Nicolas Deveaux – L’animation 3D, une question de mesure ?

Auteur et réalisateur de films d'animation en relief, Nicolas Deveaux a cette année signé 5mètres80, un court-métrage mettant en scène des girafes dans une situation plutôt loufoque. L'univers de ce créatif, décalé et facilement identifiable, ne laisse pas insensible... Repéré en 2003 par Cube Creative Company à la sortie de l'École supérieure d'infographie Supinfocom, il a rapidement acquis la reconnaissance de la profession avec un premier court-métrage dans le même esprit : 7tonnes2. Le réalisateur a ensuite travaillé sur de nombreux projets publicitaires et muséographiques avant de finaliser, cette année, son second opus. Il commente son parcours et nous fait partager sa vision de l'animation...
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MEDIAKWEST : Pouvez-vous retracer votre parcours?
Nicolas Deveaux : C’est presque par hasard que je me suis retrouvé à Supinfocom, une école formant des infographistes 3D et que, 4 ans plus tard, j’ai réalisé mon premier court-métrage. J’ai pu me lancer en tant que réalisateur grâce à 7tonnes2. J’ai alors réalisé mes premiers clips publicitaires en déclinant le concept de l’éléphant mis en scène dans ce court-métrage pour du sopalin, du thé… Puis les fondateurs de Cube, anciens d’ex-Exmachina, m’ont entrainé dans des aventures de production pour des parcs à thème ; ces projets étaient le plus souvent en relief. En 2012, répondant à un concours d’écriture pour les ateliers Orange, j’ai remporté le prix fiction avec le scénario de 5mètres80, ce qui m’a permis de finaliser ce film 3D relief fin 2012. Depuis, 5mètres80 a fait des « petits », puisque j’ai développé la campagne d’habillage France 3 de l’été 2013 dans le même esprit…

MK : Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’animation 3D relief ?
ND : Quand le relief est vraiment justifié dans la narration, il peut faire vivre un volume de façon presque tactile. Il rend le spectateur actif, on voyage plus librement dans les images en relief alors que dans la mise en scène traditionnelle le regard est dirigé, même peut-être parfois trop ! À mon sens, le relief est un médium qui se cherche et qui n’a pas trouvé totalement son espace d’expression. Ma première expérience sur ce territoire a démarré avec Monstres des abysses, un film grand format de Pascal Vuong, post-produit chez Cube. Je me suis intéressé aux possibilités de la stéréo 3D naturellement, d’autant que l’image de synthèse est technologiquement
bien adaptée à ce type de mise en scène.

MK : Votre premier court-métrage, 7Tonnes2, raconte l’histoire d’un éléphant qui s’entraine au trampoline. Le dernier court-métrage, 5mètres80 montre des girafes… Les animaux vous intéressent-ils plus que le monde des êtres humains ?

ND : Dans 7tonnes2 et 5mètres80, l’animal sauvage se réapproprie un espace humain (le gymnase, la piscine) avec ses propres capacités. L’animal est le reflet de ce que nous sommes et je crois que c’est pour cela que l’animal qui « singe » l’humain nous fait rire. Je pense qu’en tant qu’êtres humains, nous projetons beaucoup de choses dans l’animal et finalement ces films parlent peut-être plus de l’homme que de l’animal !

MK : Que souhaitiez-vous montrer avec ces films ?
ND : En fait, ce qui me plaît et ce que je cherche, c’est le surréalisme, l’humour, la poésie. J’essaye d’utiliser ce que je sais de l’animal pour le confronter à des situations crédibles mais fantastiques. Les pattes de girafes ne sont pas adaptées au saut. Je vais donc utiliser leurs cous comme des leviers pour les propulser en l’air. J’essaye de me mettre à la place de l’animal pour penser un rêve de girafe, un rêve d’éléphant. Pour les deux films, il était très important que le spectateur puisse se mette à leur place, qu’il se réjouisse, par exemple, du sentiment de légèreté que peut avoir un éléphant sautant sur un trampoline.

MK : 5mètres80 a remporté le Prix Film d’Animation au Festival Dimension 3 2013. A-t-il participé à d’autres festivals internationaux ?
ND : 5mètres80 a également été présenté aux festivals d’Annecy, BE film à New York, Sao Paulo au Brésil, il a eu un double prix au festival3D de Grenoble, il sera sur Off-courts à Trouville, Animatou à Genève, le Festival Européen du Film Court de Brest, le short film corner de Cannes… J’espère que sa vie dans les festivals ne fait que commencer !

MK : Dans 5mètres80, vous étiez non seulement le réalisateur, mais aussi stéréographe. Pour 7tonnes2, vous vous occupiez à la fois de la réalisation, du scénario, de l’animation… Cette polyvalence est-elle un atout ?
ND : Je ne suis pas uniquement réalisateur, je suis aussi graphiste et espère bien le rester. Travailler en tant que graphiste me permet d’obtenir vraiment ce que je veux et je peux également vivre davantage de ma créativité. Pour ce qui est de la mise en relief, nous n’avons pas de stéréographe chez Cube. Ce poste est moins déterminant dans l’image de synthèse que dans la prise de vue qui est soumise à l’urgence du « live ». Je fais donc mes caméras moi-même, je peux tester, me tromper, revenir… Bien sûr, je me documente, j’apprends sur le tas !

Pour ce qui est du scénario, j’aime développer mes propres concepts, trouver ma propre écriture, mais j’adorerais aussi travailler avec un scénariste, ce serait pour moi un véritable plaisir… Cependant le budget des courts-métrages est limité et l’on doit soumettre un projet avancé à la production pour pouvoir mener à bien un film !

MK : Quels sont les postes techniques garants de la réussite d’une production CGI et d’une production CGI 3D ?
ND : Au risque de vous étonner, je dirais que le travail du directeur technique – et sa concertation avec le directeur de production – m’apparaissent comme indissociables de la réussite d’un projet CGI. Je suis en dialogue permanent avec eux pour définir les besoins du projet : faisabilité, solutions ou contournement de défis techniques, préparation du tournage…
Après, tous les postes graphiques sont d’égale importance. Nous formons tous une sorte de chaîne pour arriver au produit fini et certains graphistes peuvent assumer plusieurs postes suivant les projets : scénario, story-board, animatique 2D, animatique 3D, lay-out, design, modeling, texture, set-up/rigging (préparation d’un modèle à l’animation), animation, caméra, simulation (effets d’eau, poussières…), shading (travail des matériaux), éclairage/rendu, matpainting (décors peints), compositing/étalonnage, responsable des sorties.
Comme vous l’aurez compris, et même s’il y a des exceptions, un film en images de synthèses fédère beaucoup de métiers et de savoir-faire complémentaires et variés. Une société de production/post-production aussi expérimentée que Cube offre l’avantage, entre autres, d’interfacer tous ces métiers au sein d’une équipe performante.

MK : Que vous apporte la collaboration avec la société de production Cube Creative Company ?
ND : La question est vaste ! Cube est une structure qui me soutient, avec elle je me bats pour faire rentrer des projets. Cette société m’aide à m’épanouir en tant qu’auteur. Au sein de Cube, j’ai appris et j’apprends mon métier dans le cadre d’un vrai travail de collaboration.

 

MK : Les titres de vos films comportent souvent des dimensions très mathématiques (chiffres, tonnes, mètres…). Est-ce que ces chiffres montrent vos intentions de trouver une sorte de théorème cinématographique ? Quel serait ce théorème cinématographique selon Nicolas Deveaux ?
ND : Trouver un titre pour un film, c’est compliqué ! Dans mes histoires, je cherche à ne pas tout dévoiler d’un coup. Je ménage des surprises et, donc, ce n’est pas pour tout livrer dans le titre ! J’ai fini, pour 7tonnes2, par livrer le poids de la bête. Le titre devient lui-même une énigme pour celui qui n’a pas encore vu ce film dont le contraste poids/légèreté est le thème central. À noter que 7tonnes2, le poids d’un éléphant assez lourd, est aussi un jeu de mot : lu à voix haute, il donne phonétiquement: « s’étonne de… ». C’est un peu tiré par les cheveux, mais bon… Il n’y a donc pas de théorèmes cinématographiques là-dessous !