Retour d’expérience du binôme directeur de la photographie / étalonneur sur le film Gauguin…

C'est sa rencontre avec "Noa Noa", carnet de voyages écrit par Paul Gauguin après son premier séjour à Tahiti en 1893, qui a donné envie à Edouard Deluc de faire un film centré sur Gauguin. Pierre Cottereau, directeur de la photographie et Sébastien Mingam, étalonneur à Mikros Image, partagent avec nous leur experience technique et créative.
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–   Qu’est-ce qui vous a amené sur ce projet ?

Sébastien: Mikros Image entretient des liens privilégiés avec Move Movie, la société de production du film. Gauguin était donc une nouvelle collaboration entre ces deux sociétés

Pierre: Pour ma part, je travaille avec le réalisateur Édouard Deluc depuis quinze ans, c’est le deuxième long métrage sur lequel nous collaborons ensemble, mais je l’ai aussi accompagné sur des courts métrages, des clips et des publicités.

 

–   Est-ce la première fois que vous travaillez ensemble ?

P: C’est le deuxième long métrage sur lequel Sébastien m’accompagne, nous avions auparavant travaillé ensemble sur Le voyage de Fanny de Lola Doillon, sorti en 2016.

S: Nous avons par ailleurs travaillé ensemble sur un court-métrage de Toma Leroux, intitulé Lily Dans Les Nuages, qui parcourt actuellement les festivals..

 

–   Dans ce film vous devenez le peintre du paysage artistique d’un autre peintre. Quel a été votre point de référence quant au style ?

P: Mon point de référence est toujours l’univers du réalisateur. En l’occurrence j’adore celui d’Edouard Deluc, la délicatesse de sa direction artistique, son évidente simplicité sont un écrin précieux pour le travail de l’image.

Ensuite je pars souvent des différentes contraintes, techniques, artistique et de production pour définir le cadre esthétique dans lequel je souhaite évoluer. J’essaye de ne pas trop spéculer sur le résultat, j’espère juste que mes petites intuitions de départ et tout le chemin parcouru pour fabriquer le film créerons le style.

La vraie difficulté sur ce film pour définir le style est que nous ne devions pas donner la sensation de griffonner au dessus de l’épaule de Gauguin, donc que nous ne devions pas chercher à imiter ses toiles. Je voulais avant tout que l’image accompagne les humeurs du personnage et qu’elle guide celles du spectateur.

Les paysages tahitiens sont vraiment ceux d’un conte de fée: à la fois jardin d’Eden et forêt des esprits. Matricielle et originelle au sens le plus pur du terme. Je souhaitais que le style de l’image essaye de mettre en valeur cette dualité.

 

–   Pouvez-vous nous parler plus en détails du choix des lumières sur ce projet, en particulier les scènes tournées en intérieur à la bougie ?

P: Pour un mélange de raisons économiques et artistiques j’avais la volonté de travailler sur ce film avec très peu de lumière additionnelle. En cela l’étalonnage, et notamment tout le travail préparatoire que nous avons effectué avec Sébastien pour déterminer la base esthétique du film (son contraste et son traitement couleur) ont été déterminants. Dès les premiers rushes j’ai senti que nous avions réussi à trouver un traitement qui m’autorisait une grande liberté en terme de contraste et d’exposition.

Les scènes à la bougies en sont un bon exemple. Je souhaitais tourner ces scènes avec les bougies comme source principale. J’étais au départ un peu inquiet de la manière dont notre caméra (ARRI ALEXA Alexa Mini) réagirait à ce dispositif. Jusqu’à ce film j’avais toujours l’impression d’être extrêmement contraint en couleur et en constraste sur ce type de situation d’éclairage, que la caméra manquait de palette et qu’elle m’imposait une couleur et un contraste. Pour la première fois et grâce au travail préliminaire que nous avions fait avec Sébastien, j’avais un rendu suffisamment riche pour que nous puissions continuer de questionner nos choix à l’étalonnage.

 

–   D’un point de vue technique, avez-vous essayé quelque chose de nouveau sur ce film ?

S: Comme je vous le disais, c’est le deuxième long métrage que j’étalonne avec Pierre, et le deuxième étalonné sur Baselight. La façon dont nous avons abordé l’étalonnage de Gauguin reprend des éléments du précédent travail fait ensemble, sur Le Voyage De Fanny, car le Baselight et sa « philosophie » nous plaisent en tant qu’outil. Mais il y a aussi du nouveau parce que Pierre aime relever des défis « techniques », et parce que j’aime les relever ! Nous avons d’ailleurs tous les deux un background mathématique, qui je pense contribue à notre bonne entente, et nous permet d’aborder l’étalonnage de façon presque ludique je dirais.

P: Mon intuition de départ sur ce film était de mixer ensemble, tout le long du film, deux LUTs avec des palettes de couleurs différentes.

Le but étant qu’en fonction des moments du film l’une prenne plus ou moins le pas sur l’autre, et qu’insidieusement cela change l’humeur des images, et de la perception que l’on en a.

Nous avions donc beaucoup de layers pour obtenir notre image de base, cela nous a obligé à utiliser de nombreuses fonctionnalités du système Baselight.

 

–   Etes-vous intervenu durant la production ou après ?

S: A la fois avant, puisqu’avec Pierre nous avons créé avec le Baselight nos LUTs de tournage: celles-ci remplissaient des critères à la fois techniques et esthétiques bien précis. Mais aussi après évidemment, en essayant d’ailleurs d’améliorer encore ces LUTs…

Pendant le tournage, je suis malheureusement resté à Paris. Audrey Samson, DIT, s’occupait de la gestion des rushes sur place, de l’application des Luts à l’étalonnage si nécessaire.

 

–   Quel a été, selon vous, le plus grand défi sur ce film ?

S: Une grande interrogation était comment les verts allaient réagir à l’application des LUTs, puisque les essais caméra ont été réalisés dans le bois de Vincennes. Or, évidemment, la végétation n’est pas la même… Il y avait donc une part de surprise… qui s’est avérée bonne !

P: Le plus grand défi c’est d’avoir à faire l’image d’un film qui parle de peinture. C’est à la fois extrêmement porteur et inspirant pour un opérateur, mais c’est aussi très intimidant , car l’esthétique fait partie intégrante du projet du film. On sait d’emblée que notre travail sera scruté d’une manière particulière, que certains spectateurs viendront voir le film en espérant y retrouver la splendeur des couleurs de Gauguin, que d’autres au contraire vous feront le reproche de ne pas vous en éloigner assez.

Il faut faire des choix esthétiques suffisamment sincères et affirmés pour que le spectateur ait l’impression que l’on offre quelque chose à son regard. Et surtout espérer que ce que l’on propose et la manière dont on le fait n’est pas totalement en contradiction avec le geste artistique de Gauguin.

 

–   En quoi le directeur de la photographie contribue-t-il à la performance d’un acteur tel que Vincent Cassel ?

P: Avant tout le directeur photo est au service du réalisateur et du film. Je pense qu’un directeur photo contribue à la prestation d’un acteur quand il arrive à mettre en place un environnement technique cohérent et confortable pour le travail du réalisateur avec ses comédiens.

Dans le cas de Vincent Cassel, qui est un vrai ‘cheval de course’ il faut être libre, efficace, disponible et espérer que le travail de l’image permettra d’accompagner au mieux les reliefs de son interprétation.

 

–   Aimez-vous être présent dans la salle lors de l’étalonnage ?

P: Absolument, même si j’y souffre de voir les limites de mon travail, c’est un endroit où j’ai toujours l’impression d’apprendre quelque chose, ou des envies et des idées me viennent pour le film qui suivra. Bizarrement, plus je suis en confiance avec un étalonneur comme c’est le cas avec Sébastien, moins j’y suis indispensable et plus j’ai envie de venir, pas tant pour bien finir le travail que pour échanger, me questionner et trouver de nouvelles envies.

 

–   Combien de temps avez-vous passé sur l’étalonnage ?

S: L’étalonnage a duré deux semaines et demie

 

–   En quoi Baselight vous a été bénéfique sur ce projet ? Des outils en particuliers ?

S: Comme je le disais plus haut, les LUTs ont été créés avec le Baselight, avec des structures de layers. Au moment de l’étalonnage définitif, j’ai d’abord réappliqué, pour chaque séquence, la structure de layers correspondant à la LUT choisie. Je refaisais donc dans un premier temps le lien avec la copie travail, en allant ensuite affiner ou corriger certaines choses qui ne me plaisaient pas. Dans un deuxième temps, nous pouvions nous attacher aux secondaires…

Le Baselight nous a donc permis d’avoir une organisation de travail assez claire, et surtout fiable, ce qui est primordial quand le temps est compté.

 

–     En termes d’étalonnage, qu’est-ce qui vous a le plus plu dans ce que Sébastien et Baselight avaient à vous offrir sur ce film ?

P: Comme tous les opérateurs j’ai quelques obsessions! Je suis très sensible à la manière dont la couleur et le contraste interagissent ensemble. Tant que le contraste n’est pas juste, il m’est difficile de comprendre quelle image j’ai fabriqué.

Par bonheur Sébastien est lui aussi très sensible à cela, et n’hésite pas à interroger en priorité le contraste quand il n’arrive pas à trouver le centre de gravité d’une image.

Il le fait d’une manière extrêmement fine et précise peaufinant à chaque nouvelle passe ce travail. Il utilise beaucoup les Curves, et de ce qu’il m’en dit la précision du Baselight pour ce genre d’investigation est telle qu’il ne se sent jamais limité.

J’aime aussi beaucoup le soin qu’il met à organiser ses différentes couches, ses différents layers… cela lui permet d’avoir une base solide qu’il peut réinterroger à tout moment. Pour cela aussi le Baselight est un outil précieux.

 

–   Sébastien nous a confié, dans un précédent entretien, que pour lui l’étalonneur était un artisan et le chef opérateur le vrai artiste, qu’en pensez-vous ?

 

P: Dans la chaîne de fabrication d’un film chaque intervenant est à la fois un artisan au service des désirs de création de quelqu’un d’autre (le chef opérateur est l’artisan des désirs d’image du réalisateur) et l’artiste de son propre domaine d’action.

À mon sens un étalonneur, quand il accepte d’accorder sincèrement sa sensibilité à celle du projet, quand il est plus intéressé par la création que par le résultat, est tout autant un artiste qu’un chef opérateur.

Je pense que Sébastien a dit cela, parce qu’il n’hésite pas à interroger son savoir faire, parce qu’il utilise sa machine d’étalonnage comme un instrument lui permettant de chercher et de faire évoluer son travail.

Ce qui était extrêmement agréable sur les deux films que nous avons fait ensemble c’est qu’il s’est chaque fois approprié les images et qu’elles sont devenues la matière première de sa propre créativité.

Il n’y a rien de plus flatteur à mon sens que de voir son travail être fécond et porteur d’idées pour quelqu’un d’autre.

 

–   Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

S: En ce qui me concerne, je travaille principalement en ce moment sur des films publicitaires et des clips. J’ai une restauration et un long metrage prévus au printemps.

P: Je viens de finir le film d’Antonin Baudry, qui se passe dans l’univers des sous marins et je suis actuellement en tournage du film d’Antoine Raimbault qui est un film de procès.