Réseaux numériques : après les 30 glorieuses, les 30 bâtisseuses !

Et dans cinq ans où en sera-t-on en matière de transformation numérique ? À l’occasion de la 25e édition du colloque organisé par NPA en collaboration avec Le Figaro, Philippe Bailly, directeur du cabinet d’études, invitait tous les participants à se projeter dans le futur. L’exercice a permis à Pierre Louette, directeur général délégué d’Orange, et à Olivier Huart, président de TDF, de faire un point fort instructif sur l’économie numérique et les infrastructures déployées pour garantir son essor.
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« Du pragmatisme et de l’audace pour le déploiement des réseaux », tel est le crédo de Pierre Louette qui a ouvert la journée du 16 mai en rappelant que la consommation des datas sur mobile avait été multipliée par 4000 en 10 ans et que 1 euro dépensé dans les réseaux générait 6 euros de PIB, des chiffres qui donnent toute la mesure stratégique que revêt le déploiement des réseaux numériques.

Pierre Louette a ensuite dressé un bilan d’étape, quatre ans après le lancement du plan France Très Haut Débit, en rappelant le rôle des opérateurs en tant que propagateur de l’économique numérique. « Le précédent gouvernement a pris l’engagement de connecter vingt millions de foyers à la fibre d’ici 2022, et l’objectif d’une couverture de 50% du territoire a été atteint en 2016, avec un an d’avance. Orange a été la locomotive du plan mais, après tout, c’est son rôle !», a-t-il souligné.

Sur la période 2016 à 2019, 4,5 milliards d’euros seront investis dans la fibre par tous les opérateurs français. Orange alloue pour sa part 16% de son chiffre d’affaires dans les investissements consacrés réseaux, mais les opérations de maintenance représentent déjà à elles seules un budget de 500 millions d’euros par an.

Dans ce contexte, les enjeux de l’infrastructure numérique sont à la fois économiques et sociétaux. « La fracture numérique est toujours d’actualité. La question de l’accès demeure cruciale et l’Union européenne a pris du retard sur les États-Unis, pays où les investissements par habitant sont deux fois plus conséquents », commente Pierre Louette. Lequel évoque une « impatience numérique » pour les 50% de la population qui n’est pas connectée au très haut débit… Orange a d’ailleurs l’intention d’intervenir davantage dans les zones rurales, zones où l’opérateur est déjà client de 50 % des prises déployées dans le cadre du programme Zone Blanche.

 

Améliorer la mise en œuvre du plan France Très Haut Débit

Lors de son intervention, Pierre Louette a formulé plusieurs propositions d’amélioration du programme industriel France Très Haut Débit. Il souhaite notamment continuer à développer le mix public/privé, en remettant en question la ligne de partage entre investissements publics et privés dans les communes pour lesquelles aucun déploiement n’est encore programmé. Le directeur général adjoint d’Orange appelle en outre à modifier la fiscalité qui pèse sur l’investissement sectoriel vers une autre assiette fiscale non sectorisée car celle-ci lui apparaît comme trop lourde (en tant qu’opérateur, Orange finance l’IFER – impôt sur les réseau et doit s’affranchir de la taxe Copé pour financer la télévision publique ; ce qui alourdit, selon Pierre Louette, son assiette fiscale de 25% en comparaison des entreprises dont le profil est standard).

Le responsable attire aussi l’attention sur le mix licence/couverture, estimant que le renouvellement des licences d’utilisation du spectre sera déterminant pour l’avenir de la couverture numérique : les pouvoirs publics devront trancher entre maximiser financièrement la vente des licences par l’État (peut-être au détriment de la couverture…) et maximiser la couverture, quitte à impacter le produit de cession de mise en vente pour favoriser la couverture maximale…

 

Les infrastructures de demain

L’intervention d’Olivier Huart, en fin de matinée du colloque, est venue compléter l’intervention de Pierre Louette… « 2022 représentera incontestablement une date clé pour le secteur des médias et des télécoms. Elle marquera l’échéance du plan Très haut débit en France et ouvrira une nouvelle séquence marquée par la tenue d’une Conférence mondiale des radiocommunications (CMR) qui, en 2023, décidera de l’avenir du spectre sur la planète… Mais l’avenir de 2022 se prépare dès à présent », a spécifié le P-DG de TDF en ouverture de sa présentation.

Pour l’opérateur de réseaux TDF, trois aspects structurants doivent être pris en compte afin de préparer au mieux cette échéance : l’évolution des usages, l’évolution des infrastructures et des réseaux, et les financements.

 

Accompagner l’évolution des usages

Si le futur des réseaux porte en lui des promesses nouvelles en termes d’usage, pour le président de TDF, le monde a déjà basculé vers le tout connecté… Une connexion globale qui va se poursuivre et s’amplifier : « Actuellement, le monde totalise moins d’un objet connecté par habitant, mais dans cinq ans ce nombre passera à cinq, puis à dix dans dix ans … Une nouvelle forme d’expérience nous attend avec l’émergence d’un nouveau concept : celui du citoyen augmenté qui évolue dans son foyer, la ville, les transports et les territoires… », a-t-il souligné.

Olivier Huart poursuit en ces termes : « Dans le foyer, l’expérience télévisuelle deviendra plus immersive avec l’ultra haute définition plus personnalisée, mais aussi plus personnalisée grâce aux possibilités offertes par l’OTT, à l’instar de ce que peut faire Molotov [NDLR : start-up dans laquelle TDF est actionnaire hauteur de 3 % dans le capital] dans le domaine de la télévision de rattrapage. De nombreux autres objets du foyer seront connectés, ouvrant la voie à une nouvelle domotique. Au-delà du foyer, la ville augmentée ou Smart City incarne la prochaine grande révolution numérique. Une ville avec des réseaux de distribution d’eau ou d’électricité intelligents, pour optimiser l’efficacité de la production, de la distribution et de la consommation ; une ville plus souple pour les citoyens grâce à l’e-administration ; une ville qui s’adapte à de nouvelles formes de mobilité avec une continuité entre les différents modes de transport. Les transports d’ailleurs seront marqués par la fin de la propriété de la voiture, remplacée par de nouveaux services de mobilité. Pour l’ensemble de ces nouveaux usages, que TDF accompagnera, il faut des infrastructures et des réseaux de plus en plus solides et efficaces. Or, force est de constater que des efforts importants doivent être réalisés. TDF y participe et y participera. »

 

La France à la traîne…

La France, quatrième puissance numérique mondiale, est en queue du peloton dans l’utilisation des infrastructures de très haut débit fixes et mobiles…

À la fin de l’année 2016, plus de 15 millions de foyers sont éligibles à des débits égaux ou supérieurs à 30 mégabits/seconde, 11 millions à des débits supérieurs à 100 mégabits et 7,7 millions à la fibre optique (avec une concentration, il est vrai, sur les zones très denses, puisque moins d’un million de foyers sont éligibles sur les RIP (Réseaux d’initiative publique)… 

« Mais on raisonne ici en termes de foyers ou de prises éligibles. La réalité est bien différente quand on s’intéresse au nombre de foyers réellement abonnés à une offre de très haut débit fixe », souligne Olivier Huart. En effet, 2,2 millions de clients seulement sont abonnés à un service de fibre (29% des foyers éligibles). Certes, le nombre d’abonnés a augmenté de 50% en 2016, mais à ce rythme (+700 000 abonnés par an) il ne faudra pas moins de 40 ans pour arriver à une généralisation du THD fixe ! Pourtant la France est le seul pays au monde à avoir opté pour une extinction complète du cuivre…

Les RIP revêtent à cet égard une importance cruciale, et TDF, désormais opérateur de fibre, est particulièrement actif à ce niveau dans les zones les moins peuplées. L’entreprise a remporté cette année un premier appel d’offres lancé par le Syndicat mixte Val-d’Oise Numérique pour la concession d’un RIP FttH. D’une durée de 25 ans, la concession concerne 85 000 prises sur 116 communes. De nombreux appels d’offres liés au plan France THD auront aussi lieu dans les dix-huit prochains mois et TDF vise un portefeuille d’un million de prises dans le secteur des réseaux d’initiative publique.

Le très haut débit mobile présente lui aussi des défis importants. Si le taux de couverture 4G poursuit sa progression, c’est la 5G du futur qui doit dès à présent être préparée. Une 5G qui promet des débits multipliés par cent ou par mille et qui équivaudra en mobilité aux performances de la fibre. Or, la 5G va modifier radicalement l’architecture des réseaux mobiles avec une multiplication par deux à cinq du nombre de points hauts nécessaires.

Par conséquent, il va falloir déployer de nombreuses antennes supplémentaires, à même d’utiliser les nouvelles bandes 5G. Il conviendra alors de trouver de nouveaux sites pour des points d’émission y compris sur des points « semi-hauts », reliés entre eux par de la fibre. Les opérateurs devront déployer leurs équipements sur des infrastructures urbaines (abribus, éclairages, bâtiments), un chantier très important qui doit se préparer dès aujourd’hui.

Enfin, la plate-forme numérique terrestre ne doit pas être oubliée dans la liste des infrastructures d’avenir. Quelque 60% des Français utilisent la TNT pour regarder la télévision et après le passage au 100% HD, c’est l’UHD qui se prépare, d’ailleurs TDF œuvre déjà avec le CSA dans cette direction.

 

Investir massivement dans les infrastructures

Olivier Huart a détaillé le rôle de TDF : « Après les usages et les réseaux, se pose la question cruciale des investissements et des financements. Le maître mot doit être le pragmatisme avec une ouverture à l’ensemble des technologies qui permettent le très haut débit. TDF occupe une position centrale en tant qu’acteur global d’infrastructures, infrastructures mobiles et infrastructures en fibre optique (la télévision ne représente plus que 28% de son chiffre d’affaires, derrière les infrastructures mobiles). Ses investissements sont très importants : 25% du chiffre d’affaires est réinvesti dans les infrastructures. L’entreprise participe donc pleinement à l’objectif d’un territoire à 100 % en très haut débit d’ici à 2022 dont les besoins en investissements sont estimés à 20 milliards d’euros (un tiers de financements publics et deux tiers de financements privés) ».

Le métier de TDF n’est pas de commercialiser de l’accès auprès des particuliers, aussi l’opérateur ne se positionne pas en concurrence avec les fournisseurs d’accès à Internet qui sont ses clients. Soutenu par la présence au capital de fonds d’infrastructures qui partagent une vision d’investissements de long terme, la société entend se positionner comme opérateur d’infrastructures neutre. Un constat illustré par son engagement dans les RIP de deuxième génération, destinés à la montée en débit et la couverture très haut débit du territoire.

 « La France a toutes les capacités pour faire émerger un écosystème vertueux avec une réglementation accompagnant les investissements et un marché de la dette et du crédit favorable. Mais 2022 se joue maintenant. Après les «  trente glorieuses », il faut maintenant s’atteler à construire les « trente audacieuses », s’est enthousiasmé Olivier Hart avant de conclure : « La France est en marche, mais elle doit maintenant « passer au galop » sans réticence, car on ne se trompe jamais quand on investit ! ».

 

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