« Une Sofica est un fonds d’investissement. Chaque année, elle lève des fonds auprès de souscripteurs particuliers. Cet argent est investi dans le cinéma français », explique Rosalie Brun, déléguée générale de l’Association de représentation des Sofica (ARS).
En 2019, douze Sofica ont été agréées par la direction générale des Finances publiques, le Centre national du cinéma CNC et l’Autorité des marchés financiers. Cette triple tutelle décide chaque année de la répartition d’une enveloppe globale de 63,07 millions d’euros.
« Chaque année, les Sofica présentent un dossier détaillant les investissements qu’elles entendent réaliser l’année suivante, leur politique d’intervention, leurs engagements pris via la Charte des Sofica. À savoir, soutenir des films français fragiles, produits pour leur grande majorité par des sociétés indépendantes qui ne sont pas “à forte puissance de marché”, mais aussi aider à financer des premiers films et consacrer un pourcentage de leur investissement au cinéma d’animation et à l’audiovisuel », reprend-elle.
Ces engagements leur permettent d’avoir le droit de lever des fonds et font d’elles de véritables outils de politique publique. Chaque Sofica se voit allouer une part de cette enveloppe, selon ses engagements d’investissements et de gestion. « Elle s’engage alors à investir au moins 90 % dans des œuvres cinématographiques et audiovisuelles », affirme Rosalie Brun.
La collecte 2019 a démarré à l’automne, en octobre et s’est close le 31 décembre. Chaque Sofica travaille pour cela avec des banques et des conseillers en gestion de patrimoine. Les souscripteurs, en investissant dans une des douze Sofica agréées, achètent des actions, des parts financières d’un film, pour une durée de dix ans, pouvant être débloquées à cinq ans. En contrepartie, ces derniers bénéficient d’un abattement fiscal.
« La réduction d’impôt est de 30 %, mais si la Sofica s’engage à investir au moins 10 % dans la phase de développement, elle atteint 36 %, et si ce pourcentage minimum est également consacré au développement de séries audiovisuelles ou à l’export, elle est majorée à 48 % », souligne-t-elle. Cet avantage fiscal vient en contrepartie du risque pris, tient-elle à rajouter, car les remontées de recettes sont souvent faibles et investir dans le cinéma reste un pari. Malgré tout, le rendement annuel des Sofica oscille en moyenne de 6 à 7 % par an, sur 5,5 à 6,5 ans (Le Figaro, octobre 2016).
Si certains films ont du succès en salle et vont faire remonter des recettes, plus nombreux sont ceux qui n’entrent pas dans leurs frais. Dès la fin de la collecte, commencent alors les investissements, Sofica et producteurs négocient ensemble les couloirs de recettes sur lesquels les premières pourront se positionner. « Ces couloirs sont partagés entre les ayants droit et les différents financeurs du film. Cela fait partie des négociations propres à chacune des Sofica », explique-t-elle. « En règle générale, au bout de cinq ans, la Sofica propose ensuite aux producteurs de racheter leurs droits sur le film. C’est intéressant pour les producteurs et cela permet aux Sofica de pouvoir rembourser les souscripteurs. »
Un apport de trésorerie avant tournage
Quel est donc l’intérêt pour le producteur de faire appel à une Sofica ? Et quand entre-t-elle dans le budget du long-métrage ? L’une des particularités de ces sociétés de financement est d’arriver souvent au bouclage du budget. Elles viennent combler le gap, leur apport permet souvent de terminer le tour de table de financement et de lancer la mise en fabrication. Elles peuvent aussi intervenir plus en amont, en investissant dans le développement.
Dans ce cas précis, elles souscrivent, via une filiale, au capital des sociétés de production, afin d’investir dans la phase de développement de plusieurs projets. Sinon, en contrat d’association à la production, la Sofica se positionne pendant le financement du film, lorsque le plan de financement est déjà un peu avancé. Elle doit en effet bâtir une projection des recettes pour se positionner sur un projet, évaluer le risque. Selon les financeurs déjà engagés sur le projet (chaînes de télévision, régions, etc.), le casting, etc., elle peut sentir le potentiel commercial et artistique d’un film. Il ne faut pas oublier qu’elle doit rendre des comptes aux souscripteurs.
Chaque Sofica fonctionne avec un comité d’experts composé de professionnels de l’industrie du cinéma. Il se réunit une fois par mois pour évaluer les projets. « Autre avantage pour le producteur : la Sofica débloque un apport en cash avant le tournage, contrairement aux autres partenaires (chaînes, régions, etc.) dont les aides sont généralement versées quand le tournage est bien avancé ou même quand le film est fini. Sa présence au plan de financement peut en outre servir de garantie auprès des banques et établissements de crédit », avance Rosalie Brun.
Par sa stabilité, l’enveloppe annuelle étant toujours au même niveau, la Sofica est un dispositif fiable. Tout l’enjeu de l’ARS est que cette niche fiscale soit pérennisée. À l’heure où les financements dans le cinéma sont en berne, « il est important que les producteurs sachent que les Sofica sont là. Nous aimerions aussi pouvoir davantage intervenir pour aider le secteur de la distribution indépendante ». Les premiers comités ont eu lieu en janvier dernier. Un nouveau bilan des investissements de 2019 (collecte 2018), réalisé par l’ARS sera publié au moment du Festival de Cannes.
CÉSAR, OSCARS, BERLINALE, LES SOFICA À L’HONNEUR
Seize films nominés aux César 2020 ont une ou plusieurs Sofica dans leur financement, soit 50 % des films. Ils totalisent 82 nominations, soit près de 80 % des nominations. Parmi ces films, cinq sont des premiers films, comme Les Misérables, de Ladj Ly (qui représente aussi la France aux Oscars 2020) ou encore Au nom de la terre, d’Edouard Bergeon, et trois sont des deuxièmes films. Les neuf films les plus nominés ont été financés par une ou plusieurs Sofica, parmi lesquels Grâce à Dieu, de François Ozon ou encore La Belle Époque, de Nicolas Bedos.
Tous les films majoritaires français sélectionnés à la Berlinale en 2020 ont été financés par une ou plusieurs Sofica : Le Sel des larmes, de Philippe Garrel, Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Police, d’Anne Fontaine, A l’abordage, de Guillaume Brac, Sème le vent, de Danilo Caputo, Le Temps du cannibalisme, de Teboho Edkins et Petite fille, de Sébastien Lifshitz.
LES SOFICA EN CHIFFRES
• 1,8 milliard d’euros levés depuis 1985
Collecte 2018
- 12 Sofica ont été agréées pour lever 63,07 M€ : 62,88 M€ (99,7 %) ont été collectés.
- 58,59 M€ (90 % de la collecte), dont 36,50 M€ ont été fléchés vers des producteurs indépendants.
Collecte 2017, investie en 2018
- 11 Sofica ont collecté 63,10 M€.
- 57 M€ ont été investis dans la création française : 46,50 M€ dans la production cinéma (dont 10,10 M€ dans le développement), 10,30 M€ dans l’audiovisuel (dont 2,30 M€ dans le développement).
- Cette enveloppe se ventile sur 125 longs-métrages de cinéma : 112 fictions (34,40 M€), 8 documentaires (0,50 M€), 5 films d’animation (1,50 M€). 34 œuvres audiovisuelles ont bénéficié de ces aides : 10 fictions (3 M€), 10 documentaires (0,80 M€) et 14 œuvres d’animation (4,20 M€).
- 14,40 M€ dans 40 premiers longs-métrages et 24 deuxièmes films.
- 79 % de leurs investissements ont été réalisés dans des films dont le budget est inferieur à 8 M€, soit près de 29 M€ investis dans 113 longs-métrages. Devis moyen d’un long-métrage soutenu par une Sofica : 4,6 M€. Devis médian : 3,6 M€.
- Près de 17 % des longs-métrages dans lesquels ont investis les Sofica n’ont aucun pré-achat TV, 34 % uniquement un pré-achat d’une chaîne payante.
- 41 %, soit 51 longs-métrages ayant obtenu un apport de Sofica, n’ont bénéficié d’aucune aide régionale
- 73 %, soit 91 films, n’ont pas été choisis pour l’avance sur recettes avant réalisation.