dédié à l’enrichissement de contenu ou la création de sous titres. La solution SaaS Dalet Storefront sortie en février 2020 est un outil simplifié de mise à disposition des archives.
Dans le domaine de la postproduction, Dalet OneCut est un outil de montage simplifié orienté News. Dalet Xtend permet de connecter sur Galaxy et Flex des solutions de montage externe, principalement Adobe Premiere Pro, mais également Avid Media Composer ou Final Cut Pro X.
Vos outils sont originellement prévus pour travailler sur les serveurs internes de vos clients, quelles sont les solutions pour des déploiements à distance ?
Nous travaillons sur l’aspect cloud et mobilité depuis longtemps. La crise actuelle n’a pas changé notre feuille de route, elle l’a juste accélérée. Nous déployons depuis 2014 des plates-formes Dalet Galaxy sur AWS, un partenaire de Dalet. En 2020, plus de la moitié des systèmes nouvellement installés disposent d’au moins une partie dans le cloud. Originellement le déploiement de Galaxy a été prévu sur site, mais son infrastructure logicielle est ouverte à tout type de déploiement. MediaCortex et StoreFront sont des services SaaS entièrement sur AWS. Galaxy permet des déploiements hybrides ou entièrement cloud. Avec Ooyala Flex Media Platform, 70 % des déploiements sont effectués dans le cloud avec AWS, Microsoft Azure ou Google Cloud Platform.
Comment assurez-vous la maîtrise de la sécurité ?
Cela dépend du type de contenu à gérer et du temps pendant lequel ce contenu « réside » sur AWS. Nos clients conservent la maîtrise des déploiements dans le cloud et la responsabilité du stockage. Je vais illustrer mon propos par un exemple. Un de nos clients déploie une extension de son système de production News sur AWS, il exploite son propre Bucket S3 sur AWS et nous donne accès aux médias qu’il a besoin d’éditer (dans ce cas particulier des proxys convertis à partir des médias natifs) pour mettre en place le workflow de montage à distance. La sécurité est en fait plus grande que sur un système « on premise ». Tout peut être encrypté et les connexions sécurisées en https passent par des VPN. Dalet est certifié pour la sécurité de ses installations.
Et concernant la souveraineté des données ?
Chaque client doit définir sa politique dans ce domaine. Les proxys présents dans le cloud peuvent être watermarkés, les fichiers haute résolution restent on premise. La boîte à outils Dalet permet ces designs avancés en fonction des besoins des clients.
Vos clients peuvent-ils choisir leur hébergeur cloud ?
Pour certaines fonctionnalités, oui. Des hébergeurs proposent des plates-formes « S3 compatibles » ; et sauf cas particulier nous pouvons y déployer nos produits. Lancée l’année dernière, la solution Dalet Remote Editing Framework permet à un monteur sur le terrain d’accéder à l’ensemble des métadatas du système de production et à un proxy dans le cloud. Cette solution fonctionne actuellement uniquement avec Amazon S3. Grâce aux métadonnées, les monteurs peuvent faire des recherches dans le système, prévisualiser le contenu, et l’intégrer à leur timeline de montage. Un mécanisme en tâche de fond met en cache sur le PC local du monteur des « chunk de proxy », c’est-à-dire les parties utiles des fichiers proxy utilisé sur la timeline.
Aujourd’hui cette technologie fonctionne en production avec OneCut ; le déploiement avec Adobe est prévu. Le monteur peut également intégrer dans sa timeline son propre contenu local qu’il mélange avec le contenu du système central ; il peut enregistrer une voix off. Lors de la sauvegarde du projet, le framework uploade les médias nécessaires pour effectuer un rendu du montage, dans le cloud ou on premise. Cette utilisation représente environ 50 % de l’utilisation en news.
Actuellement la solution fonctionne exclusivement sur Amazon S3 car elle utilise les fonctionnalités d’accélération de l’accès au contenu d’AWS, par exemple le CDN CloudFront, pour faire en sorte que les proxys soient accessibles à des journalistes facilement où qu’ils soient. Par exemple pour les JO, le monteur mixe des images centrales et locales, ces dernières étant uploadées vers le cloud en utilisant l’accélération S3 pour transiter vers la région AWS la plus proche puis à travers le Backbone AWS pour accéder au point central. Hormis le temps de téléchargement des proxys, le monteur retrouve une expérience similaire à celle qu’il aurait dans la NewsRoom. Pendant le téléchargement, les médias sont lus en streaming à partir du cloud.
Pourquoi ne travaillez-vous pas tout le temps en streaming ?
Ce serait moins fluide, et le coût en bande passante serait trop important. Pendant le montage, le même média va être lu 30 à 40 fois à partir de la timeline. Nous avons dessiné la solution pour qu’elle soit opérationnelle dans des environnements réseaux dégradés, par exemple lorsque le monteur commence à monter dans le train avec un réseau intermittent. Un agent local connaît les médias déjà cachés sur la machine et en fonction de l’avancée du montage, scrute la timeline pour rapatrier les proxys nécessaires et pour envoyer vers le cloud ce qui n’est pas encore dans le système central.
Des monteurs travaillent avec Adobe Premiere Pro, qu’est-il prévu pour eux ?
Ce sont des développements prévus sur notre feuille de route, nous souhaitons porter la technologie sur Adobe Premiere Pro. Un certain nombre de workflows que nous mettons en place chez nos clients sont déjà possibles, autour de l’environnement Xtend. Adobe Premiere Pro est alors déployé sur un workspace AWS en PCoIP, les médias haute résolution doivent être dans le cloud. Il y a quelques différences entre les deux systèmes ; en PCoIP on ne propose pas le double écran. Cela dépend du type de montage et des besoins d’effets avancés.
Chez France Télévisions, France 24 utilise à 90 % OneCut, France 2 et France 3 national utilisent à 90 % Premiere Pro ; pour France 3 Ile-de-France, c’est 50/50. On a déployé aux USA des systèmes en Hub & Sopke.
Pour les bandes-annonces de StrarZ par exemple, un lieu de production en Californie comporte un MAM Dalet, la fabrication est effectuée dans le Colorado. Les BA sont montées à partir des proxys watermarkés ; tout le monde étant connecté à travers le cloud sur la même base de données. Une fois les projets terminés et validés, les rendus sont réalisés en Californie. Le proxy fait 20 Mbits/s et le fichier High Res est un fichier Apple Pro Res de 150 Mbits/s. Aucun média n’est physiquement présent dans le cloud.
Pour vos clients dont les solutions sont déployées en interne, quelles solutions leur avez-vous proposées pour répondre aux problématiques du Covid-19, et leur permettre de travailler à distance ?
Nos solutions on premise offrent déjà des possibilités pour travailler à distance avec un client web (Dalet WebSpace) et un client mobile sur iOS ou Android (Dalet OnTheGo) ; nous les avons activées pour certains clients. Pour ceux de nos utilisateurs qui utilisent de vieilles versions de Galaxy, nous avons lancé au mois de février Dalet Galaxy xCloud, un packaging SaaS de notre offre de remote editing. Cette offre fonctionne sur AWS. Nous avons accéléré avec la crise du Covid-19 la mise en œuvre de ce service et l’avons porté sur les systèmes on premise de nos clients. Après définition des médias à utiliser dans le cloud (proxy ou fichiers natifs et proxy), les monteurs utilisent OneCut directement sur leur PC, ou Premiere via une solution PCoIP. Nous avons également lancé ce service car il permet aux utilisateurs de travailler avec un minimum de formation, ce sont les mêmes interfaces. De nombreux clients y voient une opportunité d’ajouter des fonctionnalités à leur système sans modifier leur workflow.
Comment se passe la gestion des médias dans le cloud ?
C’est une question culturelle. En Europe, hors Royaume-Uni et Irlande, les gens conservent les fichiers haute résolution sur site ; nous déployons donc plutôt des environnements hybrides avec une copie des proxys dans le cloud. En Angleterre, aux USA ou en Australie, de plus en plus de clients y placent également leurs fichiers haute résolution. Ils utilisent par exemple les solutions de stockage cloud Amazon S3 ou Amazon Glacier pour l’archivage HSM sur bande. Aux USA, de grands groupes ont des accords avec AWS et les tarifs deviennent intéressants.
Penses-tu qu’à terme les structures de postproduction seront entièrement dans le cloud, sans machines physiques ?
À mon avis, cela prendra un certain temps et dépendra de calculs économiques et stratégiques, plutôt que de questions technologiques. Je pense qu’à moyen terme presque tout sera hybride, parce qu’il y a peu d’intérêt économique à tout garder on premise.
Extrait de notre dossier « Postproduction & Cloud » paru dans Mediakwest #37, p. 82-102. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.