Motion Motion : une deuxième édition au cœur des métiers du graphisme animé

La deuxième édition de Motion Motion, rendez-vous du graphisme en mouvement qui s'est déroulé à Nantes le 19 mai, a montré le dynamisme de cette filière tout en confirmant qu’une telle manifestation - où se succèdent des témoignages approfondis de professionnels du motion design sur leur pratique - parle aussi bien à un large public intéressé par les arts numériques qu’aux professionnels du motion design 
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Après que Matthieu Colombel ait replacé dans son contexte le motion design, Matthieu Chevalier, Cyrille Macé et Barthélémy Picq, les trois co-fondateurs du studio Yodog, ont pu tester le sens de l’humour d’une assistance éclairée grâce à leur décryptage humoristique de tous les pièges à éviter quand on veut produire un film en motion design pour une marque.

Toutes les étapes de travail et les compétences clés furent ainsi balayées par le trio d’associés, du directeur artistique à l’illustrateur en passant par le motion designer lui-même, sans oublier le compositeur et la voix-off. Bien entendu, nos jeunes entrepreneurs, déjà expérimentés, ne manquèrent pas de décrire un projet idéal et les contraintes du client qui obligent souvent un studio à trouver des solutions techniques et artistiques pour entrer dans le budget et les délais. Mais, comme le rappelait Barthélémy Picq : « De la contrainte, naît souvent la créativité. Et puis le motion design est un artisanat qui se distingue de l’art par sa capacité à s’adapter aux limites d’un brief. » D’ailleurs, nos compères insistèrent sur la nécessité de soigner l’étape de préproduction en compagnie du client « qui doit idéalement durer deux semaines et permettre de valider sans surprise toutes les étapes de production par la suite ».

Générique de film :
 une approche variée et artisanale du motion design L’origine du motion design se confond souvent avec celle des génériques de film. Et, pour cette deuxième édition de Motion Motion, Matthieu Colombel et son équipe d’organisation avaient invité Laurent Brett, un orfèvre en la matière, dont la carrière se confond avec la plupart des évolutions techniques et artistiques du motion design depuis les années 80.
 Laurent Brett se définit volontiers comme un touche-à-tout du graphisme animé et du générique. Inspiré par les maîtres du graphisme des années « vinyles », il s’est aussi très tôt familiarisé avec des outils d’édition numériques comme After Effects. Fort d’une maîtrise technique sûre, il a même fait un début de carrière américaine en 2005 en concevant le générique en 3D du film Otage  réalisé par Florent Siri, avec Bruce Willis dans le rôle titre. Mais, comme il aime à le rappeler, Laurent Brett reste « attaché à la France et à la dimension artisanale de son travail ». La rencontre avec un réalisateur comme Michel Hazanavicius a également été déterminante dans sa carrière. « Nous avons instauré une relation de confiance avec Michel Hazanavicius qui fait qu’après avoir réalisé le générique de OSS 117, j’ai conçu les génériques de nombre de ses films par la suite. »

Au total à ce jour, Laurent Brett a enchaîné 130 génériques de films et séries avec un intérêt chaque fois renouvelé par la variété des techniques utilisées : « ce n’est pas forcément le marché le plus rémunérateur, souligne-t-il, et les délais de production sont généralement courts, mais c’est une activité variée dans laquelle on garde une grande maîtrise artistique. On alterne du pur motion design, 2D, 3D, des tournages réels avec des VFX… »

 

Le sound design décortiqué

Le sound design prend une part importante dans la réussite d’un clip en motion design ou d’un habillage sonore de chaîne de télévision. Norbert Gilbert (Yellow Shark Music), en tant que professionnel parmi les plus réputés dans ce domaine, a en tout cas convaincu le public de Motion Motion que ce métier ne devait rien au hasard, mais à l’expérimentation. Pour lui, « le talent d’un sound designer se mesure à sa capacité de créer des sons qui n’existent pas ». Le sound designer français a notamment expliqué comment il avait élaboré l’habillage sonore de la chaîne Canal+ il y a une dizaine d’années. « La difficulté, dans le cas précis du design sonore d’un habillage d’antenne, tient dans la répétition de celui-ci. Les sons doivent être à la fois reconnaissables, tout en n’ayant pas une ligne mélodique trop marquée, afin que les écoutes répétées ne deviennent pas fastidieuses à la longue. »

Pour ce cas d’usage, Norbert Gilbert a donc décidé de concevoir une banque de sons élémentaires, du type phonèmes émanant des voix de deux chanteurs et un note à note de sons émanant d’un vibraphone, un instrument de musique proposant de fortes résonances harmoniques. Norbert Gilbert a ensuite mixé ces voix et ces notes avec une « beatbox » suivant différentes variantes dynamiques lui permettant de créer une grande variété d’ambiances sonores, différentes tout en étant facilement identifiables.

 

L’interactivité temps réel
 au cœur de Motion Motion

Éclectique, Motion Motion conjuguait également, comme en 2017, le graphisme en mouvement avec le temps réel. L’artiste Shandor Churry était le premier à ouvrir le bal dans ce registre avec une plongée au cœur des toutes dernières technologies d’animation en temps réel utilisées sur les grands événements. Il a expliqué comment aujourd’hui, sur la base de softs d’édition tels que Unity3D ou Onreal, il était possible de réaliser des œuvres de plus en plus complexes, mais surtout d’intégrer les images et la lumière comme des éléments indissociables d’une performance. À ce titre, Shandhor Churry a montré comment il se détourne aujourd’hui des outils de création 3D reposant sur des boucles d’animation nécessitant un temps de rendu important, pour basculer vers des outils d’animation utilisant les technologies d’animation procédurale. Rappelons que cette technique repose sur l’animation d’objets virtuels par génération en temps réel de mouvements suivant des règles procédurales. L’animateur 3D doit alors simplement spécifier des règles d’animation en amont (comme des lois du monde physique) avant de lancer… une simulation. « Avec cette nouvelle génération d’animation générées en temps réel, explique Shandor Chury, sur un seul PC je peux gérer jusqu’à 140 flux vidéo d’animations en haute définition, là où auparavant c’était tout juste impossible ! »

Le fondateur et directeur artistique du studio OVVO utilise en particulier le logiciel Touch Designer édité par le canadien Derivative qui bénéficie d’une base open source. Selon Shandor Chury, cet outil peut être adapté à quasiment n’importe quelle interface de projection, comme tout récemment pour piloter l’animation en motion design d’une installation présentant l’avancement du tracé du Grand Paris Express au sein d’un showroom. Ce showroom dédié est articulé autour du mélange de nombreuses techniques de pointe en matière de pixel mapping et de pilotage des animations (via un iPad). Il a été intégré par la société toulousaine Initial Project/Dea Light. « Dans ce cas précis, l’avantage de Touch Designer, insiste Shandor Chury, est qu’il dispose d’une communauté de développeurs importante qui m’a permis de trouver les moyens de piloter des interfaces, comme des faisceaux laser utilisés habituellement dans le domaine de la voiture autonome, adaptées ici à cette installation événementielle. »

 

Animation procédurale
 versus pré-calculé


Shandor Chury a aussi expliqué comment le réalisateur de films Ridley Scott a utilisé, dans le dernier opus d’Alien, ce genre de logiciel d’animation temps réel qui génère des animations interactives pour éclairer et piloter les 140 écrans des vaisseaux spatiaux du film. Ridley Scott souhaitait, grâce à cette technique, permettre aux acteurs d’interagir avec certains boutons lumineux et ainsi préserver le naturel de leur jeu. Seul inconvénient de cette technique : les animations interactives doivent être pensées très en amont du tournage pour être concrètement implémentées et pilotables lors du tournage.

Autre film, autre technique ; sur Valérian et la cité des mille planètes, Julien Vallet – responsable du studio de Motion Design de Mikros Image – et ses équipes ont utilisé un workflow plus classique, propre aux effets visuels numériques et au composting. En effet, Luc Besson a fait appel à Mikros Image sur le tard alors que la postproduction était déjà largement entamée. De ce fait, la quarantaine d’écrans du vaisseau ont été filmés vides sur le plateau de tournage avec juste des lumières en bordure des écrans servant d’informations lumières pour la postproduction.

Mikros Image a réalisé une phase de préproduction de trois semaines, consistant à concevoir sous Illustrator des planches 2D très précises du contenu des tableaux de bord et écrans. Ensuite, via un compositing par couches successives sur Nuke, l’ensemble des éléments lumineux, dont un grand nombre en transparence, a été intégré dans les séquences à l’issue d’un long travail de tracking et de rotoscopie. Ainsi, si seulement quatre motion designers ont été sollicités sur la préproduction, une trentaine de personnes ont été nécessaires pour réaliser la composition des scènes finales.

 

Animations interactives et VJ’s autour du motion design


Durant la journée, les visiteurs de Motion Motion pouvaient aussi découvrir des installations interactives spécialement conçues pour l’occasion au sein d’un espace baptisé « The Motion Playground ». Le motion design y tenait une place centrale, notamment par le biais d’une version revisitée du fameux ancêtre des jeux d’arcade « Pong ». Pong avait été transfiguré à la taille d’une scène entière grâce à des outils de capture de mouvements du type Kinect et transformé en expérience graphique hallucinée autant que ludique grâce au travail créatif préalable de l’agence digitale Biborg. Cette agence spécialisée dans la conception de dispositifs numériques expérimentaux, qui dispose d’un studio de sept personnes à Nantes, a ainsi créé des univers aux graphismes variés revisitant toutes les tendances du graphisme actuel ou passé.

Motion Motion 2018 s’est terminé enfin en point d’orgue avec performances musicales et visuelles, l’une réalisée par le studio Yodog avec la musique électro de De la Romance et l’autre via un collectif de Motion Design Nope associé à la musique de 20Syl (Hocus Pocus, C2C…). Un moment particulièrement privilégié pour découvrir que le motion design se conjugue avec une grande fluidité avec la musique électro.

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 118-120. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.