« La réalité virtuelle, c’est l’avenir surtout lorsqu’elle est couplée avec le temps réel », assure Sylvain Grain, producteur nouveau média chez Cube Creative Computer. « Les possibilités sont vertigineuses et, pour la création, la réalité virtuelle se montre d’une aide extraordinaire », s’enthousiasme-t-on chez Studio 100 Animation, le studio d’animation français du groupe belge Studio 100.
Engagés dans la prestation et la production de séries d’animation (mais aussi de courts et de longs-métrages), ces deux studios d’animation n’ont pas hésité à ouvrir un département dédié. Pour eux, la réalité virtuelle n’est plus seulement réservée aux applications 360 ° de quelques minutes en accompagnement d’un long-métrage, mais constitue bel et bien un nouvel outil de production prometteur mis à la disposition des artistes, et qui sort de l’expérimentation.
Chez Cube, la réalité virtuelle en création
La réalité virtuelle commence à faire son entrée chez Cube, en visualisation, dès 2016 pour les besoins du ride L’Extraordinaire Voyage : une attraction en 6K de Nicolas Deveaux pour le Futuroscope. Le client, équipé en Oculus, avait pu alors visualiser l’impact de cette production atypique combinant un écran géant hémisphérique avec une plate-forme motorisée.
La réalité virtuelle se retrouve ensuite au cœur de l’attraction immersive en VR5D Xperience produite par le Futuroscope. Parallèlement à ces expérimentations, le studio d’animation signe la production exécutive de nombreux films à 360 ° pour la publicité et l’événementiel comme Venturi, Cartier pour Stockholm (avec la société Okio), le documentaire Dans la peau de Thomas Pesquet pour lequel Cube signe toute la 3D et les VFX (production La Vingt-Cinquième Heure) ou bien l’application mobile 360 ° pour Louboutin.
Fin 2018, Cube recourt cette fois à la réalité virtuelle en tant qu’outil de création et de prévisualisation du concept graphique. Première série TV à tester ainsi l’outil VR, Tangranimo (52 fois 11 minutes), une série d’animation 3D preschool inspirée du jeu des tangrams (pour France Télévisions). Développée par Tristan Michel et Rémi Chapotot, la série s’appuie sur des univers géométriques, différents à chaque épisode, dans lesquels « props » et personnages procèdent d’une même logique de construction. Cet agencement, à la base du concept narratif de la série, s’élabore dès les étapes du développement graphique. « Si nous n’avions pas utilisé la réalité virtuelle pour mettre en place cette série, nous l’aurions réalisée en 2D », remarque Tristan Michel, co-réalisateur et directeur artistique qui a prototypé le projet en réalité virtuelle. « Mais il n’aurait pas été simple de trouver les bonnes formes pour les personnages et les décors. »
Optant pour le logiciel VR grand public de modelage Medium 2.0 (livré en standard par Oculus avec les manettes Touch) de préférence à d’autres logiciels 3D VR, Tristan Michel a commencé par prototyper les décors à partir de formes simples lesquelles, agencées entre elles, composent des montagnes, des arbres ou des grottes. « Ces prototypes d’environnement ont été très rapides à modéliser et à peindre dans Medium. Comme j’ai importé les personnages définis sous Blender, je me suis vite rendu compte des problèmes d’échelle, de proportion, etc. »
Les objets sculptés en 3D avec Médium 2.0 sont ensuite exportés pour la retopologie (création d’un maillage plus simple que celui d’origine), le « skinning » et l’animation sous Blender. Laquelle pourrait se faire directement en VR si le projet s’y prête. « Un modèle créé avec Medium ne peut pas être exporté tel quel car le nombre de polygones est trop important. Il faut donc utiliser des outils pour simplifier le nombre de polygones. D’autres logiciels en VR sont plus adaptés au “surface modeling”, mais Medium reste le logiciel le plus intuitif. »
Presque aussi précise qu’un layout, la mise en place en VR permet aux storyboarders qui bénéficient de références visuelles déjà éprouvées d’élaborer leurs cadrages sans se soucier de leur faisabilité en 3D. Pas de mauvaise surprise non plus quant à l’interprétation de la scène : « Le concept graphique n’étant plus dessiné en 2D, il n’a plus besoin d’être traduit en 3D », relève le producteur Sylvain Grain. « Les storyboarders, assurés d’avoir le résultat souhaité, peuvent donc se concentrer entièrement sur la narration et la création. »
La réalité virtuelle n’impacte pas, pour l’instant, la chaîne de production du studio d’animation qui reste conçue pour le pré calculé et repose sur 3ds maximum (remplacé aujourd’hui par Blender). « La réalité virtuelle ne modifie ni la méthodologie de fabrication ni les postes qui restent les mêmes, insiste Sylvain Grain. La manière de travailler et le temps dévolu à chaque étape vont néanmoins évoluer. La VR préfigure une nouvelle façon de fabriquer de l’animation. Lorsque le pipeline combinera en effet la réalité virtuelle avec un moteur de jeu temps réel, la création de passerelles entre les logiciels VR et le pré calculé deviendra caduque. On travaillera directement dans l’environnement définitif. »
Et Tristan Michel d’ajouter : « Le fait de visualiser directement en 3D facilite les collaborations : il est possible en effet de modéliser à deux dans la même scène (mais pas encore sur la même forme). C’est un outil de communication très efficace. »
Pour l’heure, les outils en réalité virtuelle concernant le layout en sont, chez Cube, encore au stade de l’expérimentation, mais ils préfigurent de nouvelles méthodes de fabrication. « Lorsqu’il sera opérationnel, le layout en VR représentera un gain de temps important par rapport au layout 2D », observe Tristan Michel. « En outre, il élimine tout risque d’erreurs. On peut aussi imaginer faire un layout avec des proxys (des versions légères des objets 3D). Lors du rendu, ceux-ci sont remplacés par des objets haute définition. »
Toutes les productions de Cube ne sont pas appelées à prototyper leurs props en réalité virtuelle. Si plusieurs décors de la série 3D Pfffirates (52 fois 11 minutes) ont fait également l’objet d’une mise en place en réalité virtuelle (avec Medium), la série Athleticus par exemple, réalisée par Nicolas Deveaux, du fait de sa facture hyperréaliste, peut en faire l’économie.
Studio 100 Animation met à disposition son labo digital VR
Après un test concluant mené avec The Foundry fin 2016 sur l’exploitation d’un décor en VR pour la série Heidi, Studio 100 Animation, créé il y a huit ans à Paris, est vite passé du stade de l’expérimentation à la mise en place d’un plateau de tournage virtuel. Et l’intégration de la réalité virtuelle dans son pipeline de production (notamment dans son asset manager Shotgun) s’est effectuée presque dans la foulée.
« Nous ne voulions pas aller trop vite, remarque néanmoins le producteur Jean-François Ramos. Chaque nouvel outil, s’il s’avère vraiment utile, est consolidé et sécurisé par notre studio digital avant d’être porté sur notre chaîne de fabrication (Toon Boom, Maya, Shotgun, etc.) ». Situé au cœur de Studio 100 Animation, le pôle digital, équipé en HTC Vive et Oculus Rift (avec Quill, Tilt Brush, Google Blocks, Medium et des applications maison sur Unity), est en mesure aujourd’hui de décliner la réalité virtuelle du storyboard jusqu’au layout 3D compris.
La saison 2 de Heidi (26 fois 26 minutes), dont la sortie sur TF1 est prévue en septembre prochain, a servi de test grandeur nature. L’outil de réalité virtuelle est également intervenu ponctuellement lors de la fabrication du long-métrage 3D franco-allemand Vic le viking (en salle à la fin de l’année). Il sera évidemment partie prenante sur le long métrage Heidi (prévu pour 2022) réalisé par Jérôme Mouscadet qui expérimentera cette fois-ci le layout VR (en montage automatique des plans).
Pour l’équipe à l’origine du studio digital (le producteur Jean-François Ramos, le réalisateur Jérôme Mouscadet – Code Lyoko, Lou !, Maya l’Abeille – et le directeur technique Quentin Auger), le recours à la réalité virtuelle va se généraliser à toutes les productions initiées par Studio 100 Animation qui réalise en moyenne deux séries par an.
Devenue opérationnelle, la réalité virtuelle est ainsi mise à profit dès le scouting (repérage) afin de permettre aux directrices d’écriture de s’immerger dans l’environnement. Le storyboarder, accompagné ou non d’un opérateur, est ensuite en mesure d’élaborer des scènes complexes en pilotant lui-même une caméra virtuelle sur le plateau de tournage VR. Les assets nécessaires (personnages, accessoires, décors) y sont manipulés avec des contrôleurs dans Unity via un outil maison. Les shoots 3D sont ensuite envoyés sur Toon Boom Storyboard Pro pour y être finalisés par le storyboarder. Récemment en test, les scènes filmées par le caméraman virtuel peuvent être directement exportées sur Maya.
Parmi les avantages induits par la VR et relevés par le studio, la réduction des erreurs de distance et de proportion. Ces étapes VR présentent le gros avantage d’éliminer les erreurs qui apparaissent en général lors du layout 3D et donc de limiter les corrections (retakes).
« Sur une série, le risque de faire des erreurs lors du storyboard – voire du script – est très élevé », rappelle Jérôme Mouscadet. « Plus on arrive à automatiser certaines tâches, mieux on peut se concentrer sur le storytelling, et l’équipe du layout sur l’image qui peut s’enrichir avec de nouvelles poses, éclairages, etc. »
L’apport en qualité et le gain de productivité induits par la réalité virtuelle se montrent également très significatifs : « Sur la première saison de la série Heidi, la réalisation d’un storyboard prenait en moyenne douze semaines, poursuit le réalisateur. Sur la saison 2, il nous suffit de neuf semaines (retakes compris). D’autre part, nous n’avons constaté aucun problème majeur lors du layout 3D (erreurs de proportion dans les assets, déplacements impossibles…). Notre studio indien, qui effectue l’animation et le rendu, part ainsi sur des plans de qualité. »
L’outil de réalité virtuelle peut être aussi utilisé pour modéliser des environnements « low res », voire comme aide pour l’animation : « Actuellement, nous sommes en mesure de livrer les posings du grand-père de la série Heidi et de le manipuler », précise le réalisateur. « La réalité virtuelle n’est pas utilisée pour le rigging, mais toutes les manipulations deviennent globalement plus rapides. À terme, le layout ira jusqu’à inclure le blocking (premières poses d’animation). »
En interne, le trio, dont la force de conviction vient de sa parfaite complémentarité (production, artistique et technique), n’a rencontré aucune difficulté à proposer aux équipes le nouvel outil : « La réalité virtuelle est un outil parmi d’autres qui permet d’effectuer rapidement une tâche comme modéliser une forme complexe, par exemple. Pour la tracer en 3D dans l’espace virtuel, il suffit parfois d’un simple geste », remarque Quentin Auger.
Un travail d’évangélisation s’est également effectué au niveau du groupe flamand, spécialisé dans la production de séries en prises de vues réelles et d’animation depuis 2012 (Maya l’abeille…), parcs d’attraction et salles de spectacle. « Notre plateau de tournage virtuel se trouve aujourd’hui au cœur des réflexions du groupe Studio100, se félicite le producteur. Nous nous apercevons que les métiers du cinéma et de l’animation se rejoignent. »
Studio 100 Animation met aujourd’hui son labo digital (plateau de tournage virtuel et équipe dédiée) à la disposition des producteurs de films d’animation. Ses prestations de services en réalité virtuelle incluent l’écriture jusqu’au layout 3D clé en main. « Notre objectif est d’arriver assez rapidement à proposer une solution complète, ajoute Jean-François Ramos. Si nous pouvons construire cette stratégie digitale, c’est parce que nous sommes complémentaires, que notre studio est de taille moyenne [80 personnes en moyenne, ndlr] et adossé à un grand groupe. »
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.88/91. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.