Moovee : Comment s’est faite la genèse du Nikon Film Festival ?
Alexandre Dino : Ce festival est né de la volonté de Nikon d’être plus présent dans l’écosystème de la création vidéo, il y a maintenant dix ans. Nous avions constaté une énorme méconnaissance de nos produits, de notre matériel vidéo, auprès des vidéastes professionnels. Nous nous sommes interrogés sur la solution la plus pertinente pour corriger cette anomalie : faire de la publicité, être encore plus présents sur les salons professionnels dédiés à la vidéo… Si les vidéastes nous assuraient de la bonne qualité de notre matériel, Nikon n’était pas identifié comme un acteur du marché de la vidéo. C’est ainsi qu’est né cet événement, pour rencontrer les créateurs, générer des rencontres avec nos produits.
Plutôt que de faire une communication ponctuelle, nous avons préféré mettre les utilisateurs en avant. C’est une initiative locale, nous fonctionnons comme un festival indépendant au sein d’une grande marque japonaise. En France, nous avons une appétence pour le cinéma d’auteur et nous avons créé un écosystème, les groupes de participants, qui sont devenus comme une pépinière de talents, qui se renouvelle régulièrement.
M : Pourquoi avoir, dès l’origine, choisi le format court sur Internet ?
A. D. : Nous recherchions le support qui permettait à la fois de toucher un maximum de spectateurs et de réduire le plus possible les contraintes liées à la création et à la diffusion d’un film, le format très court sur Internet était donc une évidence. Même si à l’époque ce format était émergent, celui-ci permettait déjà de toucher plus de monde et surtout d’atteindre les jeunes talents. De fil en aiguille, ce rendez-vous annuel a pris de l’ampleur.
M : Le Nikon Film Festival fête sa dixième édition, avec remise des prix, le 13 mars au Grand Rex (Paris). Il est devenu un rendez-vous incontournable. Comment expliquez-vous ce succès ?
A. D. : Nous sommes les premiers étonnés par l’effervescence qui existe autour du festival et par la pression que se mettent certains vidéastes. De notre côté, nous n’avons pas changé notre volonté initiale : proposer un événement gratuit ouvert à tous, sans enjeu, pour favoriser l’accompagnement, rien de plus. Le fait est que ce rendez-vous est reconnu par les institutions, comme le CNC : depuis deux ans, les lauréats sont éligibles au Fond CNC Talent et ont accès à des bourses pour des résidences d’écriture. C’est une bonne chose pour la crédibilité du festival, surtout pour les participants.
M : Comment s’est faite la montée en puissance ?
A. D. : Dès la première édition, nous avons reçu plus de 300 projets, ce qui était bien plus que ce à quoi nous nous attendions. Cela s’est amplifié jusqu’aux septième et huitième éditions, puis cela nous a obligés à revoir en partie le fonctionnement du festival. Nous avions constaté un effet une bascule vers le grand public. Nous avons voulu freiner cet aspect « concours grand public » qui pouvait nuire à la qualité de l’évènement. Ces changements ont permis de ralentir la croissance dans le nombre de films reçus. Sur l’édition 2020, nous avons 1 241 films en lice. Nous ne sommes pas dans une course à la quantité, nous privilégions vraiment la qualité.
M : Quelles règles ont changé ?
A. D. : Depuis trois ans, le prix du public a été revu. Auparavant, il était basé sur un concept de votes quotidiens. Cela nous a beaucoup aidés au début, puisque les internautes en parlaient et incitaient leurs amis à voter. Dorénavant, on ne peut voter qu’une seule fois pour un film. Cela a réduit le nombre de votes, mais permet d’éviter l’effet clic, qui n’était pas l’objectif.
M : Quelles sont les conditions pour participer au Nikon Film Festival ?
A. D. : Elles sont simples : il faut respecter le thème imposé qui change chaque année. Cette année, les films doivent traiter de « Une génération ». La seconde contrainte est la durée : entre 2 minutes et 2 minutes 20. Tout le reste est libre : le matériel utilisé, le format de la vidéo, la langue (avec un sous-titrage en français). Tout l’esprit du festival est justement de limiter au minimum les contraintes, afin que tout le monde puisse participer et ce, quel que soit son âge, son pays, etc. L’an dernier, nous avons eu des participants de 7 à 73 ans, même si globalement l’âge moyen est de 30-35 ans. Nous ne voulons surtout pas cloisonner, cette liberté est l’ADN du festival. Les dix prix permettent ensuite de mettre en valeur quelques créations qui sortent du lot.
M : Quels sont les partenaires ? Le Nikon Film Festival a-t-il eu comme stratégie de les multiplier ?
A. D. : Nous avons refusé de nombreuses sollicitations pour éviter de perdre l’essence même du festival. Nous avons vraiment fait attention à grandir doucement, mais sûrement. Nous faisons confiance aux partenaires qui nous ont accompagnés dès le départ, comme Canal +. Ils nous ont beaucoup aidés et nous faisons grandir ce partenariat avec cohérence, que ce soit sous forme d’accompagnement, de pré-achats, d’un prix parrainé par la chaîne cryptée. Ensuite, l’idée n’est pas d’être dotés d’un millefeuille de partenariats, mais de recueillir des propositions alléchantes pour les participants. L’idée n’est pas de multiplier les partenariats, mais de construire des collaborations fortes et pérennes pour accompagner au mieux les talents et assurer le bon fonctionnement du festival chaque année.
M : Est-ce que des talents se sont confirmés depuis la première édition du festival ?
A. D. : On peut citer Noémie Merlant (qui vient de décrocher le Prix Lumières de la meilleure actrice pour Portrait de la jeune fille en feu), prix Canal +, en 2017 pour son premier court-métrage, Je suis #unebiche. Marc Riso vient de remporter le prix du court-métrage au festival de l’Alpe d’Huez, avec Partage qu’il a coréalisé avec Johann Dionnet, le grand prix du jury de notre neuvième édition. Ce sont majoritairement des comédiennes et comédiens qui se distinguent ; nous avons aussi accompagné des réalisateurs sur des séries et des longs-métrages qui arrivent bientôt.
M : Avez-vous constaté des évolutions en termes de qualité ?
A. D. : Nous avons assisté à une montée en gamme, notamment sur l’image, mais également sur le son. Ces dernières années, nous recevons de nombreux films très bien réalisés. Même si la qualité était déjà là les premières années, nous étions encore dans des réalisations amateurs. C’est surtout au niveau de l’organisation que les équipes se sont professionnalisées, d’autant que les moyens se sont démocratisés. Certains font appel à des professionnels pour la postproduction. Un réseau s’est créé et nous essayons d’aider à la mise en relation de ces amateurs et professionnels. Cette année, nous avons ouvert un corner « annonces » sur notre site pour faciliter ces prises de contact.
M : Cette année, le jury est présidé par Cédric Klapisch. Comment le festival est-il perçu dans le milieu du cinéma français après dix ans d’existence ?
A. D. : Nous n’avons plus à présenter le festival et nous avons la chance d’avoir une bonne image tant auprès des professionnels, que du grand public. Comme le festival est devenu important, que le jury est plus prestigieux avec des membres plus nombreux, c’est devenu plus complexe au niveau de l’organisation, mais c’est avant toute chose un vrai plaisir. Nous avons appris en même temps que le festival croissait, mais j’espère que c’est une belle expérience pour ceux qui participent.
LE NIKON FILM FESTIVAL, HORS LES MURS
Pour la dixième édition, 1 241 films ont été validés par l’organisation et mis en ligne gratuitement sur le site du festival. Le vote pour le prix du public était ouvert jusqu’au 1er mars. Une présélection de 50 films est réalisée par un comité composé de plusieurs membres de l’organisation (Nikon) et des professionnels du secteur de l’audiovisuel. Celle-ci est ensuite visionnée par le jury dans une salle de cinéma avant délibération. Elle a été diffusée le 5 mars au Grand Rex.
La remise des prix, le 13 mars, a été pour la première fois publique, grâce aux 2 800 places du cinéma parisien. La présélection a aussi été diffusée dans une quinzaine de salles du nouveau partenaire CGR dans toute la France, et ce, à l’occasion de la Fête du Court-Métrage. Enfin, les dix films lauréats seront inclus à la Collection dédiée au Nikon Film Festival dans le Catalogue Marché du Short Film Corner. Ces lauréats bénéficieront d’accréditations au Festival de Cannes pour la période du Short Film Corner. Le prochain appel à projet du Nikon Film Festival s’ouvrira en octobre 2020.