« Mais au fait, avez-vous déjà vu un steadicam en action ? ». Telle fut la première question posée par Garrett Brown à l’assistance. Surprises, un grand nombre des personnes présentes n’en avaient jamais vu. Un opérateur équipé de son steadicam évoluait sur la scène.
Garrett a décrit sa machine : « Un steadicam est composé de quatre éléments et son fonctionnement repose sur la répartition des masses autour du centre de gravité (le milieu de la caméra), voilà pour le principe. La caméra est fixée sur un axe (le post), les batteries sont fixées en bas du post et permettent un équilibre des masses. Le post est relié par une fourche (le gimble) au bras muni de ressorts et articulé. Ce bras articulé est fixé sur le harnais porté par l’opérateur. Le bras articulé permet de compenser le poids de la machine, il est similaire à un bras humain. L’ensemble est un système flottant qui permet de faire des mouvements de caméra stables comme en apesanteur. Les masses sont équilibrées et centrées de manière à ce que la caméra flotte et puisse être maniée dans tous les axes avec deux doigts. Un moniteur vidéo est fixé assez bas de manière à voir facilement le cadre. La caméra est, bien sûr, reliée à ce dernier par un câble. »
Le steadicam ne cesse d’être amélioré
L’invention préférée de Garrett Brown est le « Tango ». C’est une extension du steadicam qui permet à l’opérateur de faire danser sa caméra en s’approchant au plus près des acteurs. Elle permet de monter et descendre l’axe optique avec une grande amplitude. Selon lui, Eric Catlan est le meilleur pour le manier. Il aimerait voir cette invention revivre, mais elle n’est pas à vendre.
Le dernier perfectionnement à la machine apporté par Garrett Brown est le « Volt ». Il a été mis au point avec Steve Wagner, ingénieur électronicien de génie. Cet outil permet de gérer la bulle beaucoup plus facilement grâce aux petits moteurs dont il est muni. La plus grande difficulté dans le maniement du steadicam est de garder une parfaite horizontalité. Cela occupe une grande partie de l’attention de l’opérateur. Avec le Volt, il est libéré de cette préoccupation et peut concentrer son attention sur son cadre.
Pendant 44 ans, les steadicams étaient réglés de manière à ce qu’il y ait un peu plus de poids en bas pour garder plus facilement cette fameuse bulle. Le Volt permet un équilibrage neutre qui rend l’engin plus facile à manier. Cerise sur le gâteau, le passage du « high mode » au « low mode » se fait instantanément. C’était, avant le Volt, une opération un peu longue et laborieuse. Les opérateurs débutants deviennent rapidement bons, les bons opérateurs deviennent très bons et les très bons deviennent excellents.
Les conseils de Garrett Brown aux opérateurs steadicam
« Si vous êtes un opérateur de steadicam, essayez toujours de commencer et terminer votre plan dans une position confortable et ayez l’air smart. Si le metteur en scène ne veut pas couper, vous devez continuer et rester sans avoir l’air de souffrir, tout le monde vous regarde et le réalisateur n’aime pas que vous ayez l’air de souffrir. Vous devez donc être confortable et avoir l’air cool. »
« Il y a deux sortes de plans : ceux qui racontent une histoire, qui aident la narration, qui suivent l’acteur, s’arrêtent avec lui. Si l’acteur s’arrête, arrêtez-vous avec lui, sinon les spectateurs ne comprendraient pas. En revanche, vous pouvez vous approcher ou vous éloigner. Et puis, il y a les plans subjectifs ; dans ce cas là, il faut réfléchir à la hauteur du plan (par rapport au regard de l’acteur) et au but du plan. Le cerveau n’a pas conscience des mouvements induits par le regard, les mouvements de caméra doivent donc être très doux. On doit choisir ce que l’on veut montrer de l’action. » Voir sur ce point un plan de Terminator de James Cameron où le personnage principal entre dans un bar et scanne les personnes présentes.
Dans Orgueil et Préjugés de Joe Wright, un plan-séquence au steadicam suit Keira Knightley depuis le jardin jusqu’à l’intérieur de la maison où une chaise se trouve au premier plan en amorce très présente. Cette chaise a posé un vrai problème à Garrett. Elle est fixe et dit donc au spectateur qu’un homme est en train de filmer, ce qu’il n’aime pas du tout. Il aurait bien demandé à l’enlever. Quand on filme au steadicam, on n’aime pas avoir un point qui bouge dans un plan fixe. On préfère avoir un plan aussi propre qu’avec une Dolly.
Alors, il y a une ruse… Elle est liée au regard humain. Il suffit de remonter légèrement l’axe optique de la caméra ou d’arriver légèrement en biais de gauche à droite par exemple. Comme le mouvement n’emprunte qu’une seule direction, l’effet est le même que celui obtenu avec une Dolly. C’est le moyen d’effacer la sensation de flottement ressentie par le spectateur.
Encore un autre « truc » : terminer le mouvement au steadicam par un panoramique filé comme si vous bougiez rapidement votre tête de gauche à droite. Commencer le plan suivant de la même manière avant de le continuer normalement. Cela permet au montage de couper dans les filages et de raccorder les deux plans facilement. Le spectateur aura l’impression de regarder un seul et même plan-séquence.
Garrett Brown a beaucoup réfléchi à propos des mouvements de caméra. Il adore faire de la recherche pour reproduire la manière humaine de regarder dans les films. Il aime aussi beaucoup bouger avec la caméra, cela lui procure le sentiment d’être acteur du film, de lui donner un rythme et d’influencer le public.
Les mouvements de caméra permettent selon lui une vision de l’image en trois dimensions. Ils sont un élément narratif puissant et émotionnel. L’un de ses plans préférés figure dans Casino de Martin Scorsese. C’est un long plan-séquence qui suit un personnage qui entre dans le casino, puis dans la salle des coffres, croise d’autres personnages, remplit une mallette de billets, et ressort de l’établissement avant de s’engouffrer dans une voiture.
Garrett Brown n’aime pas les mouvements de caméra à l’épaule. Selon lui, le cerveau humain est un fantastique stabilisateur. Si nous hochons la tête de haut en bas ou de droite à gauche, notre regard ne bouge pas. Si nous penchons la tête, notre ligne d’horizon ne bouge pas. Dans un plan filmé à l’épaule, les acteurs se voient mieux l’un l’autre que le spectateur ne les voit. Notre vision naturelle est stabilisée, donc le steadicam correspond mieux à la vision de l’œil humain qu’une caméra à l’épaule qui bouge. Il prend pour exemple un célèbre plan tourné à l’épaule du film Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón. Pour lui, l’horizon penche de temps à autre dans ce plan. Le fait que ce plan remue beaucoup a du sens ; en revanche, perdre l’horizontalité fait, selon lui, perdre l’attention du spectateur. On a l’impression qu’il y a un cameraman.
Garrett Brown fait ensuite la comparaison suivante : « Quand vous vous faites molester, vous ne voyez pas des images qui bougent, mais une succession d’images fixes. » Selon lui, la bonne solution se trouve dans une séquence de Titanic de James Cameron. L’opérateur steadicam a choisi un engin très léger et une caméra 35 mm légère. Le steadicam est comme violenté de gauche à droite pour donner une impression de mouvement, tout en gardant l’horizontalité. Il s’agit d’un plan de poursuite dans le hall, les escaliers, qui se termine dans la piscine.
Et, dites, monsieur Garrett, que pensez-vous de l’avenir du steadicam avec l’avènement de nouveaux outils de stabilisation de l’image (Moovie, Ronin, etc.) ?
« Si le plan devient complètement stable, cela devient ridicule du point de vue de la vraie vie, le steadicam a un côté plus naturel. J’ai inventé non pas une machine, mais un instrument, comme un instrument de musique. Si le steadicam n’est pas manié par un opérateur de talent, ce n’est rien. Un bon instrument de musique joué par un mauvais interprète ne donnera jamais rien. J’ai donné un bras et des jambes à la caméra, un côté humain. Pour continuer sur la métaphore musicale : les synthétiseurs n’ont pas remplacé les violons, les gimbles et les gyros ne remplaceront pas le steadicam. Mais même sous la torture, je n’avouerai pas qu’il y a quelque chose de mieux que le steadicam. »
Et, dites, Monsieur Garrett, est-ce qu’il y a des plans tournés au steadicam qui vous ont impressionné et auxquels vous n’auriez pas pensé ?
« Oh bien sûr !! Des centaines. Tous les jours je vois des plans incroyables tournés au steadicam. J’ai arrêté de filmer en 2004. Je n’ai jamais tourné sur un fond vert, ni avec une caméra numérique. Je n’aime pas les plans trop techniques. J’aime les plans qui racontent une histoire. Pour être un bon opérateur de steadicam, il faut d’abord être un bon opérateur et ensuite savoir manier le steadicam. Les prouesses techniques ne sont rien si elles ne racontent pas l’histoire. La technique ne remplace pas l’artistique, elle est à son service.
Ce monde est en mouvement perpétuel, tout change, les évolutions technologiques créent des potentialités incroyables, comme dans notre vie de tous les jours où les nouveaux gadgets nous envahissent. J’ai vécu une expérience intéressante avec les studios Pixar : j’avais un tout petit steadicam (le Merlin), ma main et le steadicam étaient recouverts de points blancs (des capteurs de motion control). Le but était d’enregistrer les mouvements de ma main et du steadicam pour reproduire les mêmes mouvements de caméra dans un film d’animation. Cela m’a fasciné ! ».
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.14/15. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.