« Aujourd’hui, une solution pour tous ne fonctionne plus », affirme d’emblée Franck Choquard, responsable des contenus et services au sein d’Eurovision Sport. Quant à Patrick Jeant, « le même contenu pour tout le monde ne pourra pas survivre longtemps », abonde l’ancien directeur de l’innovation et de la postproduction à Eurosport, aujourd’hui consultant spécialisé en Techart, RA, VR, 360 et Game Engine.
Si, traditionnellement, les retransmissions sportives sont une expérience linéaire « one to many », « la personnalisation nécessite de casser les codes ; livrer en “one to one” demande non seulement de repenser le contenu, mais également de revoir l’utilisation des canaux et flux de distribution », prévient-on chez Host Broadcast Services (HBS). « À ce stade, l’absence de business model stable et démontré est l’élément majeur freinant l’innovation dans ce domaine. »
Toujours est-il que l’opérateur hôte de la Coupe du monde de la Fifa se prépare à livrer de plus en plus de flux personnalisés avec des graphiques interactifs disponibles en direct, par exemple, sans pour autant perdre de vue qu’ « une expérience linéaire “lean-back” sans interaction sera toujours nécessaire. »
Côté télé
Les chaînes aussi se préparent à entrer dans ce nouveau monde. La transformation mise en train par Eurosport (Eurosport Technologies Transformation, ETT) en est un exemple. La contrainte était l’accès des différentes versions et services du diffuseur paneuropéen aux contenus sources. Mais ce verrou technologique devrait sauter en 2020 à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo.
Dans un autre registre, Eurovision Media Services (EMS), la branche commerciale de l’Union européenne de radio-télévision (UER), a développé une solution permettant à ses partenaires de personnaliser les graphiques à distance, de manière à les rendre culturellement acceptables par tous les publics auxquels ils sont destinés.
« Aujourd’hui, l’adaptation du contenu, soit dans le cloud (publication digitale à ce stade), soit dans le pays de réception, est une nécessité au vu des contraintes techniques, économiques et logistiques qui pèsent sur nous », justifie Franck Choquard. « Notre système remote graphics est clairement dans cet esprit. »
Ce système BtoB ou BtoC, suivant le nombre de ses utilisateurs, consiste à transporter dans la même bande passante le signal de l’événement et celui issu d’un codeur sur site qui déclenche à distance l’affichage des éléments (compositions d’équipes…) préalablement stockés dans la machine graphique réceptrice. Comme si l’applicatif tournant dans le car régie faisait office de poste maître et la machine graphique dans le pays ou la région de réception, de poste esclave. Ainsi, le nom d’un athlète peut s’afficher en kanji ou en caractères cyrilliques et des marques locales peuvent s’associer à des événements dont elles étaient jusqu’ici exclues.
La technologie, qui se veut transparente, peut s’utiliser sur fibre, satellite ou d’autres supports, comme Internet. Après une batterie de tests réalisés au cours de ces trois dernières années et centrés sur le biathlon, le ski et le football, elle serait, selon nos informations, en passe d’être déployée lors des matches d’une ligue nationale, qui pourrait être la Bundesliga. Par ailleurs, « nous allons continuer à développer cette approche sur le biathlon et d’autres sports où le besoin d’adaptation dans certains territoires devient de plus en plus pressant », enchaîne Franck Choquard.
Toutefois, s’il est désormais possible de modifier le signal, la mise en œuvre de ce genre de solution devra tenir compte des intérêts de sponsoring créés parfois de longue date, des contrats de droits en place et des impératifs de production, typiquement sur la Formule 1. Du côté de la FOM (Formula One Management), en effet, « la règle est d’avoir le point non pas tant sur la voiture que sur la pub », révèle de manière anonyme l’une des parties prenantes.
Le sport s’y met aussi
De nos jours, « on fait du broadcast avec de l’unicast. Chaque fois que quelqu’un se connecte, c’est un flux qui lui est propre. Du coup, on peut en profiter pour personnaliser la distribution, du moins à l’échelle d’une communauté », expose Pierre Maillat, responsable des études et de l’architecture à la Direction Technique Edition (DTE) du groupe Canal +. Une analyse que ne renieraient pas les instances du football et du tennis en France, tout comme, à l’international, la ligue polonaise de football, l’USGA (golf) aux États-Unis, la ligue Pro14 de rugby ou encore l’Union des associations européennes de football (UEFA). Toutes, en effet, sont sur le point de lancer, si ce n’est déjà fait, des services OTT qui doivent leur permettre d’adresser des communautés de fans et de mieux connaître en retour leurs attentes. Et les clubs s’y mettent aussi, comme le champion d’Angleterre en titre, Manchester City, avec le lancement de Man City for TV en juillet.
Après la mise en service en juin d’UEFA.tv par l’instance dirigeante du football européen, qui a fait appel aux équipes de NeuLion, repris par IMG, pour toute la partie ingénierie et implémentation, le projet de la Ligue de football professionnel (LFP) en France est l’un des plus avancés. Lequel verra le jour dans le courant de la présente saison.
« Nous aurons une base indexée et en fonction des habitudes de consommation de nos fans, nous leur pousserons le contenu qui les intéresse », explique Mathieu Ficot, en charge des activités media et du développement à l’international. La plate-forme ne proposera a priori que des produits de consommation non linéaires, tels que des archives, des résumés de matches, des teasers, des tournages propres (images « inside » et autres). Mais « dans des territoires comme la Pologne, l’Inde ou la Corée du Sud où la Ligue 1 se vend mal ou n’est pas vendue du tout, on ne s’interdira pas de diffuser certains matches en direct. »
De plus, aux termes d’un partenariat en passe d’être signé, Intel va mettre à la disposition de la LFP sa solution TrueView, qui permet une plus grande immersion dans l’action en replay grâce à une modélisation 3D et un maillage de 38 caméras robotisées autour du terrain. « Au départ, cette solution sera déployée sur les matches du PSG à domicile, avant d’être étendue à ceux de Lyon et de Marseille à partir de 2020 », annonce Mathieu Ficot.
À chacun son contenu ?
Précisément, « les différences avec le programme normal pourraient dans un premier temps concerner les replay, avec des angles de vue autres que ceux de la réalisation traditionnelle », propose Xavier De Vynck, senior vice-président, en charge des grands événements chez EVS.
Et aussi la création de highlights, dont l’automatisation, avant même de reposer sur des méthodes de deep learning, doit beaucoup aux développements menés, entre autres, par Tedial aujourd’hui et, ce que l’on sait moins, Thomson hier, comme en témoigne Pierre Maillat.
« Dans son laboratoire de recherche, à Rennes, le fabricant nous avait présenté un système de highlights automatiques d’une rare intelligence, reposant sur l’analyse de l’évolution de la quantité de mouvements image par image. En croisant dans un algorithme cette information avec les règles du sport considéré, en l’occurrence le tennis, les ingénieurs de Thomson étaient parvenus à fabriquer un résumé à chaud d’une belle tenue, avec très peu de faux positifs. »
Mais d’autres vont encore plus loin. « D’ici quelques années, le fan sera le réalisateur du match qu’il est en train de regarder », annonçait ainsi Guy-Laurent Epstein (UEFA) en septembre dernier.
D’ailleurs, du côté de HBS, la possibilité de livrer, lors du prochain Mondial, un flux pour chaque joueur, en complément du flux linéaire principal, est à l’étude. Ainsi, un outil à base d’IA comme le système de contrôle ACS (Autonomous Camera System) d’EVS, qui permet de piloter des caméras robotisées PTZ (Pan Tilt Zoom) dans un stade, pourrait être utilisé pour modifier ou compléter le programme de base en affichant à tout moment en p-i-p l’image du joueur de son choix.
En la matière, certains sports se prêtent beaucoup mieux que d’autres à ce genre d’expérience. S’il est difficile de l’envisager sur la boxe, par exemple, dont l’action tient dans un seul plan ou presque, l’athlétisme, en revanche, avec des épreuves simultanées se déroulant aux quatre coins du stade et filmées par une débauche de matériel (pas moins de trente caméras quadrillaient ainsi le stade Louis-II, à Monaco, lors du dernier meeting Herculis), offre de réelles opportunités.
« La valeur d’un produit sportif décroît très rapidement avec le temps, mais par nature la narration de certains sports (golf, ski…) s’accommode mieux d’un très léger différé que d’autres (football, formule 1…). Du coup, ils sont mieux adaptés aux expériences interactives “near-live” », fait-on remarquer chez HBS.
En dehors du terrain également, d’autres expériences de personnalisation sont en train de voir le jour (séances d’entraînement, séquences « behind the scene »…). « Dans un futur proche, les spectateurs bénéficieront systématiquement de ces contenus hors terrain sur toutes les plates-formes et médias qu’ils utilisent », annonce l’opérateur.
Cependant, comme le confiait un jour à l’auteur de ces lignes Alain Staron, alors directeur des nouveaux services de feu TPS, « la télé est faite pour raconter des histoires et tout le monde ne s’improvise pas conteur ».
D’autant que « plus le contenu est lié au direct, moins celui qui regarde est actif », note Xavier De Vynck. Aussi, plutôt que de suivre une compétition sous l’angle de son équipe préférée ou avec les yeux de son athlète favori, une autre école, parmi les acteurs du broadcast, milite pour des effets de personnalisation temps réel à l’intérieur du programme normal, comme la mise en surbrillance d’un coureur ou d’un joueur ou encore d’un certain schéma tactique, grâce à la réalité augmentée. Laquelle, avec l’IA et ses promesses (lire Mediakwest #28), sera sans nul doute l’un des pivots de la personnalisation en marche, car elle s’adapte à chaque utilisation, sans contrainte d’équipement, de lunettes et de pointeur, et donne la possibilité de raconter des histoires encore plus visuelles.
« Le seul inconvénient est le manque de standard actuel. Il est aujourd’hui très compliqué de développer de la RA, alors que cela devrait être un outil parmi tant d’autres », tempère Patrick Jeant. Quant à la VR, « le prix et la complexité des devices est un vrai problème, non encore résolu. Mais le potentiel est tout aussi important. » La preuve, notamment, avec LiveLike (lire Mediakwest #26), qui intègre les pratiques des réseaux sociaux dans le flux de l’événement.
À l’heure du broadcast orienté objet
Au-delà du modèle de production traditionnel, qui est de fournir un programme complet aux téléspectateurs, certains acteurs du sport broadcast planchent sur la mise à disposition de toutes sortes d’objets, des vidéos, des audios, des statistiques ou encore des solutions d’analyse, type Viz Libero de Vizrt, ou de réalité augmentée, que chacun serait libre de choisir en amont du programme et d’afficher suivant sa préférence. « Décomposer l’expérience du téléspectateur en objets afin qu’il puisse s’approprier pleinement le contenu, c’est une piste sur laquelle travaille en ce moment la BBC », confie Xavier De Vynck.
Le département R&D de la « Beeb » poursuit ainsi sur la lancée de 2-Immerse, un projet collaboratif de trois ans, financé par des fonds européens jusqu’à son terme en novembre 2018, et dont les autres parties prenantes étaient ChyronHego, BT, Cisco, IRT, Illuminations et CWI.
Axé sur différents modules dont le théâtre et le sport (en l’occurrence, foot et moto GP), ce projet avait pour objectif final de développer de nouvelles expériences personnalisées de télévision permettant au public, suivant ses préférences, d’enrichir via une plate-forme open source le programme normal d’un certain nombre d’objets, tel le circuit avec la position de toutes les motos, et de les afficher en p-i-p ou sur un périphérique.
Toutefois, « l’alpha et l’oméga de toute personnalisation c’est le fan, non la technologie », rappelle Carlo De Marchis, chef de produit et responsable marketing chez Deltatre. D’où une nécessaire interrogation sur le choix des objets à lui proposer.
S’il est permis de douter avec Franck Choquard de la pertinence de certains dispositifs « qui polluent l’image plus qu’ils informent », d’autres, en revanche, représentent une vraie valeur ajoutée, comme les solutions de Vizrt, dont les partenaires se nomment Shutoku, Neam, Motion Analysis ou encore RedSpy.
Ainsi, « depuis plus de dix ans, nous développons nos propres algorithmes de camera tracking, dont la qualité nous permet d’incruster facilement sous forme de réalité augmentée des graphiques, créés par Viz Engine, notre moteur maison. Que ce soit Viz Libero (système d’analyse, utilisé notamment par les opérateurs de la NBA), Viz Arena (système d’insertion de réalité augmentée en temps réel) ou Viz Eclipse (système d’affichage de publicités virtuelles), tous nos produits profitent de ces algorithmes puissants, mais simples d’utilisation », vante Remo Ziegler, vice-président en charge des produits sport.
De même, le « Cube » d’Eurosport, une cave virtuelle faite de quatre murs led et équipée de deux caméras trackées, dans laquelle étaient plongés des consultants ou des athlètes fraîchement médaillés pour raconter leur histoire ou celle des Jeux, a-t-il fait la preuve de son indéniable efficacité lors des JO de Pyeongchang, au point d’avoir été récompensé par deux Awards (IBC et CIO).
Dans ce contexte, sans doute faudra-t-il que la réalisation s’éloigne des codes et du rythme d’un programme traditionnel afin d’intégrer ces objets. Sans doute, aussi, faudra-t-il que la distribution se rapproche beaucoup plus de la production, que l’une et l’autre deviennent plus intimes, à défaut de pouvoir les réunir dans une même infrastructure.
« Dans le cadre d’une production centralisée, il est possible de produire de multiples signaux simultanés à des coûts acceptables en tirant profit du fait que les multiples moyens de production et les opérateurs sont au même endroit, et de les distribuer depuis la plate-forme centrale. C’est le concept même du Source Timed Switching, où seuls les multiviewers et les contenus produits sont envoyés au point central », expose Nicolas Déal, CTO chez Orange Sport & Media.
Sans doute, enfin, dans l’hypothèse où le compositing final serait réalisé en aval et non plus en amont, faudra-t-il amener les objets, voire les stocker quelque part. A cet égard, « les set-up boxes constituent une énorme opportunité. Elles permettent de personnaliser le contenu sans faire exploser la bande passante en déportant une partie de l’intelligence et de la composition du produit fini chez le téléspectateur », souligne Olivier Barnich, engineering manager chez EVS.
Connaître les modes de consommation et les préférences du consommateur s’annonce au final comme un enjeu majeur. Pour ce faire, la nature bidirectionnelle de l’Ethernet introduit un changement fondamental en permettant à l’utilisateur d’aller chercher des contenus spécifiques (pull au lieu de push).
Avec le passage à l’IP, « il s’agit, non plus d’envoyer des formats tout faits à des spectateurs muets, mais de prendre en compte les données de chacun pour connaître les audiences instantanées par contenu, les changements de canal ou de contenu et les consommations de contenus spécifiques (ralentis, statistiques…). Tous ces feed-backs pourront être utilisés pour préparer des versions personnalisées multiples et les envoyer à des cibles déterminées qui, en retour, renforceront cet effort de personnalisation en un cycle vertueux », développe Nicolas Déal.
Pour l’heure, cependant, une personnalisation fine semble hors d’atteinte et il est probable que, dans un premier temps du moins, celle-ci se résume à quelques profils types.
La « reco », une expérience à inventer
A l’instar de services SVOD comme Netflix et Hulu, ESPN +, lancé en avril 2018 par la filiale de Walt Disney, s’est enrichi dernièrement de nouvelles fonctionnalités permettant à ses abonnés de regarder des contenus personnalisés grâce à un moteur de recommandation.
Du côté de l’UER/Eurovision également, « nous travaillons avec quelques partenaires à la mise en œuvre de ce type de solution, mais il est encore trop tôt pour en parler. Si tout se passe selon nos plans, nous aurons des cas concrets cet hiver », annonce Franck Choquard.
En France comme ailleurs, cependant, le marché de la recommandation appliquée au sport tarde à s’ouvrir, en dépit du savoir-faire de sociétés comme Spideo et CogniK.
Forte d’une équipe de vingt-sept collaborateurs permanents, la première, qui a débuté son activité en 2011, fournit ainsi des solutions de recommandation à des groupes qui proposent du sport, tels que Canal +, Bouygues Telecom et Altice. En outre, selon nos informations, la société parisienne discuterait actuellement avec Sporttotal.tv, un pure player OTT spécialiste du football amateur, qui en France vient de signer un accord avec la Ligue du Grand-Est.
Spideo commercialise deux types de produits. Le premier, qui se définit comme un produit d’entreprise, permet à celle-ci d’opérer elle-même pour le compte d’un client de la dimension de RMC Sport, par exemple. Le second, baptisé Rumo, en voie de finalisation depuis avril, se présente comme une boîte à outils « self-service » destinée à de plus petits opérateurs, typiquement Sporttotal, où chacun viendra piocher pour créer ses propres fonctionnalités de recommandation. Ainsi, celle de tagging automatique, invisible pour le client, qui permettra de disséquer les contenus sportifs en analysant les enjeux tels que « but », « hors-jeu », « émotion », etc., ne sera rendue active que pour Rumo.
« Nous avons mis en place des partenariats avec des entreprises qui font de la reconnaissance vidéo afin d’atteindre un niveau de granularité supérieur sur les contenus sportifs en opérant ce qu’on appelle de la recommandation “scene-level” », développe Sarah Rashidian, responsable des relations internationales. « Celle-ci permettrait de recommander des passages d’un programme sportif avec d’autres, plutôt que le programme dans son ensemble. Ce module fera partie des modules optionnels disponibles dans notre boîte à outils. »
De son côté, CogniK, dont le siège est à Ecully (Rhône), compte pour le sport quatre clients en France et à l’international. Depuis 2015, la société a ainsi réalisé un module de recommandation pour le guide de programmes de l’un d’eux aux États-Unis et finalise pour le compte d’un groupe media un « proof of concept » pour des contenus sportifs courts.
Un genre à part
Pour autant, « je ne suis pas sûr que la recommandation soit nécessaire pour le sport dans la mesure où il y a une notion de rendez-vous : on veut regarder tel match parce qu’il est en direct », prévient Pierre Maillat, avant de préciser : « Le sport a un côté événementiel qui n’existe ni pour le cinéma ni pour le documentaire, qui sont des genres plus intemporels qu’on peut consommer quand on veut. »
Aujourd’hui, convient Thibault D’Orso, « la recommandation dans le domaine du sport est quasi inexistante. On est plutôt dans une logique d’accès à des favoris et de promotion d’événements. » Et le directeur des opérations et co-fondateur de Spideo d’ajouter : « Le sport suscite une interaction avec les contenus qui est assez analogue à celle des jeux vidéo. Les habitudes de consommation sont beaucoup plus actives et analytiques pour le sport que pour d’autres contenus. Par exemple, les utilisateurs aiment entrer dans le détail des statistiques. Les notions de clipping et de résumé sont ici très répandues. Cela signifie que contrairement à des films ou de la fiction, on peut consommer du sport dans des situations intersticielles ou sur des devices mobiles. »
D’emblée, le sport affiche donc sa spécificité. « Sa structure est particulière parce qu’il y a des notions de regroupement (équipe, coupe, tournoi…) que l’on ne retrouve pas pour les autres types de contenus », admet de son côté Stéphane Reynaud. « Ensuite, les différents sports, équipes, joueurs, tournois, etc. sont autant d’entités que l’on va retrouver le plus souvent dans des news, mais aussi des documentaires et, plus rarement, des films ou des séries. »
Pour autant, « le sport présente des points communs avec les news, qui, comme lui, reposent sur le live, et les films pour la partie “teaser” et contenus “périphériques” (interviews, extraits, etc.). » Ainsi, comme pour les news, la durée de vie d’un événement sportif est éphémère, rendant du même coup l’automatisation de la recommandation plus compliquée.
« Les spécificités sont surtout liées à une taxonomie unique (catégories et sous-catégories) des entités nommées relativement isolées du genre (équipes et marques en particulier) et à une géolocalisation, à la fois du contenu (équipe, sportif et/ou événement) et des utilisateurs, au moment où ils accèdent à celui-ci », prolonge le CEO de CogniK.
En l’occurrence, « la géolocalisation est intimement liée à la question du device », complète Thibault D’Orso. « En fait, ce qui est décisif dans un système de recommandation, c’est de savoir segmenter les usages en fonction des types de terminaux parce qu’on ne consomme pas les mêmes choses suivant qu’on utilise son téléphone ou qu’on est devant sa télé. »
Au final, « la spécificité du sport rend la collecte de préférences implicites plus importante, mais c’est la seule incidence majeure sur les différents moteurs de recommandation », conclut Stéphane Reynaud. Lesquels sont basés sur les profils individuels, les segments (groupes d’utilisateurs définis suivant des critères démographiques et/ou comportementaux), le contenu (seul ou avec intervention des profils), la recommandation sociale (via Facebook notamment) et, enfin, les préférences éditoriales.
En revanche, il n’y a pas de particularité liée au sport pour les temps d’implémentation. En fonction du volume et de la variété des contenus, la mise en œuvre d’un moteur de recommandation peut demander de trois semaines à six mois pour les projets les plus longs. Chez CogniK, par exemple, le délai moyen est de six à douze semaines.
Deux types de métadonnées
Le plus commun de ces moteurs, connu sous le nom de filtrage collaboratif, fait appel à des métadonnées de type statistique. Cette approche s’exerce en général dans des contextes où la métadonnée est très pauvre. Pour compenser, l’opérateur se concentre sur l’analyse des usages, et seulement des usages, en essayant de prédire le futur d’un utilisateur au regard du passé des utilisateurs qui lui ressemblent. Avec l’inconvénient, au final, de recommander des contenus déjà très populaires.
Quelle place reste-t-il alors pour la diversité et la sérendipité ? Afin que la recommandation ne puisse enfermer les utilisateurs dans des « chambres d’écho », « nous avons créé un module appelé “surprise” où il suffit d’appuyer sur un bouton et cela génère automatiquement des listes thématiques pour l’utilisateur », explique Sarah Rashidian. « Ce module peut être réglé pour être 100 % aléatoire ou bien, par exemple, 50 % aléatoire et 50 % en lien avec le profil de l’utilisateur. »
Au lieu de procéder à des déductions et de lui recommander ce que les autres ont déjà consommé, l’approche sémantique, elle, consiste à interroger les goûts et les préférences de l’utilisateur dans un dialogue personnel, mais aussi à caractériser et enrichir les contenus de façon très précise. La raison ? « Il y a une extrême méfiance quant à l’utilisation des données personnelles. Du coup, nous avons intérêt à beaucoup mieux connaître les contenus afin d’être ensuite très économes dans notre quête d’informations sur les usages des utilisateurs », éclaire Thibault D’Orso.
Les données collectées peuvent être de type comportemental ou déclaratif. Celles de session (lancement, connexion, déconnexion, time-out…) et de navigation (recherche, browsing par catégorie et mot-clé…), par exemple, qui sont collectées sur la plate-forme en temps réel, relèvent du premier type ; une action de notation ou une mise en favoris, du second. Mais il n’est pas rare que certains utilisateurs nourrissent des playlists avec des contenus qui ne correspondent pas à la réalité de leurs usages…
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, dans le cadre de notre dossier « Les nouvelles architectures des chaînes de télévision », p.62/67. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.