Régie finale M6 : nouvelle architecture, nouvelle philosophie

Cette année, M6 a finalisé la bascule de la diffusion des différentes chaînes du groupe sur une nouvelle architecture IP SMPTE-2110.
Une régie finale qui pilote l’ensemble des chaînes du groupe, dont l’ergonomie a été revue en profondeur avec cette nouvelle architecture IP. © DR

 

Ce projet, dont les premières réflexions remontent à trois ans, est ambitieux mais aussi pragmatique ; il a pu voir le jour notamment grâce à la détermination des équipes de la direction technique de M6 à favoriser le dialogue entre les différents fournisseurs.

Entre les déclarations de bonnes intentions des constructeurs, de l’interopérabilité annoncé entre les marques, il peut y avoir un différentiel avec la réalité du terrain. Quoi qu’il en soit les nouvelles installations fonctionnent et ont permis également de revoir en profondeur les méthodes et l’ergonomie de travail.

Le Groupe M6, depuis la mise en place de la dernière évolution de sa régie finale, s’est étoffé. De nouvelles chaînes sont apparues dans le portefeuille et il y a fort à parier que d’autres arriveront dans les années à venir. « Cela fait plusieurs années que nous réfléchissons à l’évolution de la régie de diffusion, sachant que la régie actuelle date de 2008. Nous avons anticipé en amont la fin de vie des équipements, la fin du support technique et nous avons commencé à réfléchir à un projet de renouvellement, il y a trois ans. À l’époque nous n’étions pas fixés sur une technologie particulière IP ou SDI. Toutefois nous sentions que le SDI était de plus en plus menacé, surtout pour la partie diffusion, et rendait l’évolution future vers l’UHD plus difficile. Au fur et à mesure du projet nous nous sommes dit que nous voulions être “early adopters” sur cette technologie et démarrer avec une régie IP (au final SMPTE-2110). Nous avons rédigé un cahier des charges, commencé à consulter et parmi les réponses nous avons trouvé que celle proposée par Evertz était la plus innovante et puis surtout, celle qui permettait de rester dans un univers broadcast. Pour les exploitants, mais aussi pour le support, il est important de ne pas bouleverser complètement la façon dont ils travaillent. L’intelligence de la solution Evertz est de masquer la dimension IP, c’est-à-dire qu’on avait l’avantage de l’IP sans en avoir la complexité opérationnelle », raconte Mathias Béjanin, directeur technique TV/Radio du groupe M6.

La technologie de switching EXE d’Evertz encapsule l’IP, donne une ouverture, permet d’envoyer des flux SMPTE-2110 en entrée et en sortie, mais se comporte, d’un point de vue opérationnel, comme une grille broadcast et pour un exploitant, conceptuellement, il ne se retrouve pas dans un univers full IT avec des flux de données dans tous les sens. M6 ne voulait pas imposer une philosophie très IT aux exploitants, comme le précise Franck Martin, directeur de l’Ingénierie TV : « Dans notre appel d’offres, en short list, il y avait Evertz et Grass Valley. Nous étions sur deux conceptions différentes de l’IP. Une conception très encapsulée chez Evertz et quelque chose de beaucoup plus IT avec Grass Valley, où on va s’appuyer sur une solution avec des passerelles et des Switchs informatiques. » La sécurité informatique est plus sûre avec la solution choisie par Evertz. Il est impossible de connecter un ordinateur, il n’y a pas de prise RJ 45 sur un EXE.

 

Un projet stratégique

Basculer d’une architecture SDI vers une nouvelle technologie encore fraîche comme l’IP en SMPTE-2110 peut causer un certain stress, surtout lorsque vous décidez de vous reposer sur un constructeur qui n’est pas très présent en Europe et encore moins en France. La direction technique de M6 a visité plusieurs chaînes pour voir in situ des projets menés par Evertz.

« Nous avons été totalement rassurés sur leur capacité à gérer des écosystèmes complexes pour des networks plus gros que les nôtres avec des centaines de chaînes en IP à l’époque en SMPTE-2022 et avec des migrations prévues en SMPTE-2110. Notamment des passages à l’IP de chaînes déjà installées, là où l’exercice est le plus délicat car il faut passer d’une technologie à l’autre sans interruption en restant au même endroit », précise Mathias Béjanin.

Le choix définitif d’Evertz s’est fait en novembre 2018, puis un déplacement a été effectué au Canada dans les locaux d’Evertz pour faire des premières spécifications pendant deux semaines, puis un nouveau déplacement en février 2019 pour finaliser le cahier des charges. Le chantier a commencé en mai 2019.

La présence d’Evertz en Europe a été un sujet de débat, il peut y avoir certains freins à s’engager avec une société qui n’a pas de présence surtout pour le support et le service après-vente, fait remarquer Fabrice Tauziès, responsable technique de la régie finale : « Nous avions un avantage, c’était déjà de travailler avec Evertz, puisque l’architecture de la régie actuelle repose sur de l’Evertz en SDI. Cette connaissance des produits et de leur fiabilité était un point positif, M6 savait qu’il pouvait collaborer avec le constructeur, même avec une présence limitée en France. »

Toutefois, M6 a quand même demandé un point de présence permanent en France, et Evertz a tenu son engagement ; il y a donc une personne en permanence ici pour le déploiement du projet et pour son suivi, il s’agit de Frédéric Loup, qui d’ailleurs physiquement se trouve pour le moment dans les locaux de M6.

Outre l’infrastructure Evertz, les autres choix constructeurs retenus par M6 dans le cadre de ce projet, sont Harmonic pour les serveurs et Ross pour la partie graphique. Là encore, M6 travaille en terrain connu, comme le souligne Franck Martin : « Cela fait dix ans que M6 travaille avec Harmonic, et pour ce projet nous avons fait le choix du Spectrum X qui a la capacité d’être multi flux et de sortir des flux en SDI et en SMPTE-2110. Une fonctionnalité rassurante car nous nous n’avions pas assez de recul avec le SMPTE-2110. Ce mode hybride a permis de faire une migration avec plus de sérénité. Par ailleurs, le Spectrum X intègre de nombreuses fonctionnalités périphériques : sous-titrage, tatouage audio, mélange vidéo… réduisant le recours aux équipements tiers. »

Sur la partie graphique, M6 travaillait avec des outils Orad, et MBT pour l’automation dans lesquels était placée l’intelligence de gestion et de création des contenus. Les nouveaux outils graphiques Ross Xpression embarquent cette intelligence. Il est possible de faire un déroulement d’habillage intelligent à partir de quelques métadonnées, la machine graphique peut gérer cela directement. « Nous avons renforcé la création graphique, en leur donnant une certaine autonomie à partir de métadonnées pour dérouler des scénarios graphiques », précise Franck Martin.

 

Un workflow et un monitoring performants

 L’appel d’offres remporté par Harmonic comprenait la partie acquisition, near on line, et serveurs vidéo pour la diffusion. Dans le fonctionnement historique de la chaîne, il y a un serveur d’acquisition dans lequel les programmes sont numérisés et sur lequel le contrôle qualité est fait. Une fois que les programmes sont PAD, ils sont déplacés dans le near on line. Ils sont appelés par la diffusion quand les programmes doivent être diffusés. Ils sont dans la playlist du jour ou dans une playlist future. « La technologie que nous a montrée Harmonic nous rassurait et permettait qu’un serveur near on line soit capable de faire serveur d’acquisition et de QC. Ce qui réduit aussi les transferts de fichiers qui, dans des cas un peu limite de mise à l’antenne rapide, sont une contrainte. Harmonic a eu la capacité de répondre un peu plus globalement, là où d’autres fournisseurs devaient faire des alliances avec des fournisseurs de solutions de stockage », poursuit Mathias Béjanin.

La nouvelle solution permet de ne plus avoir de serveur d’acquisition vidéo dédié et cela est rendu possible également car M6 reçoit 99 % de ses programmes sous forme de fichiers. Hormis lors de directs, les programmes sont numérisés sur le serveur, mais pour le reste, il s’agit de livraison de fichiers. Le serveur near on line est un modèle MediaGrid de Harmonic. M6 possédait déjà un serveur MediaGrid d’ancienne génération. La régie a été conçue en imaginant qu’elle pourrait un jour migrer vers de l’UHD, mais actuellement la capacité du serveur est dimensionnée pour de la HD et donc les capacités d’aujourd’hui sont assez proches des capacités d’usage de M6. Le MediaGrid fait également office de serveur passerelle qui permet de déplacer les fichiers.

La régie finale aujourd’hui diffuse Série Club, Paris Première, Teva, 6Ter, W9, M6 Music, M6 International, M6 et M6 Prime, W9 Suisse, 6Ter Suisse et M6 Suisse, ainsi que deux slots secours soit quatorze slots de diffusion. Pour héberger toutes ces chaînes, le projet a aussi permis de revoir l’ergonomie de travail.

« Les améliorations d’ergonomie ont porté sur le monitoring avec un changement de technologie lié à l’IP, mais nous avons également apporté une amélioration importante avec une nouvelle version de l’automation MBT », indique Fabrice Tauziès. M6 a renouvelé sa confiance à MBT, ce qui porte ses fruits. MBT a livré une V4 de son automation Phénix avec un cahier des charges spécifié par M6. « Nous avons travaillé pendant un an avec MBT pour que la version évolue avec nos besoins actuels. L’automation est désormais multichaîne, jusqu’à huit chaînes sur un même écran, ce qui permet de réduire le nombre d’écrans informatiques en régie », précise Franck Martin.

La régie finale de M6 ressemble à un cockpit d’avion, avec une forme semi-circulaire qui permet d’avoir une vision complète des différentes chaînes. La conception n’a pas proprement changé avec les évolutions. Il y a toutefois de nouveaux grands écrans qui permettent de visualiser les playlists des différentes chaînes. Graphiquement l’interface de l’automation MBT a changé, avec un « escargot » qui permet de temporiser les alertes. L’escargot donne des informations en avance de phase sur les étapes de diffusion et c’est extrêmement efficace.

« M6 a revu la façon de contrôler la diffusion des programmes. Le technicien de diffusion supervise plusieurs chaînes avec une visibilité qui permet de l’alerter de manière plus intelligente. Il s’agit de réveiller le conscient de l’exploitant, car bien souvent il y a trop d’alertes. Un fichier météo qui n’est pas là à 9 heures car la météo doit arriver à 16 heures, c’est normal et cela ne sert à rien de le stresser des heures avant. Il faut alerter dans les 3 heures avant la diffusion, avec des signaux comme un flash, une lumière, un écran qui sort de veille. L’escargot permet de traiter cette composante temporelle : plus l’élément approche de la diffusion, plus il grossit », souligne Fabrice Tauziès.

« Concernant le monitoring, nous sommes partis sur l’idée de réduire le plus possible le nombre de vignettes dans le mur d’images. Il ne sert à rien de visualiser en permanence toutes les sources, les départs… cela représente beaucoup d’informations inutiles quand tout se passe bien, et c’est fatiguant pour l’exploitant. Cette idée de changement d’ergonomie nous a été inspirée lors d’une visite chez HBO. Nous sommes allés chez HBO, justement, pour visiter leur régie finale qui est plutôt un NOC. Tous les écrans étaient éteints. Il s’agit d’un mur d’images géant. Nous pensions qu’ils étaient en maintenance, et tout d’un coup certains écrans se sont allumés pour indiquer qu’il y avait un problème. L’attention est tout de suite attirée et les exploitants se saisissent du problème immédiatement », poursuit Mathias Béjanin.

La nouvelle philosophie de la régie est de rendre acteurs les exploitants. L’exploitant navigue de chaîne en chaîne et voit un peu ce qui se passe. Il est dans quelque chose d’actif et il est tout de suite alerté s’il y a le moindre souci sur un canal. L’intérêt, c’est de diminuer la fatigue visuelle, et qu’ils ne soient pas attentifs à des choses qui n’ont pas d’intérêt technique, évitant ainsi de se disperser à regarder des dizaines et des dizaines de vignettes. Cette capacité à éteindre ou allumer les écrans est géré par View d’Evertz avec des spécifications fournies par M6. Le système peut gérer aussi l’éclairage et par exemple mettre tout l’éclairage du meuble technique en rouge en cas de gros problème.

Dernière amélioration concernant l’ergonomie, M6 a également décidé de remplacer les panels de mélangeurs par un panel tactile multifonctions. Ce panel, qui pilote le Spectrum X, a été développé par la société Broadteam. « Dans le cahier des charges nous avons voulu regrouper toutes les fonctions discrètes dans le Spectrum X. L’inconvénient est qu’Harmonic n’avait pas développé de panel et si nous sommes obligés d’avoir une reprise manuelle en cas de pépin, cela n’existait pas. Ce développement permet de piloter le Spectrum X manuellement et donner à l’utilisateur quelque chose qui ressemble à ce qu’il pouvait avoir avec un panel hardware de mélangeur, mais avec plus de possibilités car il pilote tout ce que fait le Spectrum X (mélange, infographie, sous-titrage live, watermarking…). Il s’agit d’un écran tactile et un PC. »

 

Le changement dans la continuité

Les écrans sont connectés sur un slot de diffusion. La difficulté est de construire un nouveau centre de diffusion au même endroit. Tous les espaces étaient remplis. Il a fallu commencer par changer le NAS qui occupait trois baies, le nouveau MediaGrid n’occupait qu’une demi-baie. Grâce à cela, de la place a été libérée pour mettre de nouveaux équipements. Un peu comme un « jeu de taquin », il a fallu monter, démonter, libérer de la place, installer de nouveaux équipements. À chaque fois qu’une chaîne (ancienne version) était libérée, la place gagnée permettait d’installer deux nouvelles chaînes. Ce passage de deux baies à une baie libère de l’espace en salle technique : moins de climatisation, d’énergie.

La régie comprend cinq postes de travail et un poste de travail live qui n’existait pas historiquement. Quand il y a un direct, c’est gênant pour l’exploitation de la régie ; pendant un live il y a une certaine animation qui crée du bruit, du stress et cela peut déranger le reste des équipes. Souvent un technicien est dédié pour ce direct. Cette régie live sert également pour faire les tests.

Pendant cette période de transition – il y a encore l’ancien système, et le nouveau système qui se déploie au fur et à mesure – il a fallu assurer le « double run » avec les deux systèmes, ce qui prend de la place. Phase hybride pour le moment qui permet de pallier par exemple certains retards de développement chez des constructeurs. Certaines fonctions, non couvertes en SMPTE-2110, sont prises en charge par les versions SDI et, quand elles seront disponibles, basculeront en 2110.

« La problématique de ce type d’intégration est que les constructeurs puissent se parler, souligne Mathias Béjanin, Nous ne pouvons pas réaliser un projet aussi lourd s’il n’y a pas de partenariat avec les constructeurs. La solution ne marchait pas en tant que telle. Chaque constructeur a dû faire des pas en direction des autres pour que la solution fonctionne. Entre ce qui est dit sur un salon, par exemple que le NMOS permette aux différentes marques de se parler, ne rejaillit pas dans la réalité. Evertz devait embarquer beaucoup de protocoles de pilotage d’autres constructeurs. L’idée est de remplacer les API par le NMOS à terme. »

Franck Martin poursuit : « Nous avons travaillé sur le protocole NMOS Networked Media Open Specifications, mais qui était mal interprété par les industriels. Chacun avait une version incompatible avec celles des autres constructeurs. Il a fallu travailler avec Harmonic et Evertz pour que les produits puissent se parler entre eux. »

 

« Le gros du boulot : ce sont les tests »

 Les clients américains ne vont pas forcément au bout des tests, ils ont des configurations plus lourdes. Les équipes de M6 ont tout testé et ont trouvé des failles. « Si un système tombe en panne (EXE) il faut que l’autre continue à fonctionner et lorsque le premier reprend la main, il faut que l’ensemble fonctionne ! L’IP n’a pas les mêmes comportements que le SDI. En IP c’est plutôt quand un système repart qu’il peut y avoir des problèmes (resynchronisation). Il faut éprouver les solutions techniques dans leurs retranchements », insiste Franck Martin.

M6 a fait la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage, puis a délégué la partie câblage et schéma à CVS. « Il est important de maîtriser son outil et nous sommes attachés à parfaitement connaître nos installations. En cas de problème cela peut devenir complexe si nous ne possédons pas la connaissance en interne. Notre équipe support maîtrise 70 % du système », remarque Fabrice Tauziès.

CVS, outre le câblage, a fourni tout le matériel complémentaire comme les écrans, le monitoring audio IP TSL, les moniteurs, les KVM qui sont des modèles Adder, ou les outils de mesure Prism de Tektronix. Tous les gros postes de dépenses sont faits en direct (Evertz, Harmonic, Ross). Il y a une relation de confiance avec CVS depuis de nombreuses années, ce qui permet de centraliser toutes les demandes complémentaires avec un seul revendeur. M6 est passé par StudioTech pour les achats de matériels Evertz, ce qui simplifie les problèmes de douane.

« Au début Evertz n’était pas forcément coopératif, bénéficiant d’une large base installée aux États-Unis et ne connaissant pas la complexité et l’exigence du projet de M6. Puis ils ont visité la chaîne, et ils ont compris que ce serait une opportunité pour se développer en Europe. Ils ont répondu positivement à toutes les demandes », relate Mathias Béjanin.

À ce stade, l’ensemble des chaînes du groupe a basculé sur la nouvelle architecture, à l’exception de M6, qui terminera le projet en mai. M6 Boutique et Best Of Shopping, qui étaient diffusées depuis Rungis, sont revenues dans les locaux de Neuilly. M6 ne doit pas prendre de retard sur la bascule de la chaîne Premium, car la chaîne diffusera des matchs de l’Euro et il faut du recul pour que tout soit parfaitement calé, même si au final il y a un an de recul de diffusion en SMPTE-2110 entre la transition de la première chaîne et la bascule de M6.

 

En conclusion

 « Les constructeurs disent souvent que l’IP va permettre de faire baisser les coûts. C’est faux car la fibre coûte cher, et ce ne sont pas les mêmes compétences pour câbler des fibres que des BNC ; d’autre part les équipements IP sont plus chers qu’en SDI. À noter également que le support est très coûteux pour les équipements IT et avec des durées de vie plus courtes. Nous pensons que notre solution aura une longévité plus importante et une souplesse d’évolution », conclut Mathias Béjanin.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 86-90. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.