Parrain de l’exposition « De Méliès à la 3D : la machine cinéma » qui se tient à la Cinémathèque française jusqu’au 29 janvier 2017, Roman Polanski avait, il y a quelques mois, participé à un long entretien animé par Frédéric Bonnaud, directeur général de la Cinémathèque, et Laurent Mannoni, commissaire de l’exposition. En voici le compte rendu.*
Laurent Mannoni : Si on vous a demandé d’être le parrain de l’exposition, c’est parce que vous êtes l’un de ces cinéastes techniciens capable d’incarner le métier de chef opérateur, de cadreur, voire de décorateur. D’où vous vient cet amour pour la technique, pour ce bricolage ?
Roman Polanski : Je ne sais pas d’où cela vient. On est comme cela, dès l’enfance ; on a la passion pour quelque chose. Il y a des gens qui aiment les poupées, d’autres qui aiment les pistolets, il y en a qui aiment le cinéma. Moi, j’étais dans ce groupe là, puis cela s’est développé car j’ai eu l’occasion de découvrir le projecteur, cette boîte avec une lumière et une lentille. J’ai eu la chance, étant gosse, de travailler dans une radio et plus tard au théâtre. Ensuite, j’ai fait l’école des Beaux-Arts. Tout cela s’est combiné dans une connaissance qui m’est très utile aujourd’hui pour faire mon métier.
Laurent Mannoni : « Si Roman n’était pas un cinéaste, je pense qu’il serait un scientifique » dit votre ami scénariste Gérard Brach. Kenneth Tynan, le scénariste de Macbeth, ajoute « si le téléphone de sa voiture tombe en panne, il me donne une explication complète de deux minutes sur l’utilisation de l’électronique ». J’imagine que toute cette science technique que vous avez vient de l’école de Lodz ?
RP : Oui, j’ai appris beaucoup dans cette école, bien qu’il y ait des étudiants qui ont fini cette école sans rien comprendre. Quand on est passionné par quelque chose, automatiquement on cherche, on s’intéresse et notre savoir augmente. Si on est curieux, on demande, on pose des questions, on cherche.
LM : Quand on étudie votre filmographie, on a l’impression que vous avez envie de vous saisir des nouvelles techniques qui apparaissent. Vous commencez avec des Arri 2 35 mm, puis des optiques Panavision, avec « Le bal des vampires » et quand le Dolby est apparu vous êtes le premier en France à l’utiliser pour « Tess »…
RP : Il n’y a rien d’étonnant dans cette démarche. Quelqu’un qui s’intéresse au football pourra vous dire combien de buts ont été marqués en telle année et la composition de la future équipe. Quand on s’intéresse, cela devient notre plaisir. Pour ce qui est du son, il était assez médiocre jusqu’à l’arrivée du Dolby. Je courais toujours dans la cabine pour augmenter un peu le niveau, car ce n’était jamais assez fort. Aussi, j’ai voulu utiliser le Dolby pour « Tess » car je trouvais cela formidable à cette époque, d’avoir un film avec un son sur plusieurs pistes. Nous avons tout fait au studio de Boulogne-Billancourt où l’installation ne pouvait pas servir ce genre de technologie. J’ai fait venir des techniciens de Londres, mais ce fut l’enfer !
LM : Est-ce que vous cadrez toujours vos films ?
RP : Oui, cela fait partie de mon métier, c’est mon job. Je fais répéter les acteurs, je les observe, je forme la scène et après je me pose la question, comment je vais la filmer. Il y a de grands metteurs en scène qui font l’inverse, qui ont déjà la scène en tête et qui font accepter aux acteurs leur choix, la situation qu’ils ont imaginée. Moi je ne fais pas comme ça. Quand j’ai fait cette répétition, cette organisation de l’espace, je cadre à l’aide de mon viseur pour choisir mon objectif. Ce qui est très important pour moi, c’est la distance de la caméra aux personnages que je filme. Si je raconte une histoire intime, je serai près du personnage. D’abord j’établis cette distance et après le format de mon cadre.
LM : Est-ce que la caméra numérique a changé vos méthodes de travail ?
RP : Je ne sais pas. Il y a certains avantages dans la caméra numérique, un des plus importants pour moi, c’est que l’on n’a pas besoin de recharger le film chaque 10 minutes.
Frédéric Bonnaud : Est-ce que le numérique a changé quelque chose pour le montage ?
RP : Pour le montage c’est phénoménal ! Tout a changé en mieux. Au départ, je me demandais si le temps à attendre que le monteur cherche le bout de film et le colle, si ce temps de patience n’était pas effectif, car il pouvait donner des idées. Quand vous êtes forcé à une certaine immobilité comme dans la salle d’attente d’un dentiste ou sur un téléphérique, pas mal de bonnes idées viennent du fait d’être contraint à ne rien faire. Je me suis posé la question de savoir si avec le numérique je n’ai pas perdu quelque chose et si on n’allait pas nuire à la création. Mais cette facilité fait qu’on ne perd plus de temps, le gain de temps est énorme et on peut faire plusieurs versions facilement et les comparer.
FB : Vous nous avez parlé de votre plaisir à faire des trucages. Comment abordez-vous les nouveaux systèmes de trucage ?
RP : Vous savez, tous ces trucages, toutes ces idées, c’est un peu enfantin ; le train électrique, sans doute, est en nous jusqu’à la mort. Et bien sûr, quand le trucage numérique arrive, on l’exploite, on trouve que c’est un outil formidable. Aujourd’hui, on peut montrer tout ce qu’on imagine. On a fait reculer les limites du possible. Les trucages numériques, c’est phénoménal et j’adore cela ! Bien sûr, tout dépend de comment on les utilise. C’est vrai avec n’importe quelle invention, avec un pistolet, par exemple !
FB : Est-ce que vous pensez que le numérique a changé le rythme des films ? Il me semble qu’on voit la trace du montage numérique, c’est-à-dire que les plans sont de plus en plus courts et que le rythme du film est de plus en plus rapide.
RP : Moi, je pense que cela est lié à l’évolution du spectateur, parce que la grammaire du film a aussi évolué depuis les temps de Méliès. Disons, s’il fallait que quelqu’un passe, sorte et entre dans une autre pièce, il fallait le voir ouvrir la porte puis le voir entrer de l’autre côté de la porte. Maintenant, on n’a plus besoin de cela, on accepte qu’il se lève, puis de le voir dans une autre pièce sans choquer le spectateur. Il lit plus vite, il est moins analphabète. La perception est totalement différente aujourd’hui, notamment chez le jeune public qui n’a pas besoin de suivre ; il capte des flashs. La perception aujourd’hui est complètement différente. Le montage permet de couper comme on veut et passer d’une conception à une autre sans difficulté, parce que le spectateur acceptera la coupe.
LM : Vous avez dit que, dans le futur, le cinéma serait beaucoup plus immersif, verra-t-on un jour un film de R. Polanski en 3D ou en Odorama ?
RP : On rit quand on parle de l’Odorama, mais cela aurait pu être fantastique. On ne peut pas faire un film odorant en envoyant des parfums dans la salle. Il faudrait trouver une autre méthode pour faire disparaître ou apparaître l’odeur quand on veut. Cela serait intéressant, mais pour le moment on n’a rien inventé de tel. Quant à la 3D, j’ai fait des essais il y a très longtemps, au début des années 70. Je voulais faire un film érotique en 3D. Finalement j’ai arrêté le projet car certaines choses me gênaient, comme le cadre. Quand on regarde un film, le cadre n’est pas gênant : un film c’est une photo animée, c’est 24 photos par seconde. De côté, l’écran est oblique, au centre il est symétrique et c’est facile de l’accepter parce que c’est une image animée. Mais en stéréoscopie 3D, quand les objets viennent vers vous, tout d’un coup ils sont coupés par le cadre autour de l’objet. Cela me gêne énormément. L’autre problème, c’est que pour beaucoup de gens la 3D fait mal à la tête, cela fatigue terriblement les yeux. Dans la vie, vous convergez sur un point à la même distance, mon doigt par exemple ; en 3D, vous êtes obligé d’accommoder sur l’écran, sinon l’image est floue, même si l’objet est près devant vous. Le procédé impose une gymnastique à laquelle nous ne sommes pas habitués car les yeux ne sont pas fait pour cela. Si on arrive à avoir l’écran qui nous enveloppe en 3D avec un moyen de contourner cette fatigue oculaire, j’aimerais bien me lancer de nouveau dans l’aventure… Avec une bonne histoire !
LM : Comment imaginez-vous la technique de demain ?
RP : La qualité de l’image et du son s’améliore sans cesse, mais on va arriver à un moment où l’on n’aura plus besoin de plus. Ce qui manque au cinéma d’aujourd’hui c’est l’inspiration pour exploiter toutes ces nouvelles technologies. Je pense que l’écran va s’élargir pour nous envelopper… Et je pense qu’il est plus facile de voir l’évolution de l’art en rétrospective plutôt que dans l’exercice que vous voulez me faire faire ! Une chose est certaine, si le cinéma continue à exister, c’est parce que c’est l’expérience d’un groupe d’individus et pas d’un seul homme. Un bon film vu dans une salle bien bondée ne procure pas la même expérience qu’un bon film regardé chez soi, même dans les meilleures conditions !
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #19, p.38-39. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.