« Retiens Johnny », une virée post-Johnny touchante

Pour son premier documentaire, réalisé avec Arthur Verret et Baptiste Drouillac, Simon Depardon s’est plongé dans l’univers des fans de Johnny. Retour sur un tournage qui s’est déroulé sur un an...
"Retiens Johnny nous a montré que l’on peut faire des films entre amis et devenir professionnels." © DR

Immersion totale au plus près des amateurs de rock’n’roll attitude, ce documentaire nous entraîne dans des rendez-vous mensuels à la messe de la Madeleine, dans des soirées de fans ou des endroits improbables comme la mairie de Levallois.

 

Quand avez-vous eu l’idée de Retiens Johnny ? Quelle est la genèse du film ?

Dès le décès du rockeur, nous sommes allés à l’église de la Madeleine, même si nous n’avons pas pu y entrer pour ses funérailles. Nous étions intrigués par le phénomène, par la passion des fans après le décès du chanteur. Nous y sommes retournés deux mois plus tard. Une messe en l’honneur de Johnny avait lieu tous les mois, à la Madeleine. Quand nous avons commencé à filmer, il y avait de beaucoup de journalistes. Nous n’avions pas envie de raconter une histoire de manière frontale, on cherchait ce pas de côté, cette juste distance qui fait l’essence du documentaire.

Nous voulions un dispositif qui mette en valeur ces fans, parfois présentés comme des hurluberlus vouant un culte à Johnny. La réalité est bien moins cocasse, ces derniers ont des parcours de vie parfois difficiles. Ce sont des gens touchants, majoritairement issus des classes populaires. Johnny leur a donné la force de surmonter leurs difficultés. Trouver des parcours de vie passionnants, reflétant l’histoire sociale de la France contemporaine, c’était notre objectif. En outre, a débuté la crise des gilets jaunes. Sans faire le rapprochement – tous les fans du rockeur ne sont pas dans ce mouvement –, il était important de contextualiser notre film, car les manifestations parisiennes se déroulaient en parallèle des commémorations, bouleversant parfois leur organisation.

 

Quelles étaient vos envies en tant que cinéaste ?

Nous voulions faire un documentaire qui parle d’une réalité sociale, sans interview, sans commentaire, du cinéma direct, tant au niveau du son que de la captation vidéo. Nous avions besoin de comprendre le phénomène, de raconter cette histoire si particulière à notre façon. Pour cela, nous avons construit le récit documentaire au montage et avons créé une sorte fable, notamment autour d’un jeune fan, Baptiste Drouillac. Son rôle de coréalisateur a été essentiel. Équipé d’un micro cravate, il permet de faire oublier la caméra et de suivre un récit aux accents shakespeariens, comme le souligne souvent très justement Arthur.

 

Concrètement comment avez-vous procédé pour être acceptés par la communauté des fans, et réussir cette balade où le spectateur a l’impression d’être posé sur votre épaule ?

C’est grâce à Alex Palermo, le président de l’association « Blouson noir et rouge », un personnage haut en couleur qui nous a rapidement embarqués à ses côtés. Nous avons très vite compris que faire perdurer la mémoire de Johnny était une lutte au quotidien. Il faut savoir qu’il y a en France plus d’une cinquantaine d’associations de fans du rockeur, Alex Parlemo bataillait pour les fédérer. L’autre point important était le lieu ; le fait que l’église de la Madeleine les accueille a été essentiel.

 

Justement ce culte de Johnny installé au cœur d’une église fait partie des éléments étonnants du film. Comment ce rapprochement s’est-il fait ?

Nous n’avons jamais su le fin de mot de l’histoire, si c’était à l’initiative du père Horaist ou d’Alex Palermo. Nous jouons avec cette proximité en y apportant une touche d’humour, sans tomber dans l’ironie. Cet accueil a été très important pour les fans. Cela a parfois donné des moments troublants. En tant que cadreur, je suis parfois surpris par ce que je filme. Il était important que le spectateur perçoive ce trouble. C’était une vraie virée post-Johnny, qui nous a appris plein de choses sur la France.

 

Cela a-t-il été simple d’avoir les autorisations de tournage ?

L’église de la Madeleine était assaillie par les journalistes, par les fans. Notre présence était discrète et surtout quotidienne : nous nous sommes fondus dans le décor. Ce rapport avec l’église nous a interrogés, en tant que jeunes réalisateurs, pas plus catholiques que cela. L’église a joué son rôle : ouvrir ses portes après le décès d’une personnalité. De plus, si la Madeleine et le père Horaist ne les avaient pas accueillis, ils auraient été dans la rue, puisque Johnny est enterré à Saint-Barth.

Et puis, cela nous a permis d’avoir un décor majestueux. Notre film comme l’Église, ne parle pas de la mort, mais de la vie après. Il s’est construit par touches, mois après mois. Chaque retrouvaille suit le même rituel, on a filmé une quinzaine de messes. On l’enrichissait de plans différents à chaque commémoration.

 

Comment vous êtes-vous organisés sur l’aspect purement production ?

J’ai créé la société Simon Depardon SAS pour accompagner le film. Je voulais pouvoir donner ce ton immersif et respectueux au film ; cela me vient de Claudine Nougaret, ma mère, elle-même productrice. Elle nous a beaucoup accompagnés. Raymond et Claudine ont toujours développé cette idée qu’il faut filmer les gens, les respecter, mettre les moyens techniques pour que les films soient beaux et que l’on soit à l’aise dans notre démarche créative.

Pour ce premier film, nous n’avons pu travailler qu’avec des caméras Sony A7S ; cela dit, elles sont très bonnes en basse lumière. Nous nous sommes ensuite entourés des meilleurs : Kevin Stragialli, chez Polyson, a réalisé un très beau travail d’étalonnage, nous avons tout tourné en Log. Le dérushage était long, mais on a réussi à avoir cette couleur chaude. Pour le son direct c’était compliqué de ne pas faire peur avec la perche et d’aller chercher les bons sons. Arthur Verret a été excellent et a pu compter sur l’aide précieuse de Sébastien Noiré, chez Polyson, pour le montage son et le mixage.

 

Le film a-t-il été vendu à une chaîne ? Avez-vous eu des aides ?

Tout le monde est très intéressé. Nous serions ravis que le film passe sur France Télévisions. Pour les aides, nous n’avions pas le temps de les attendre ; une fois la société créée, nous avons tourné très rapidement. Nous avons demandé les aides après réalisations, notamment auprès de la région Ile-de-France et du CNC. Wild Bunch s’est rapidement positionné pour la distribution en salle. J’ai énormément appris jonglant entre les rôles de cadreur, réalisateur et producteur.

 

Qu’en a-t-il été des droits musicaux ?

C’était assez compliqué car Johnny était principalement interprète. Il y a aussi des droits qui viennent des États-Unis, ceux des cantiques réinterprétés par l’Église, la Sacem, etc. Nous avons été aidés par Christian Chevalier, d’Izotton, qui a fait un travail exceptionnel pour convaincre les différents ayants droit.

 

Parfois le documentaire dépasse la fiction, notamment la scène à la mairie de Levallois avec Patrick Balkany…

Nous ne pouvions pas inventer cela. Quand Jean-Baptiste Guégan (NDRL : le sosie vocal de Johnny) chante Derrière les barreaux, et que l’on connaît la suite… Nous étions juste au bon endroit, et l’actualité a ensuite dépassé le film… Ce documentaire saisit vraiment l’époque. Le départ de Johnny est la fin d’une ère.

 

Enfin, quels conseils donneriez-vous à un jeune producteur ?

Le documentaire est une économie difficile. Il ne faut rien lâcher. Filmer les gens sans en avoir peur et être sincère. J’ai eu des facilités grâce à mon nom, je suis fier de mon père et de ma mère et de leur héritage. Je ne veux pas en faire une pression. Ils ont vu le film et l’affiche sera la photo que mon père a faite de Johnny en 1967 au Palais des Sports. Nous dédions le film à Johnny, nous aurions pu ajouter « à nos pères ». Même s’il est moins citoyen que ceux de mon père, il y a quand même un parti pris : expliquer ce phénomène et redonner corps et âme à ces fans.

Retiens Johnny nous a montré que l’on peut faire des films entre amis et devenir professionnels. Grâce au CNC, notamment, il est possible de faire de sa passion, son métier. La production ce n’est pas simple, mais quand on voit les fans, jeunes et plus âgés, de Johnny, émus après avoir vu le film, on se dit que cela valait le coup.

 

NB : En raison de la crise sanitaire, la sortie de Retiens Johnny a été reportée à l’automne. Au départ, il était prévu qu’il soit en sélection au Champs-Elysées Film Festival (juin 2020).

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 42-43. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.