Renaissance de la réalité virtuelle au Siggraph 2015 de Los Angeles

Malgré une baisse de fréquentation, la 42e manifestation internationale sur l’infographie et les techniques interactives, qui s’est tenue du 9 au 13 août 2015 au Los Angeles Convention Center, aura été marquée par une forte poussée tous azimuts des solutions de réalité virtuelle et de réalité augmentée. Et une fois encore, la France s’est distinguée par la variété de ses savoir-faire. 
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Après plus de 40 ans d’existence, le Siggraph 2015 connaît le premier vrai tassement de son histoire avec seulement 14 800 visiteurs. Si, depuis 1995, la manifestation plante son barnum dans la cité des Anges (au rythme moyen d’une année sur deux), elle n’y avait jamais connu de score inférieur à 20 000 participants [pour info, 22 549 et 21 212 visiteurs respectivement en 2010 et 2012]. Et pour une fois la proximité des studios de production de cinéma, de télévision, des jeux et d’autres industries du divertissement n’y aura rien fait. 

Les chiffres du marché de l’informatique graphique de 2014 compilés par le bureau d’études Jon Peddie Research (JPR) restent pourtant rassurants : 66 et 105 milliards de dollars respectivement pour les logiciels et les équipements matériels, avec une perspective de croissance de 6,6 % pour les quatre prochaines années. Sérieux bémol dans ce paysage, toujours selon JPR, la baisse au premier trimestre 2015 du volume d’affaires chez les constructeurs de processeurs graphiques : moins 17,80 %, 12,01 % et 13,5 % respectivement chez AMD, Intel et Nvidia ; tandis que la vente globale des PC avait baissé de 14,77 % lors du même trimestre, soit moins 6,5 % en un an. Il semble donc que ce marché soit en train de s’orienter vers d’autres segments plus porteurs : consoles de jeux, appareils mobiles et périphériques de nouvelle génération. 

On s’efforce pourtant de croire que le Siggraph reste une magnifique kermesse d’intelligence et de créativité à mi-chemin entre la science et les arts. Lorsqu’il y a un quart de siècle la Virtual Reality Hype enflammait les allées du Siggraph à Boston, Dallas ou Chicago, on parlait alors de « nouvelle frontière », de « doors of perception » et d’un paradigme transcendant qui allait bouleverser notre vie : déconnectés du monde réel, nous allions entrer dans la matrice des cyber-univers décrits par les romanciers William Gibson, Philip K. Dick ou Norman Spirad… Et puis ? Le soufflé médiatique retombé, la vague Internet balayant tout sur son passage, la réalité virtuelle s’est effacée, pratiquement reléguée au magasin des antiquités technologiques comme le Minitel, le Concorde ou la conquête de la Lune.

Pourtant, en coulisses, universitaires, ingénieurs et industriels continuaient leur travail d’optimisation des équipements et des applications : moins chers, plus performants, plus efficaces et surtout plus pragmatiques que dogmatiques : le « voilà ce qu’on pourrait faire ? » est devenu le « voilà ce qu’on fait ! ». Et, au final, en 2015 tout le monde ou presque se lance dans la RV (réalité virtuelle) : NVidia, Autodesk, et foule de startups… ; les fournisseurs de visiocasques prospèrent, du high-end resolution au simple kit conçu pour y glisser son propre smartphone en guise d’écran de RV. En parallèle du salon, les applications émergentes et prometteuses de la RV, de la RA (réalité augmentée) et de la production virtuelle faisaient partie des thèmes approfondis par Ben Guthrie et David Morin de chez Autodesk lors des Autodesk’s speaker series que la firme de Sausalito organise chaque année.

Un VR Village a pris place pour la première fois dans l’enceinte du Siggraph, espace dédié aux installations de RV nomade, de RA sur table, et à des démonstrations live en dôme d’immersion 360 degrés… ; pour des applications santé, éducation, design et jeux. Un prix Immersive Realities Contest devait y récompenser le meilleur dispositif RA/RV choisi parmi 48 projets développés dans le monde ; trophée remporté par le MxR Lab (University of Southern California) pour Discovering Near-Field, projet de recherche présenté par le pionnier de la RV Mark Bolas (ex de Nasa-Ames et de Fake Space au début des années 1990). Parmi les trois autres finalistes, un Français, Dassault Systèmes avec l’application Never Blind in VR et une jeune start-up suisse avec Real Virtuality Showcase, expérience stupéfiante de RV hyperréaliste partagée simultanément par deux acteurs en immersion totale dans leurs scaphandres respectifs. À quelques mètres du Village, sur l’espace Emerging Technologies, le français Laster Technologies présentait son projet Omnivisio : des lunettes binoculaires de RA avec caméra embarquée (+ PC portable à la ceinture). Le système détecte les contours et les affiche en les rehaussant, permettant aux malvoyants de mieux se diriger dans l’espace. 

 

Un salon d’exposition en peau de chagrin

Avec 144 exposants (chiffre donné par les organisateurs avant la tenue de l’événement), on constate une baisse de 18 % par rapport au Siggraph de Vancouver en 2014. Autre indice inquiétant, la taille moyenne de certains stands semble avoir diminué, et certains habitués de la dernière décennie, comme les éditeurs NewTek ou Pixologic, n’apparaissent plus du tout. Optimiste, la France maintient hors de l’eau le drapeau tricolore avec un grand stand qui, sous l’égide des pôles de compétitivité Cap Digital (Ile-de-France) et Imaginove (Rhône-Alpes) – et pour la première fois cette année avec le soutien financier du CNC –, accueillait à guichets fermés une quinzaine d’entreprises innovantes. D’autres, comme les Parisiens TechViz et Stereolabs ou le Montpelliérain Isotropix avaient réservé leur propre stand.

 

NVidia mise sur la RV

Depuis le lancement de son SDK GameWorks VR en mai 2015, la réalité virtuelle est considérée par NVidia comme la « prochaine grande solution (the next big thing) dans les domaines du jeu et du divertissement ». La version beta, lancée officiellement au Siggraph, est un trousseau complet (interfaces de programmation [API], médiathèques et fonctionnalités) qui accroît la performance, diminue la latence et facilite la compatibilité des équipements pour les développeurs de jeux et de visiocasques. Avec le module VR SLI, plusieurs GPUs peuvent être dédiés à l’affichage de chacun des deux yeux, ce qui permet d’accélérer le rendu stéréographique dans le visiocasque. Le Multi-Res Shading, technique de rendu adaptée à la RV, permet d’afficher la densité de pixels nécessaire pour chaque portion de l’image.

Le « SDK pour visiocasques » comprend : le module Context Priority qui permet aux développeurs – par contrôle de l’horloge du GPU – de gérer l’alignement temporel (time warping), fonctionnalité propre à la RV, afin de casser les effets de retard d’affichage (cut latency) et d’ajuster rapidement celui-ci aux mouvements de la tête des joueurs, et ce sans avoir besoin de calculer le rendu d’une nouvelle image (re-render a new frame) ; Direct Mod, module de commande qui traite les lunettes et visiocasques uniquement ; enfin Front Buffer Rendering qui permet au GPU d’utiliser la mémoire tampon frontale afin de réduire l’effet retard. 

En guise de démonstrateur, NVidia devait présenter une application portée sur processeur Quadro M6000 : rien moins qu’une séance de cinéma sous visiocasque Crescent Bay d’Oculus Rift de Thief in the Shadows, fable interactive tirée de l’univers de J.R.R. Tolkien et révélée à la presse en mars 2015 par leurs concepteurs Weta Digital et Epic Games.

En parallèle, NVidia devait annoncer DesignWorks VR, outil comparable conçu sous OpenGL à partir de GameWorks VR, adapté aux besoins des professionnels du design en matière de RV, et dédié aussi bien aux visiocasques, aux solutions immersives collectives telles que les CAVES, ou encore aux grappes de serveurs. DesignWorks VR utilise une technologie de rendu ultra réaliste des matériaux et visuels basée sur les lois de la physique (PBR pour Physically Based Rendering), ayant déjà servi à NVidia dans des solutions de création de films et de jeux vidéo. DesignWorks VR comprend une vingtaine d’outils parmi lesquels : Iray SFK pour le rendu photoréaliste et la simulation d’éclairage (déjà présent dans Catia de Dassault Systèmes), le langage de définition des matériaux MDL ou encore le moteur d’accélération NVidia OptiX pour la fonction lancé de rayons temps réel (voir Siggraph 2011).

 

Autodesk double les annonces.

Autodesk présentait les dernières versions des logiciels 3ds Max 3D 2016 et Maya 2016, disponibles par souscription à partir, respectivement, des 11 août et 9 septembre 2015. Autodesk Maya 2016 inaugure l’outil « texte » pour la création de logos, marques, génériques et d’autres projets qui requièrent la 3D : Scalable Vector Graphic (SVG) aide les artistes à importer leurs créations vectorielles 2D, type Adobe Illustrator, dans l’environnement 3D de Maya ; tandis que 3D Type leur permet de créer des polices de caractères multi-lignes, déformables, combinables et permanentes. De nouveaux nœuds de textures procédurales et de traitements d’images dans l’Hypershade permettent la réalisation de matières d’aspects très sophistiqués.

Le Game exporter workflows a été simplifié, optimisant le transfert des créations effectuées sous Maya vers des moteurs de jeu comme Unreal de Epic Games, Unity ou Autodesk Stingray. Les artistes peuvent atteindre un niveau de détail élevé (LOD pour Level of details) en cas de changement de focale d’objectif virtuel ou de champ de vision. Un lien actif entre Maya et Stingray permet d’actualiser la géométrie, les 

personnages et la position des caméras de façon dynamique. Les changements sont alors perçus instantanément, éliminant la tâche d’exporter à nouveau ou de replacer dans la scène les personnages, objets et caméras.

Dans Autodesk 3 ds Max 2016, les modules de résolution Geodesic Voxel et Heat Map sont dédiés à la création rapide du rendu de la peau (skin weighting) ; et la fonction Max Creation Graph (MCG) Animation Controllers exploite au mieux les capacités d’animation procédurale. Un nouveau Game Exporter permet de transférer ses modèles 3D, séquences d’animations et autres données depuis 3 ds Max vers les moteurs de jeux déjà cités. Le module ShaderFX a été enrichi pour accompagner les ombrages basés sur les lois physiques (physically-based shaders) dans Stingray, assurant une cohérence des consistances dans les deux environnements (3 ds Max et Stingray). Un nouveau lien actif entre les deux outils permet aux experts de la conception-visualisation d’évaluer et de vérifier leur projet dans le contexte d’un environnement 3D. Un nouvel outil « texte 3D » fait également partie des évolutions dans 3 ds Max 2016. Sur le stand BOXX Technologies du Siggraph, Autodesk devait par ailleurs faire la démonstration de ses outils de création sur les stations de travail APEXX, renderPRO et GoBOXX mobile systems du constructeur texan.

 

Shotgun

Filiale d’Autodesk depuis 2014, Shotgun Software annonçait de son côté de nouvelles fonctionnalités et mises à jour destinées à faciliter aux responsables des VFX les tâches de contrôle, de partage et de réaction à l’avancée de leurs projets. La plateforme en ligne Client Review devra notamment rendre plus efficace la collaboration et la communication entre équipes réparties sur les différents sites de production et en relation étroite avec leurs clients. Actualisé pour le Shotgun Panel, le Pipeline Toolkit permet aux artistes de communiquer directement avec leurs collègues et de pouvoir afficher rapidement l’information dont relève leur tâche – et uniquement leur tâche – et ce, directement en s’interfaçant avec les outils qu’ils utilisent : Autodesk Maya, The Foundry Nuke, etc. Shotgun 6.3 sera disponible à l’automne 2015, tandis qu’on pourra trouver les nouvelles fonctionnalités du Toolkit dès septembre.

La « place de marché » en ligne Creative Market, dont Autodesk a fait l’acquisition le 19 mars 

2014, étend son offre par la mise sur l’étagère de contenus 3D : 9 000 boutiques proposent à ce jour 250 000 modèles à une communauté de plus d’un million de membres. Designers et artistes peuvent non seulement se fournir en assets 3D de haute qualité créés à travers le monde, mais également nourrir ce corpus de leurs propres créations.

 

The Foundry rapproche Mari de Modo

La société britannique The Foundry annonçait la disponibilité de Mari 3 pour le troisième trimestre 2015, nouvelle version de sa palette 3D, conçue pour le texturing et les contenus visuels dans la création de VFX, dessins animées et jeux vidéo. Mari 3 est enrichi de fonctionnalités de productivité pour un meilleur rendement dans le pipeline de production. Une évolution qui comprend l’affichage d’un graphe de nœuds (nodes) et l’intégration des calculs de rendu, notamment le rendu de textures (texture baking) de son logiciel d’animation 3D Modo, ce sans nécessité d’acquérir la licence de cet outil. L’utilisation directe de l’interface utilisateur (UI) de Mari permet en outre de réduire le temps de transfert des données entre les deux applications.

Mari 3 est ouvert aux outils d’ombrage (shader) comme Unreal ou de géométrie comme OpenSubdivis de Pixar. Dans la création de jeux, un grand nombre de développeurs ont adopté Mari pour ses propriétés de cinématique des personnages et pour d’autres procédures aujourd’hui incontournables.

 

Maxon fait son Cinema

Avec l’annonce de Cinema 4D Release 17, disponible en septembre 2015, la société germanique Maxon affirme sa présence sur un marché dominé par des acteurs anglo-saxons. Dédié à l’animation 3D, les VFX, la visualisation et le rendu, Cinema 4D R17 innove par certaines fonctionnalités refondues comme le nouveau module Take System qui fournit une scène complète dont la flexibilité permet de contrôler les couches de rendu et les variations de l’animation. Lens Distortion est un nouvel outil destiné à l’amélioration du tracking de mouvements de caméra et qui complète la version remodelée de Spline Tools pour un workflow plus efficace dans la manipulation des points, lignes, tangentes, courbes, etc.

Cinema 4D R17 englobe l’intégration « sans couture » du moteur Houdini Engine de l’éditeur britannique Side Effects (outil qui permet l’extraction et l’intégration de la technologie Houdini vers une large gamme d’outils de création numérique, voir Siggraph 2013). Cela permet de récupérer les Houdini Digital Assets (HDA) comme les objets paramétriques, les simulations, etc., et de pouvoir les manipuler comme des objets générateurs standards de Cinema 4D.