Une jeune pousse comme la société Previz, fondée pourtant entre autres par un infographiste chevronné comme Laurent Erhmann, est en panne de « previs 3D » depuis un an. Et, ce, alors même que Previz avait réalisé des previs de haut niveau sur plusieurs projets de longs métrages ambitieux comme pour la séquence de fin du film Lucy réalisé par Luc Besson. Laurent Erhmann est même un peu amer : « Il n’existe pas en France suffisamment de projets de longs métrages ou de fictions TV dans lesquels les VFX justifieraient l’usage de la previs ou alors les projets se délocalisent ».
De son côté, Hugues Namur, superviseur des effets visuels numériques chez Mikros Image, admet que le contexte économique en France était jusqu’ici peu favorable à la previs. Mais, il ne partage pas un tel pessimisme. Pour lui, l’explication est aussi technique et artistique : « La previs, aussi bien faite soit-elle, peut s’avérer trop contraignante pour un réalisateur et son directeur photo qui, parfois, vont vouloir sortir du cadre imposé en amont du tournage, afin de capter une intention, un angle de vue ou un mouvement de caméra imprévu. Dans ce cas, la seule solution est d’avoir sous la main au tournage un superviseur de VFX, qui rappelle les contraintes techniques liées aux VFX par la suite et va servir de garde-fou, et de disposer le cas échéant d’une solution technique temps réel ou quasi-temps réel de previs-on-set ».
La previs à l’aide de son iPad
Dans le registre de la previs-on-set, on voit d’ailleurs poindre plusieurs typologies de solutions techniques, y compris basées sur des outils de visualisation grand public. C’est la voie empruntée par deux spécialistes de la prévis et de la postvis, Cédric et Dave Decottignies. Ces deux infographistes, « Géo Trouvetou » de la postproduction et des VFX, mettent actuellement la dernière main à une application pour iPad et iPhone dédiée à cet usage.
« À la suite de travaux sur des fictions TV comme Le bureau des légendes ou Le chapeau de Mitterrand sur lesquelles on nous a demandé de jouer les pompiers de la previs, nous avons réfléchi au développement d’un outil simple, mais assez précis, reposant sur la capacité de positionnement dans l’espace d’une tablette, grâce à sa caméra et son gyroscope », expliquent-ils.
Le principe est simple : des décors 3D sont pré-chargés sur des serveurs et visualisables au travers de l’application. Sur le plateau, le réalisateur ou son directeur photo cherche le cadre qu’il veut réaliser à l’aide de sa tablette, comme il le ferait avec un pointeur. Et une fois qu’il l’a trouvé, il peut lancer le calcul sur des serveurs distants de l’ensemble d’une séquence en basse définition qui intègre le décor virtuel positionné avec précision dans le cadre de caméra choisi. Cette image de previs véhiculée via Internet peut, en outre, être transférée à un moniteur de caméra relié à l’Internet. « Pour l’instant, explique Cédric Decottignies, nous finissons une version beta de l’appli qui demande un temps de calcul de plusieurs secondes entre le moment où l’on a choisi son angle de vue et l’incrustation finale du décor en images de synthèse, mais à terme nous comptons nous rapprocher du temps réel ».
La previs-on-set temps réel : outil de créativité et de productivité
Pour autant, l’essentiel du marché de la previs-on-set est tourné vers des outils informatiques spécifiques qui proposent un tracking des caméras de fiction en temps réel sur le plateau, permettant ainsi l’insertion en direct du décor virtuel et des effets à l’intérieur d’un moniteur de contrôle. Les principaux promoteurs de ces outils sont américains (Lightcraft) et français (SolidAnim) avec son SolidTrack.
Premier système de « previs-on-set » en temps réel à avoir été utilisé à grande échelle dans la fiction, Lightcraft Technology repose sur l’analyse de mires installées préalablement au plafond ou sur le gril d’un studio de prises de vues. Premier système du genre, compact et rapide à mettre en œuvre, Lightcraft nécessite toutefois une installation préalable au sein d’un lieu de tournage fermé et à l’éclairement maîtrisé.
Son concurrent français, SolidTrack, a lui adopté un parti pris technique différent, basé sur l’absence de « markers » dans le décor ou au plafond, qui s’adapte à tous les lieux de tournage intérieurs ou extérieurs. Une option qui lui fait remporter un joli succès depuis deux ans parmi les plus grands studios de VFX au monde – Weta Digital, The Third Floor… – et des réalisateurs aussi célèbres que pointus comme James Cameron ou Robert Zemeckis.
Jean-François Szlapka, le DG de SolidAnim, commente les choix qui ont conduit à la conception de SolidTrack : « Suivre la caméra sur le plateau et retranscrire ses mouvements dans le décor virtuel date du film Avatar de James Cameron qui, à l’époque, a détourné un système de mocap optique traditionnel en installant des marqueurs habituellement placés sur un comédien directement sur ses caméras. Ce principe, précis au millimètre près, n’était toutefois pas manipulable facilement dès lors qu’on voulait créer des mouvements de caméra amples, sans compter le temps de préparation d’un tel dispositif particulièrement long et, de ce fait, incompatible avec les conditions de tournage de la plupart des films ».
C’est ainsi qu’est venue l’idée à SolidAnim de tester un dispositif ad hoc utilisant une caméra dédiée (« témoin ») reposant sur des techniques de reconnaissance des formes au sein d’éléments contrastés, et qui vient en renfort des caméras principales. Cette caméra « témoin » est capable de positionner en temps réel les éléments du décor virtuel sur un plateau.
SolidTrack a l’avantage d’être simple à utiliser, tout en ayant fait ses preuves sur des scènes de films particulièrement complexes comme, en 2014, dans la séquence de la marche sur un fil entre les deux tours du World Trade Center dans The Walk réalisé par Robert Zemeckis. Cette séquence condensait la plus grande complexité dans un décor à 90 % virtuel avec des changements d’axe, une rotation zénithale au-dessus des personnages, des travellings amples… Depuis ce film, SolidTrack a également été utilisé sur plusieurs blockbusters hollywoodiens, dont Gods of Egypt et Alice au pays des merveilles 2 qui sortiront d’ici l’été 2016 dans les salles. Dans chacune de ces productions, SolidTrack a été utilisé avec un technicien pour le manipuler durant l’intégralité des quatre à cinq mois de tournage en studio, puisque l’ensemble des décors était composé de fonds verts ou bleus.
Malgré ce succès à l’international, SolidTrack n’était toujours pas utilisé sur le sol français… jusqu’au début de l’année 2016. « C’est en train de changer, souligne, optimiste, Jean-François Szlapka, le directeur général de SolidAnim. La filière long métrage ne s’est toujours pas approprié notre outil, mais les équipes de production de téléfilms et séries TV semblent avoir cerné les gains de productivité qu’il peut représenter en vue de généraliser l’usage des décors virtuels et hybrides (réels-virtuels). L’autre argument en faveur de l’adoption de SolidTrack vient de ce qu’en France la division du travail est moins forte que dans les pays anglo-saxons au niveau des équipes de production et de postproduction. Ainsi, dans la mesure où nous offrons la possibilité de récupérer des métadonnées fiables et réutilisables en postproduction sur les réglages de focales des caméras et sur l’échelle des objets à l’intérieur des scènes tournées, les studios de VFX commencent à comprendre l’intérêt qu’ils peuvent retirer de ce transfert de données en vue de gagner du temps à la postproduction ».
Mieux, en participant au projet R&D « Previz – On-set previsualisation » piloté par Technicolor, chacun des participants à ce consortium (Technicolor, Ubisoft, SolidAnim, Loumasystems, Polymorph, INSA, Louis Lumière, Gipsa-Lab, Liris) a pu repousser les limites des outils de previs-on-set en vue de réaliser un « compositing » simple directement sur le plateau de tournage. En utilisant une Kinect venant en complément des outils de chroma key et des algorithmes d’optimisation du détourage, il est en effet possible de réaliser un « sandwich dynamique » qui consiste à insérer en direct, de manière tout à fait convaincante, visuellement parlant, un élément réel en mouvement comme un personnage entre deux éléments de décor virtuel. À terme, on peut imaginer que de tels outils on-set vont permettre de remplacer certaines tâches de compositing simples réalisées jusqu’ici en postproduction. C’est en tout cas ce genre d’évolutions qui intéressait certains membres du consortium Previz comme la société rennaise Polymorph, spécialisée dans la réalisation de films pour les musées et parcs d’attraction ; elle y voit un moyen de simplifier ses pipelines graphiques, largement basés sur des décors virtuels.
* Lire ici la première partie de cet article publiée jeudi dernier et extrait de Mediakwest #16, pp. 42-46 « La previs plante peu à peu le décor en France »… La suite demain!
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