Sur des projets complexes qui mélangent tournages d’images réelles et effets visuels numériques, la méthode de la « previs » peut être utilisée dès les premiers moments de la préproduction, notamment dans le domaine du film publicitaire où elle permet de maîtriser l’ambition artistique d’un réalisateur particulièrement imaginatif, en pointant du doigt les contraintes techniques à respecter lors du tournage afin de ne pas alourdir outre mesure le travail de conception des images de synthèse en postproduction.
Le studio Les Androïds Associés, installé depuis six ans sur les Champs-Élysées, avec à sa tête Henri Zaitoun et Volcy Gallois-Montbrun, tous deux superviseurs de VFX, s’en est même fait une spécialité. Auparavant chargés du cadrage caméra sur les « sets » de motion capture au sein d’Attitude Studio, ces deux superviseurs ont acquis la conviction que la previs est l’avenir des tournages.
De son expérience de touche-à-tout de la 3D (cadrage, montage, gestion des assets…), Henri Zaitoun retient : « La prévisualisation est certes une niche, mais elle revêt une importance primordiale, a fortiori en France où les studios de VFX n’ont pas des moyens démesurés, doivent être en mesure de limiter les aller-retour avec la production et ne peuvent se contenter d’un simple brief. Même si on investit 5 % du budget d’une production dans la previs d’un film, c’est un investissement supplémentaire dérisoire in fine, car il permet de générer par la suite un pipeline graphique tout à fait adapté à la demande créative de départ, et sans surcoût ».
Volcy Gallois-Montbrun est encore plus tranché dans son jugement : « La previs doit être envisagée comme une véritable pâte à modeler que l’on façonne jusqu’au dernier moment avant le tournage. Elle permet que l’argent d’une production soit mis exclusivement dans la fabrication de belles images et non pas dans d’éventuels aller-retour entre le studio de VFX et son client alors qu’on est déjà engagés dans le pipeline 3D. Quel studio de VFX n’a fait un jour l’amère expérience de récupérer des séquences de tournage en studio filmées en panoramique à 360 degrés, avec une grande ouverture de diaphragme qui va donner à voir une multitude de détails dans le décor virtuel à reconstruire en 3D, alors même que le budget de départ n’avait pas été évalué en fonction d’un tel niveau de précision. Notre rôle est dès lors de conseiller à la production un choix de focale plus longue, un cadrage différent ou un découpage permettant de préserver l’effet visuel, tout en faisant l’économie d’un décor virtuel trop complexe à réaliser. Aujourd’hui, la plupart des studios dans la publicité ont compris qu’il valait mieux prendre dix à quinze jours pour réaliser une previs aboutie, plutôt que d’attendre plusieurs mois le rendu définitif en 3D et prendre le risque d’une mauvaise surprise qui oblige à repartir en production. La previs est presque devenue un élément contractuel de validation du lancement de la production 3D ».
La previs, outil de validation quasi-contractuel
Généralement, Les Androïds Associés travaillent avec leur propre story-boarder et conçoivent un pré-découpage très avancé des scènes avec des tas d’annotations indiquant les « lignes rouges » à ne pas franchir lors du tournage, et ensuite on passe rapidement à la réalisation des animatiques 3D. Ils utilisent alors « Motion Builder qui a l’avantage de permettre la manipulation aisée des caméras dans un espace 3D, sans oublier la compatibilité de ce soft avec ses confrères du marché 3Ds et Maya ». Ce genre de technique a notamment été utilisé pour concevoir une publicité Perrier « Hot Air Balloons » réalisée par Fleur et Manu avec le studio MPC Paris aux manettes des VFX. La previs a permis ici de rassurer l’annonceur sur la possibilité de gérer une séquence mélangeant de manière complexe des éléments réels et virtuels.
Ensuite, ce fut au tour des équipes de tournage de disposer d’une « techvis » en vue de régler au plus juste les mouvements de grue lors des prises de vues dans la nature en Amérique latine et lors du tournage en studio sur fond vert avec des comédiens installés dans les nacelles de montgolfières. Les mouvements de caméras autour des comédiens étant particulièrement amples et complexes pour donner une sensation vertigineuse au spectateur, Les Androïds Associés ont dû fournir à l’équipe de tournage des fourchettes de trajectoires et de vitesses des grues. Et, grâce à ce travail en amont, il a été possible de rajouter de nombreuses couches d’effets et de matte painting donnant une allure de feu d’artifice à cette publicité.
Pour certains films publicitaires entièrement en images de synthèse, Les Androïds Associés utilisent également une seconde technique de previs basée sur des personnages 2D crayonnés, animés dans des décors en synthèse, car les personnages 3D, tant qu’ils n’ont pas leur rendu définitif, ne sont pas assez expressifs pour qu’un annonceur puisse avoir une vision précise de l’acting des scènes finales et valider les intentions en matière d’animation.
Cette technique de storyboard « animé » et « timé » a été retenue pour la publicité de la marque de sous-vêtements Triumph « Find The One » réalisée par Tobias Fueter et Mike Huber avec Brunch Studio. Pour ce spot inspiré par des séquences musicales de Walt Disney, Brunch Studio devait mettre en scène une chorégraphie et des timings de doublage très précis, afin de correspondre à la musique et au chant des différents personnages. En collaboration avec le superviseur Jean-Charles Kerninon et l’équipe de Brunch, Les Androïds Associés ont donc d’abord conçu des personnages en 3D pour être certains qu’ils rentreraient dans le décor final. Puis, une fois le montage quasiment finalisé, les personnages 3D ont été remplacés par les crayonnés en 2D proposant un « posing » de référence et des mouvements de caméras suffisamment précis pour guider le futur travail des animateurs. Il faut savoir que pour réaliser une telle previs 2D/3D, Les Androïds Associés ont développé un petit soft d’animation « maison » rapide à mettre en œuvre dans le cadre d’une previs.
* Cet article est paru pour la première fois en intégralité dans Mediakwest #16, pp. 42-46.
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