Territoires et Création : France 3 et les régions dans la décentralisation audiovisuelle

Le 7 février dernier, la Scam, en collaboration avec le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), organisait dans ses locaux les troisièmes rencontres « Territoires et création » sur le thème : La décentralisation audiovisuelle, une mission de service public ?  A cette occasion la mission de France 3 a été soigneusement examinée, les disparités des Contrats d'Objectifs et de Moyens régionaux (COM) ont été  été mis sur la sellette et l'on s'est aussi interrogé sur le renouvellement éditorial...
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Depuis la première rencontre Territoires et Création en juin 2015, le constat de la Scam est le même : 30 % des auteurs et 33 % des sociétés de production de documentaires sont établis en régions, mais leurs productions peinent à être exposées au niveau national et à être financées à même hauteur que celles de documentaires produits pour des antennes nationales depuis Paris. Moins de 15 % des documentaires diffusées sur les antennes nationales de France Télévisions ou d’Arte seraient issus de producteurs en régions.

 

Comment réduire les inégalités de soutien entre l‘Ile-de-France et la province et ainsi favoriser la prospérité de pôles de création en région ?

 La place de France Télévisions pour favoriser enfin un mouvement de décentralisation de la création et de la production vers les territoires représente un enjeu qui était au coeur du sujet de la première table ronde des rencontres. Celle-ci réunissait autour de Sonia Devillers, animatrice de l’émission L’Instant M  sur France Inter, Frédérique Dumas, députée En Marche (LREM), vice-présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions , Jean-Pierre Leleux, sénateur (LR), vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, Cyrille Perez, producteur (13 Productions), membre du comité directeur du SPI et le directeur général de la Scam Hervé Rony.

La question de la vocation de France 3 était au coeur des débats… Avec 240 documentaires régionaux produits par les 13 régions de France 3 chaque année et une enveloppe annuelle de 10 millions d’euros (en numéraire et industrie), cette chaîne publique est un acteur essentiel de la production en région. Si l’apport est resté presque stable, le redécoupage de la chaîne en 13 régions, calquées sur la réforme territoriale, effectif au 1er janvier 2017, et la réforme du Cosip documentaire ont conduit les régions de France 3 à produire moins, passant de quelque 300 films par an il y a quelques années à 240 aujourd’hui.

 

 

Une fracture régions/Paris

Si la chaîne représente toujours un acteur majeur de la production en régions, depuis des années, le groupe France Télévisions et surtout les pouvoirs publics hésitent sur son modèle: cette entité télévisuelle du service publique doit-elle incarner une chaîne nationale avec des « décrochages » locaux ou régionaux, comme c’est le cas aujourd’hui, ou devenir fédération de chaînes régionales, avec un tronc commun national ? …

“La volonté des auteurs et des producteurs, a rappelé Hervé Rony, est de créer “un tissu industriel audiovisuel en régions, pour que les régions comptent autant que Paris, et développent une offre audiovisuelle de poids”.  “Les producteurs installés en région ont cependant du mal à accéder aux cases nationales de France 3, face à des décideurs « au regard très parisien », a souligné pour sa part Cyrille Perez, producteur marseillais (13 Productions). 

Jean-François Le Corre, le producteur rennais de Vivement Lundi ! est intervenu dans la salle pour souligner que les documentaires produits en région sont, en outre, généralement sous-financés : “10 000 € en numéraire (pour un 52’) plus un apport en industrie, soit un apport de France 3 de l’ordre de 70 000 €, contre 120 000 € en numéraire pour un documentaire diffusé en national” , a-t-il déploré.

 

Les documentaires régionaux mal exposés, mal financés mais aussi mal promus 

Lorsque les programmes régionaux existent, ils peinent à avoir une bonne exposition nationale sur France 3, on peut citer l’exemple de feu la Case de l’oncle Doc déplacée du samedi après midi au lundi vers 23h45.

Les documentaires régionaux sont, en outre, rarement disponibles en rattrapage (replay), – un vrai sujet pour Delphine Ernotte Cunci – qui voit là un obstacle au rajeunissement de leur audience. Leur diffusion localisée représente aussi un obstacle à une diffusion plus large… “Du fait de leur diffusion localisée, ces programmes n’ont pas accès aux pages de magazines nationaux de programmes TV, a expliqué, depuis la salle.

Delphine Ernotte Cunci a reconnu que « les producteurs régionaux ont moins accès que les Parisiens aux conseillers de programmes pour les cases les mieux exposées ». Mais « on devrait être capables, en fonction de la nature du documentaire, d’avoir une diffusion nationale », a-t-elle ajouté.

 

Pour faciliter l’exposition de la production en région, France 3 a entrepris la création de collections, impliquant plusieurs territoires, Cette démarche facilite le marketing et la communication pour ces programmes à la fois sur l’antenne nationale, dans la presse TV et la presse régionale. Après Mon premier vote (13 x 26′), qui proposait treize regards sur la jeunesse de France en 2017, France 3 travaille ainsi aujourd’hui sur trois sujets : l’histoire de l’immigration en France, Mai 68 et les « nouvelles familles ».

 

 

Vers un modèle plus régional pour France 3 ?

Reste à s’entendre sur le positionnement de France 3. Définie dans son cahier des charges comme une « chaîne nationale à vocation régionale », « cela fait des années qu’on hésite sur son modèle », a reconnu Delphine Ernotte Cunci. La question de l’identité, de l’information sur ce qui se passe en région, de la représentativité à l’antenne est « assez centrale » pour France 3, a-t-elle admis.

Les rencontres organisées avec le public par France Télévisions fin 2017,  ont montré une attente de proximité « assez clairement exprimée par les téléspectateurs », France 3 pourrait donc aller vers « un modèle plus régional que national » et accueillir « plus de programmes régionaux aux heures de grande écoute » a-t-elle avancé. Mais certaines régions, comme la Bretagne, ont une identité très forte quand d’autres comme la Nouvelle Aquitaine qui va « du Pays basque à Poitiers » sont en construction. Elle défend donc une souplesse et une approche adaptée « en fonction des territoires »…

 

Pour le sénateur Jean-Pierre Leleux, « il y a une concurrence évidente entre France 3 national et régional ». Et, France 3 doit, selon lui, « s’affirmer comme une chaîne des territoires ». Alors qu’« aujourd’hui c’est le national qui décroche ». Il propose « d’inverser et de donner l’initiative aux équipes régionales ».

 « Nous sommes tous d’accord sur le fait de renforcer l’identité régionale et sur le fait que les responsabilités soient plus prises en région » a assuré la députée Frédérique Dumas (LREM). Mais, selon la coordinatrice du groupe En Marche à l’Assemblée sur la réforme de l’Audiovisuel public, « on est en train de travailler, de réfléchir. Rien n’est arrêté sur un bout de table. On n’a pas d’idées préconçues ».

 

Aux politiques de trancher sur le positionnement de France 3 

Pour Delphine Ernotte Cunci il incombe au législateur de trancher sur le positionnement de France 3 et de modifier, le cas échéant, son cahier des charges… « D’ici deux mois, on fera état de réflexions et de choix », notamment sur l’inversion ou pas de la logique nationale/régionale de l’antenne de France 3, a promis Frédérique Dumas.

Le SPI milite lui pour des chaînes régionales de plein exercice comme l’a rappelé Cyrille Perez. Il en existe déjà une : la chaîne corse Via Stella et une autre en genèse en Nouvelle Aquitaine :  le conseil régional a effectivement confié à France 3 Nouvelle Aquitaine le pilotage d’une nouvelle chaîne de plein exercice appelée provisoirement NAQTV.

Cette création ajoutera 8 documentaires à la vingtaine que finance annuellement France 3 Nouvelle-Aquitaine, qui en détiendra la première fenêtre, NAQTV assurant une exposition en 2e fenêtre. Mais avertit Delphine Ernotte Cunci, ce projet, pertinent pour cette région, n’a pas vocation à être le modèle unique. Autant « transformer radicalement le modèle de France 3 » a t-elle spécifié, plutôt que doubler l’offre en régions.

 

Pour répondre à la question De quels moyens d’action disposent les régions dans l’audiovisuel ?, la seconde table ronde réunissait autour de Julie Gacon (journaliste à France Culture) : Marie Dumoulin, productrice (Docs du Nord), Pascal Mangin, président de la commission culture de la région Grand Est, Patrice Schumacher, directeur des antennes et programmes régionaux de France 3, Jean-Christophe Victor, auteur-réalisateur, président de l’AARSE (association des auteurs, réalisateurs du sud-est).

 

 

Comment proposer des projets ambitieux sans être obligé de passer par Paris ?

Jean-Christophe Victor, qui vit en Provence-Alpes-Côte d’Azur, s’est fait l’écho de la préoccupation des auteurs établis en régions : pourquoi la création documentaire ne pourrait elle être initiée depuis les régions ? Comment proposer des projets ambitieux sans être obligé de passer par Paris ?

 

L’un des outils à la disposition des régions est la signature de Contrat d’Objectifs et de Moyens (COM) avec des chaînes locales ou une antenne régionale de France 3, en échange de subventions. Certains de ces COM (mais pas tous) prévoient la coproduction d’œuvres de création documentaires, magazines culturels, fictions même et ils peuvent être abondés par le CNC dans le cadre des conventions Etat – collectivités pour le cinéma/audiovisuel. Ce type de COM existe par exemple en Bretagne, Nouvelle Aquitaine, Grand Est, Centre-Val de Loire.

 

En PACA, « la diffusion [de nos films], c’est clair, c’est France 3 » a lancé Jean-Christophe Victor. Mais l’antenne régionale n’a pas signé de COM avec la Région pour s’engager à investir dans la création locale. Seule la chaîne Azur TV a un COM qui finance son budget à hauteur de 1,25 million d’euros, mais elle ne produit pas d’œuvres de création.

 

« Les auteurs et réalisateurs sont demandeurs d’un COM » assure Jean-Christophe Victor, tout en soulignant la grande disparité entre les COM des différentes régions.

 

Ainsi dans les Hauts-de-France, Marie Dumoulin, productrice, se félicite du soutien régional, via l’engagement pour le documentaire à hauteur de 700.000 euros de l’agence de la Région, Pictanovo, ainsi que de l’apport essentiel des quatre chaînes locales, Weo Nord-Pas-de-Calais, Weo Picardie, Grand Lille TV et Grand Littoral. Chacune a conclu un COM avec la Région, ce qui injecte quelque 500.000 euros par an dans des coproductions documentaire.

 

« Avec Wéo, on obtient 20 à 25.000 € en numéraire sur un documentaire, cela permet de coproduire, de générer du soutien automatique au CNC » témoigne la productrice, qui produit aussi pour france ô et le réseau des chaînes 1ere en outremer notamment. Mais « un film local ou régional,  reste un petit budget. On travaille autant que pour un film pour Arte ou France 5 mais on n’est payé deux fois moins… C’est un système de survie plutôt que du développement » ajoute-t-elle.

 

Les régions concluent des COM pour structurer l’écosystème de la production sur leur territoire, mais «  on n’y est pas encore » poursuit-elle. « Certes des auteurs et des producteurs parviennent à vivre. Mais on reste dans de trop petites économies. Et on ne parvient pas à dépasser un plafond de verre. Les chaînes nationales, Arte, France Télévisions, ne nous répondent pas. On court après les chargés de programmes au Sunny Side, qui nous renvoient vers l’antenne régionale de France 3 » raconte Marie Dumoulin.

 

Pascal Mangin pour la région Grand Est, signataire d’un COM pour 2017-2019 avec les chaînes Vosges TV, Alsace 20, Canal 32 et Mirabelle en juillet 2017, interroge le concept de décentralisation, qui suppose que c’est le centre qui concède du pouvoir aux périphéries. Il préfèrerait parler de multipolarités des centres de décision.

Il relativise le pouvoir des régions qui « essaient de prendre la place et le pouvoir qui leur sont laissé », même s’il veut croire « qu’une filière peut se développer en régions ». « Nous avons voulu établir des rapport de confiance entre diffuseurs, élus et créateurs » témoigne-t-il, et « la signature du COM a permis de mettre tout le monde autour de la table et de définir des objectifs communs ».

 

France 3 et les régions ne sont pas les seules concernées

Pourtant, tempère l’élu régional, « une région comme Grand Est reste un nain à côté d’un petit Länd allemand » qui a une capacité de décision plus large, remarque-t-il. Les régions françaises, a t-il rappelé, reçoivent 90 % de leurs ressources de transferts de l’Etat, pour faire face aux compétences obligatoires qui leur sont attribuées (gestion des lycées, …). Aussi, si la situation des auteurs et de l’audiovisuel en régions est fragile, « il ne faut pas mettre toute la misère du monde sur les régions. Ni sur France 3 » a demandé Pascal Mangin.

 

Pour Patrice Schumacher, directeur des antennes et programmes régionaux de France 3, la chaîne a connu en septembre 2017, une « rentrée historique », avec de nouvelles émissions, de nouveaux visages en régions. Elle a renforcé ses programmes régionaux avec des matinées 100 % régionales, avec l’émission On a la solution, présenté par Louise Ekland (en quotidien en 7′ et le samedi en 26′), tour de France des bons plans, idées et talents. Et aussi le magazine économique InSitu, présenté par Marie-Sophie Lacarrau, et le nouveau magazine mensuel d’investigation, Réseau d’enquête, lancé fin janvier, tous les deux avec des sujets produits par les rédactions locales.

Si France 3 n’a pas conclu de COM dans toutes les régions, c’est qu’il faut « une rencontre avec le projet régional », ce qui s’est produit en Nouvelle Aquitaine, a justifié Patrice Schumacher. France 3 s’est engagé sur trois ans, à investir en Nouvelle Aquitaine 1 million d’euros par an pour des contenus « supplémentaires » a-t-il indiqué.

 

Sauf, a fait remarquer depuis la salle Anna Feillou, coprésidente de l’Association des auteurs-réalisateurs en Nouvelle Aquitaine, que les 8 documentaires supplémentaires qui seront coproduits par France 3 (et pour NAQTV) dans le cadre du COM n’assurent qu’un rééquilibrage. « En 2016, dans les trois régions Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin, 30 documentaires étaient produits avec France 3. On est tombé à 20-22 en 2017. On va revenir à 30 » a t-elle expliqué.

 

Le renouvellement éditorial également à prendre en compte…

Et quid de la nouvelle génération de créateurs ? « Les jeunes ne regardent plus la télévision. Comment peut-on accompagner les jeunes auteurs qui vont sur Youtube ? » a interrogé Pascal Mangin, l’élu de Grand Est.

Un propos sur lequel a rebondi Hervé Rony. Pour lui, le secteur audiovisuel ne soutient pas suffisamment les jeunes auteurs, y compris des Youtubeurs qui voudraient faire des films. La question rejoint la problématique régionale : « produire un jeune auteur avec une chaîne locale, oui, mais après ? »…


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