Mediakwest : Quel est votre parcours professionnel ?
Sébastien Devaud : J’ai eu la chance de passer par plusieurs professions jusqu’à atteindre celle de réalisateur, notamment le montage, la prise de vue, la lumière… Depuis un peu moins d’une vingtaine d’années, j’éprouve un réel plaisir à réaliser, mais je n’aime pas me cantonner à un style de réalisation, c’est vraiment le projet qui m’attire avant tout. J’aime autant réaliser une série qu’une pub, qu’une émission de télévision, qu’un documentaire. Après, il est vrai que les projets sur la longueur n’ont pas ma préférence ; je préfère passer d’un sujet à un autre. C’est pourquoi je ne me suis pas encore engagé dans la fiction. Bien qu’elle m’attire, je sais qu’elle peut te prendre trois ans de ta vie. Ma priorité est de conserver le plaisir de créer.
M. : Et d’utiliser la technologie pour sa partie créative ?
S. D. : Oui, grâce aux relations privilégiées avec les marques, Canon en l’occurrence. Il est agréable d’être proche de la technologie et de pouvoir goûter à sa quintessence en avant-première, en exclusivité, de pouvoir réfléchir avec un temps d’avance, de la détourner parfois et d’y trouver vraiment l’intérêt créatif.
M. : Pensez-vous que la technologie s’est complexifiée ou pas ces dernières années ?
S. D. : Oui, je pense qu’elle s’est complexifiée, parce qu’elle s’est numérisée et le numérique apporte plus de possibilités. Une partie des étapes de fabrication, de réglages ne se voit plus, ce qui est plutôt positif. Le choix des possibles est immense. Les constructeurs proposent aux utilisateurs l’accès à des réglages très pointus. Il est souvent possible d’avoir différents niveaux, du tout automatique au tout manuel, avec des étapes intermédiaires. La réussite d’une caméra ou d’une application réside plus particulièrement dans leur interface utilisateur, et d’avoir cette impression de simplicité. En fait, en arrière plan, il y a beaucoup d’informatique, des processeurs, des algorithmes qui œuvrent. Toutefois, il ne faut pas que la technologie soit l’acteur principal, ce qui est important c’est de retranscrire la création, c’est l’essence même de ce que l’on va filmer et Canon l’a bien compris.
M. : Vous avez pu tester en avant-première la Canon XF705. Quelles sont ses qualités intrinsèques ? Qu’avez-vous particulièrement apprécié ?
S.D. : Pour situer la caméra XF705 dans la gamme, il s’agit avant tout d’une évolution de taille du modèle XF305. Canon dispose de trois gammes : EOS Digital pour les appareils photo ; Cinema EOS pour la gamme cinéma et grand capteur ; et XF pour la gamme corporate, news, reportage. La XF305, sortie il y a huit ans maintenant, a vraiment remporté un gros succès et est toujours en location chez nombre de loueurs. Canon a sorti plusieurs petites caméras depuis, mais en termes d’ergonomie et de design, c’est vraiment celle-ci, la XF705, qui est l’héritière directe.
Personnellement, j’aimais beaucoup utiliser la XF305 sur des sujets broadcast. J’ai donc abordé la XF705 avec un a priori positif. La première chose que j’ai voulu regarder, tester, c’est l’optique parce que je suis tombé amoureux des optiques pendant mes études. Le potentiel de la grammaire narrative des optiques permet de raconter des histoires. De grands réalisateurs, comme Sergio Leone, Stanley Kubrick, Orson Welles, ont célébré cette grammaire du cadre. Je ne suis par forcément fan des optiques qui ne sont pas interchangeables. Mais bon, sur la XF705 il y a le petit liseré rouge qui prouve que c’est une série L à laquelle appartiennent les meilleures optiques de chez Canon.
La caméra couvre une large gamme de focales, c’est complètement bluffant ! Surtout, sur ce type de caméra corporate et news où il faut aller parfois chercher un sujet loin de l’image ou faire un cadre serré. Le zoom 300x digital est également intéressant, il peut servir à plein de choses et notamment en news, quand on est obligé de zoomer et que la qualité n’est plus la chose la plus importante. En cela, l’optique est étonnante parce que, quand on lui rajoute ses compléments, on arrive à avoir une optique, en rapport Super 35, 20 mm-1 200 mm en HD et 600 mm en UHD.
Après, en regardant les premiers rushes, je me suis pris une claque, au même titre que celle reçue quand j’ai visionné les rushes du 5D Mark II à l’époque. Il y a un « waouh effect ». L’un des atouts de la caméra est son nouveau codec, le HEVC H.265. Elle est la première du marché à l’avoir. Je pense que Canon va marquer beaucoup de points et, pour moi, cette caméra est la première qui va aider à démocratiser le 4K.
Aujourd’hui, le 4K n’est pas encore très utilisé dans les flux de production broadcast parce qu’il faut tout de même changer beaucoup de choses dans le workflow. Le H.265, par sa compression, va permettre, en tout cas pour de nombreux utilisateurs, de faire oublier la crainte des capacités de stockage énormes que nécessite le 4K. Et cela, franchement, je l’ai ressenti dès le premier test. Grâce à ce nouveau codec, Canon simplifie l’usage de la 4K, tout en conservant les qualités intrinsèques de l’image. Je suis persuadé que la XF705 va vraiment démocratiser le passage du Full HD à l’UHD.
J’ajouterai un troisième atout. Je veux parler de tout ce que Canon a ajouté sur la caméra et qui est lié au feedback utilisateur. Ce sont des petites choses, mais elles font toute la différence en tournage. Ce sont des détails qui prouvent que cette marque écoute ses clients.
M. : Des exemples…
S.D. : Je peux en citer trois. Déjà, l’endroit où on met son moniteur à l’arrière, qui est normalement sur le sabot avant. Là, ils l’ont placé à l’arrière, c’est complètement malin, parce que c’est là où l’utilisateur a envie de mettre ses moniteurs et ses micros. Autre exemple : les prises XLR à l’arrière et les prises BNC pour pas que les cordons soient en latéral, mais qu’ils soient bien à l’arrière de la caméra. L’écran aussi, qui peut se déplier à gauche et à droite. Tout cela résulte des retours d’utilisateurs.
Canon fait la différence parce que, au final, ce sont des détails qui, sur le terrain, t’aident vraiment. C’est un respect de l’utilisateur, au même titre que le choix des batteries ; ce sont les mêmes que sur la C200 ou C300 Mark II. Le choix des cartes SD aussi que l’on peut trouver dans le monde entier, n’importe où. Les coûts d’utilisation sont ainsi réduits.
Autre point fort de taille, c’est que Canon a ajouté le HDR sur ce type de gamme. Il est donc possible de matcher différentes caméras ou appareils photo Canon. Les équipes de R&D ont ajouté des fonctions nouvelles qui ne sont même pas encore utilisées : le HDR pour faire du live. Autrement dit, la vidéo peut être enregistrée en interne sur les cartes SD, mais il est possible d’envoyer le flux par sa connexion 12G-SDI ! On aura le même signal 4:2:2 10 bits 50p, UHD HDR, tout cela par un seul câble !
M. : Comment différenciez-vous la XF705 de la gamme EOS Cinema, des C200 ou C300 ?
S.D. : Par la taille des capteurs ! Là dessus, je le dis tout de suite, c’est la taille des capteurs. Pour différencier la gamme XF, par rapport à la gamme Cinéma c’est par les rapports de profondeur de champ que je peux avoir avec mes grands capteurs, qui offrent plus de profondeur de champ, même si nous sommes sur un capteur 1 pouce sur la XF705. Toutefois, la XF705 offre de la profondeur de champ que l’on ne trouvait pas du tout dans ce genre de gamme. Nous nous approcherons de l’image cinématographique grâce au profil colorimétrique. On amène ce rendu, cher à tous aujourd’hui parce qu’évidemment, en plus de savoir raconter des histoires, chacun veut aussi les rendre esthétiques. Eh bien, cette caméra le permet.
M. : Serait-il envisageable, par exemple, de mixer sur certains projets une C200 avec une XF705 ?
S.D. : Oui ! J’ai en tête un exemple très concret. Je viens de tourner une émission pour France 2 intitulée Au cœur des éléments au cours de laquelle est retranscrite une tempête. Je devais faire des séquences, où j’avais besoin de ralentis, donc là c’est davantage la C200. Mais pour enregistrer tout le flux où j’avais en gros 33 caméras, je pense que la XF705 avait sa place pour tourner une certaine partie.
Sur La parenthèse inattendue avec Frédéric Lopez, je tournais avec huit caméras XF305 ; la XF 705 sera mon choix direct pour ce type de projet. Quand nous avons fait le pilote, nous avons tourné 14 heures d’affilée ; à la fin, les opérateurs étaient épuisés ! La XF705 leur simplifiera la vie car elle dispose de nombreuses assistances de prise de vue.
Cette caméra peut fonctionner en autofocus, elle n’est pas que dédiée au monde professionnel. Des journalistes, des JRI sans grandes connaissances techniques vont s’en sortir et ramener des trucs incroyables. C’est là qu’elle va prendre une place que les autres n’ont pas. Les EOS Cinema ne peuvent pas occuper cette place, parce que, même si on leur donne de l’assistance, jamais on n’obtiendra quelque chose d’aussi malléable.
M. : Dans quels cas de figure préconisez-vous l’utilisation de cette caméra ? Quel est son champ d’action ?
S.D. : En utilisation unitaire, elle est franchement pour le news, le sport, le journalisme, le documentaire bien sûr. Ce qui est génial c’est que pour le documentaire, il ne faut plus réfléchir, il faut tourner en 4K, même si ce n’est pas pour le diffuser en 4K. De nombreuses opportunités créatives sont liées à la caméra.
En broadcast, en multicaméra, cette caméra est évidente pour moi. Elle va coûter beaucoup moins cher à des productions désirant la mettre en multicam. Pour l’avoir testée sur la XF305 et avoir vu le rendu que nous avons réussi à obtenir si l’on passait un peu de temps à l’étalonnage, elle est totalement dédiée à du multicaméra broadcast. La sortie 12 G SDI permet le multicam, il est possible également de streamer en HEVC 4K.
Avec le film promotionnel que nous avons réalisé pour sa sortie, nous avons vraiment mis en avant les assistances focus. Il est possible de filmer en total autofocus ou en autofocus assisté. Ce dernier est mon préféré, c’est l’utilisateur qui fait le point, mais dès qu’il a détecté l’objet ou la personne qui l’intéresse, l’autofocus va affiner tout seul. Donc, la finition, dans des conditions un peu extrêmes de lumière, c’est lui qui s’en charge, c’est génial !
Autrement, il y a le tracking. Nous avons expérimenté cette fonction avec un sportif, un recordman du 100 mètres, il fallait le filmer comme nous le pouvions ; il n’était pas là pour nous ! Le tracking de mise au point a très bien marché, et nous avons eu le point du début à la fin, sans effet pompage. C’est ce que je demande à tout le monde : « Tu vas te mettre à ma place. Maintenant, tu vas le faire manuellement et tu vas me dire si tu arrives à le réaliser sans pompage, du début à la fin ? ». Ça, la XF705 sait le faire. C’est vraiment un truc qui est nouveau pour moi : avoir des assistances sur lesquelles tu peux te fier !
Quelques mots sur l’audio peut-être. C’est vrai, c’est un point qui m’intéresse. Il y a quatre entrées, un micro intégré, deux XLR et une entrée minijack. À la fois, sur ce type de caméra, si on est amené à faire du news, le reporter est pratiquement les trois-quarts du temps avec un HF ou alors il doit faire une interview rapide. Canon a respecté le son, la qualité d’enregistrement du micro interne est très bonne. Les deux XLR ont des places parfaites. Le son est plus que respecté, il est intégré. Canon a bien compris qu’une caméra doit servir, et l’audio et la vidéo.
M. : En matière de codec, que pensez-vous du HEVC d’une manière générale, et plus particulièrement de la version Canon, le XF HEVC ?
S.D. : Avec le HEVC, nous sommes dans le futur. Il y a dix ans, je n’arrivais pas à comprendre comment, dans un boîtier comme le 5D, on arriverait à la fois à faire des photos et à sortir un Full HD. Je n’imaginais pas faire tout cela sur une petite carte SD de ce type. Avec le HEVC, c’est pareil, on parvient à obtenir cette matière et cette qualité.
Et le XF HEVC, c’est l’enveloppe dans laquelle Canon a décidé de mettre ce codec. C’est un standard fantastique qui permet d’avoir toutes les informations et les métadonnées. Les trois-quarts des gens ne savent même pas que toutes ces métadonnées, informations sont enregistrées et qu’elles peuvent être super utiles.
M. : Le HDR ?
S.D. : Ce qui est bien sur la XF705, c’est que je peux envoyer mon signal HDR et enregistrer SDR, je ne suis pas obligé d’avoir la simultanéité entre l’enregistrement et la diffusion. Et là c’est pareil, je peux enregistrer du Full HD et diffuser du 4K, ou inversement. Ça, c’est vraiment nouveau aussi !
La caméra fait aussi du ralenti en Full HD. Pour le documentaire, c’est quand même sympa de pouvoir produire des contenus en ralenti à 120 i/s. À chaque fois que l’on a commencé à parler de cette caméra, ce qui était bien, c’est que les gens demandaient « Et ça, il y a ? ». « Eh bien oui, il y a ! », c’est dur de la piéger !
M. : Justement, par rapport au HDR, qu’est-ce que cela apporte en termes de valeur ajoutée ?
S.D. : On pouvait reprocher à certaines caméras de la gamme corporate de ne pas avoir ce rendu esthétique que tout le monde adore parce que, maintenant, on recherche la restitution de l’esthétique cinématographique. Tout d’un coup, voilà on a de la haute dynamique, ce rendu flatteur. On met un peu de désaturation, un peu de HDR, on travaille un peu en longue focale et c’est bon !
D’ailleurs, mon premier test portait sur des footballeuses du Paris Saint-Germain. Le temps était ensoleillé, nuageux, avec des bons contrejours. Le rendu de peau avec le HDR est incroyable. Je me suis amusé à l’IBC où ce test était diffusé à demander aux visiteurs : « Avec quoi ai-je tourné ? » Tous ont répondu : « Avec EOS Cinema ». Cette image n’est pas reconnue comme celle de la gamme XF. Vous parliez de concerts, et je pense que la haute dynamique va permettre de faire du live dans des environnements où il a des lumières assez extrêmes.
M. : Surtout de plus en plus, comme on fait de l’info décor avec du led en arrière plan…
S.D. : Canon a ajouté la fonction Clear Scan, ce qui permet de régler finement la fréquence du shutter et éviter les barres noires et les images qui sautent sur les écrans. La led événementielle qui n’est pas du tout stabilisée en fréquence. C’est très bizarre d’avoir autant de possibilités au niveau du réglage shutter, pratiquement tout est accessible, même le shutter cinéma !
M. : Personnellement, tournez-vous encore en HD ou tout en 4K ?
S.D. : Par rapport à mon activité ? De manière générale, avec celle-ci quand je pars en tournage, ce sera 99 % du 4K, le 1 % restant que je vais utiliser ce sera le ralenti Full HD, parce que je ne vais pas réfléchir à mes cartes. Après, je sais que je pourrai tout à fait redescendre ; in fine, cela me donnera une double image. Celle-là, je tournerai essentiellement 4K. En ce qui concerne le Full HD, je pense qu’il va tout doucement disparaître, c’est sa fin de vie. Là ça y est, ce type de caméra me fait entrer de plain pied dans le monde du 4K. Je ne vais plus réfléchir.
M. : Un mot de la fin ?
S.D. : La caméra XF705 est polyvalente, elle servira pour de nombreux usages, que ce soit en caméra unitaire, ou en multicam. Les qualités de l’optique, du traitement de l’image, du codec sont exceptionnels et vont démocratiser l’usage de l’UHD. De plus, le support du HDR et du capteur 1 pouce favorise la création d’une image qui a une esthétique cinéma. En résumé, cette caméra sait tout faire.
Prix du XF705 : 6 000 € HT.
Retrouvez également 2 vidéos autour de la XF705 avec l’aide de Sébastien Devaud…
Dans la première, il nous livre ses premières impressions sur l’utilisation de cette caméra et nous explique les différents points forts et bénéfices utilisateurs lors d’une interview ici…
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.24/26. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.