Un tournage multicaméras et multiculturel

Il est des destinations qui font rêver. Celles qui évoquent l’aventure, la découverte, l’exotisme. Dans mon esprit, le Pakistan faisait partie de cette catégorie
Belle collaboration entre Occidentaux et Pakistanais pour ramener des images communes, ici avec Zulqarnain. © Philippe Rebreyend

 

Ce pays m’attirait particulièrement pour sa dimension, avec ses montagnes parmi les plus hautes de la planète, mais aussi pour sa culture et la garantie d’une expérience vraie, loin des flux touristiques.

Aussi quand Brice Lequertier, d’Elite Ski Travel, m’a proposé de l’accompagner au Pakistan pour filmer une grosse opération d’héliski je n’ai pas hésité une seconde à me lancer dans cet excitant projet. L’initiative venait de la société Afiniti, dont le fondateur, originaire de ce pays, souhaitait inviter ses collaborateurs du monde entier avec l’idée que l’on gagne tous à mieux se connaître, d’autant plus quand la rencontre se fait dans un cadre aussi puissant que celui de ces massifs.

Une aventure est certes plus riche si elle se partage. Nous étions là une belle équipe autour de la soixantaine de convives : une quinzaine de guides venus du Canada, États-Unis, France, Chili, Italie et Canaries, secondés par autant de shimshalis, ces formidables montagnards qui accompagnent les expéditions sur les plus hauts sommets, tels les sherpas au Népal.

Pas mal de monde aussi pour toute la logistique, ainsi que pour les images. Nous étions trois cadreurs et un photographe, spécialisés dans les tournages en montagne : Grego Campi, argentin, Jonathan Viey, franco-suisse, Philippe Rebreyend, photographe français, et moi-même. Nisar Malik, dont vous avez sans doute admiré le travail dans Planet Earth de la BBC, était là aussi avec cinq cadreurs pakistanais avec qui nous avons étroitement collaboré. Certains jours un des hélicoptères était réquisitionné pour les prises de vue en Cineflex, opérée par des British. Une équipe internationale réunie autour de la même passion !

Pour un tournage de ce type, l’efficacité et la mobilité priment. Les hélicoptères ne peuvent pas attendre qu’un cadreur se mette en place et les skieurs aussi veulent que ça avance, notamment pour des raisons de sécurité. Pour les séquences de vie dans les villages, on a envie de capter des instants uniques, qui ne se reproduiront pas. Les caméras doivent pour cela être réactives, rapides à mettre en place en nécessiter peu d’accessoirisation.

L’idéal est d’en avoir une constamment sur soi, prête à tourner. Elle peut être autour du cou, sur le ventre, dans une sacoche ou fixée sur une plaque sur la bretelle du sac à dos avec l’accessoire Peak Design. On garde ainsi les mains libres tout en pouvant accéder à l’appareil instantanément. Cela permet, en montagne, d’être à l’aise pour se déplacer puisqu’on a les deux mains disponibles pour s’assurer, pousser sur des bâtons et bénéficier d’un meilleur équilibre en descente.

Pour pouvoir conserver sa caméra sur soi toute la journée en évoluant en montagne, c’est-à-dire pour sauter d’un hélicoptère dans la neige profonde, monter en ski de randonnée et descendre à ski ou snowboard dans toutes les neiges et tous les terrains, il faut bien entendu qu’elle soit aussi compacte et légère que possible.

Pour se prémunir autant que possible d’un accident dans une avalanche, il est recommandé de s’équiper, en plus de l’indispensable triptyque détecteur de victime d’avalanche (DVA) + pelle + sonde, d’un sac airbag pouvant se gonfler dans la coulée pour maintenir son porteur en surface. Ces sacs ayant l’inconvénient d’être lourds et généralement peu spacieux, les cadreurs sont souvent contraints de s’en passer pour pouvoir transporter tout leur équipement, au détriment de leur propre sécurité. Dans ces montagnes himalayennes où il neige abondamment et où l’on skie loin de tout, j’étais rassurée de pouvoir transporter mes affaires dans un sac de ce type.

Du fait de l’isolement, il faut pouvoir compter sur son matériel. Il n’est pas envisageable de le réparer ni d’en trouver de remplacement. Il est pourtant fortement sollicité. Quand un gros hélicoptère de transport de troupe se pose devant nous, le souffle projette la neige avec force, donc il vaut mieux que son boîtier soit robuste et bien tropicalisé pour éviter que de l’eau puisse pénétrer dans les joints.

Le Pakistan compte cinq sommets de plus de huit mille mètres, dont le fameux Nanga Parbat, surnommé la montagne tueuse pour des raisons faciles à comprendre, qui se trouve dans le massif dans lequel on évoluait, à savoir les Himalayas. Autour de ces pics majestueux se dresse une quantité de sommets de très haute altitude, à tel point que les locaux nomment montagne ceux qui dépassent six mille mètres et collines ceux plus bas. À leurs yeux, il n’y a donc pas une montagne en Europe !

Les hélicoptères peinant à voler très haut et les organismes souffrant trop, nous sommes restés à des altitudes plus modestes, avoisinant les quatre mille mètres. Pour autant, les températures en février dans ces zones sont négatives, et par conséquent inférieures à celles de fonctionnement indiquées par les fabricants de caméras. Avec l’expérience de ce type de tournage, on apprend à identifier celles qui résistent mieux que les autres dans un tel environnement. Il en va de même pour les batteries, dont la fiabilité est primordiale sur ce type de tournage.

 

Le choix des caméras

Avec la multiplication des opérateurs vient aussi forcément celle des caméras. Nous avons donc pu tester tout un éventail de modèles dans ce contexte particulier. Grego a fait le choix du Sony Alpha7R, nos amis pakistanais de plusieurs Alpha7 II et d’une Blackmagic Ursa, Jonathan du Panasonic S1R. Pour ma part j’ai embarqué deux boîtiers de la série Z prêtés par Nikon France : le Z7 et le Z50, avec une vaste gamme d’optiques allant du grand-angle, bien utile dans les hélicoptères, au téléobjectif permettant de filmer des skieurs depuis le versant d’en face, en passant par les ultra-pratiques zooms 24-70 mm. Le photographe travaillant au Nikon D810, nous aurions pu échanger des optiques de série F si j’avais pris la bague adaptatrice, mais j’ai été pleinement satisfaite par celles conçues et optimisées pour les montures de la série Z.

En plus de ces caméras principales, nous avons multiplié les actioncams GoPro Hero 7 et 8, Osmo et drones DJI Mavic Pro ou Phantom. La caméra montée dans la Cineflex était une Red Epic Dragon. Nous avons limité les accessoires au maximum, avec seulement deux trépieds, des stabilisateurs Ronin S et SC et des micros canon pour les capsules sonores et cravate HF pour les interviews posées.

L’ensemble de ces caméras a été réglé pour tourner en UHD, et 6K pour la Red, sur une base temporelle de vingt-cinq images par seconde, pouvant être multipliée selon les modèles pour ensuite ralentir certaines scènes en postproduction. J’ai regretté que les Nikon et Sony ne puissent pas tourner à haute cadence en UHD, puisque pour monter en vitesse, il faut basculer en HD. Afin de simplifier l’étalonnage, nous avons choisi le picture profile le plus proche entre tous ces modèles de marques différentes.

Pour les scènes de nuit au camp, les boîtiers et les drones ont créé des images d’un rendu exceptionnel. On voit que les capteurs évoluent très positivement en sensibilité pour permettre de filmer dans des conditions de faible luminosité sans générer de bruit désagréable. Une autre évolution majeure est celle des stabilisations, notamment pour la GoPro Hero 8. Placée sur un patin d’hélicoptère on obtient des plans d’une fluidité incroyable, qui pourraient presque se faire passer pour des images issues d’une Cineflex.

Ce qui m’a impressionnée aussi sur les appareils de la série Z, ce sont leurs automatismes qui fonctionnent étonnamment bien en vidéo, qu’il s’agisse des réglages de l’exposition et même de l’autofocus qui suit le sujet sans pomper et qu’on peut adapter en appuyant sur l’écran pour indiquer la zone de netteté. Alors que je ne tourne jamais en mode auto d’habitude j’y ai pris goût sur ce tournage.

Malgré leur grande taille, les fichiers de la Red sont assez facilement traités par les ordinateurs grâce au codec R3D, alors que ceux du S1R sont plus durs à lire dans Premiere Pro, sans doute jusqu’à ce qu’une mise à jour fluidifie cela. Toutefois, la qualité visuelle du Panasonic, avec un piqué et un rendu des couleurs incroyables, compense largement ces désagréments. Le large éventail de combinaisons de tailles de vidéos, cadences et débits permet si besoin d’optimiser son workflow.

La Blackmagic a servi essentiellement dans les alentours de l’hôtel, sur pied, par exemple pour filmer à la longue focale les singes qui venaient de servir dans les déchets jetés derrière les cuisines. Pour toutes les excursions en montagne, les boîtiers plus légers et compacts ont été privilégiés, accompagnés de quelques optiques et d’un micro canon à utiliser en dehors du ski seulement. Je profitais des deux boîtiers Nikon pour avoir une optique standard sur l’un et un grand-angle ou un téléobjectif sur l’autre, afin de pouvoir passer de l’un à l’autre rapidement.

Les objectifs conçus pour le Z50 sont très légers et se rétractent pour devenir extrêmement courts, ce qui fait un ensemble ultra discret. Les Pakistanais sont parmi les peuples les plus chaleureux et accueillants que j’ai rencontrés et ils adorent se prendre en photo. Il n’est donc pas gênant de se déplacer dans les villages avec une caméra, mais la petite taille de celle-ci rend la relation encore plus facile qu’elle ne le serait avec un plus gros modèle, tout en prouvant par la qualité des images qu’elle n’est pas un jouet.

 

Une belle aventure humaine

Voilà pour ce qui est des aspects techniques de ce tournage, mais c’est humainement que cette expérience a été la plus enrichissante. Au sein de notre groupe déjà, qui réunissait des personnes venues de toute la planète. On a beau être issus de cultures différentes, on se rend vite compte que nos modes de pensée sont proches. J’aime le travail en équipe, qui crée une émulation et une véritable énergie, et j’ai eu beaucoup de plaisir à collaborer étroitement avec Grego, Jon et Philippe, mais aussi avec l’équipe de Nisar.

Alors qu’on fait le même métier c’était intéressant de voir les différences dans le travail : nous, Occidentaux, tournons à l’économie quand les Pakistanais filment en continu toute la journée, en emmagasinant des heures de rushes, jusqu’à faire des timelapses dans la forêt sous la pluie. Mais cela m’a sauvée plus d’une fois car j’aurais pu rater des séquences si eux n’avaient pas été présents, caméra en action. À l’inverse ils ne pouvaient pas aller tourner en montagne, ni se déplacer à ski, donc nos images étaient indispensables pour leur projet de film, qui traite du développement de cette activité au Pakistan. Au camp de base, on s’associait pour filmer des interviews à plusieurs caméras puis les traduire de l’urdu ou du français vers l’anglais. Une vraie bonne collaboration, que je pense (et j’espère) être la première d’une longue série.

Alors que des personnes qui ne connaissent ce pays qu’à travers ce qu’en montrent les médias occidentaux me mettaient en garde avant ce voyage, l’impression sur place a été ultra-positive. Le Pakistan a une tradition d’accueil qui est encore très présente aujourd’hui. Partout où l’on va, des hommes principalement, mais aussi parfois des femmes, viennent à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue, nous serrer la main, proposer du thé au lait, faire des selfies ensemble et échanger quelques mots en anglais. Un exemple : la zone où l’on skiait était très isolée, à une demi-heure d’hélico du village de Shogran. Intrigués par le ballet de nos engins un groupe d’hommes a marché dans la neige jusqu’à la taille depuis leur hameau reculé pour venir nous saluer et nous dire « Welcome to Pakistan ». Je doute que l’accueil soit semblable si un groupe de Pakistanais venait skier dans une vallée perdue des Alpes…

J’étais bien souvent la seule femme d’un grand groupe d’hommes, ce dont j’ai l’habitude, vu mon métier. L’Islam est bien présent dans cette région, mais sans être rigoriste comme au Moyen-Orient. Je ne veux pas faire d’angélisme ni nier les soucis politiques qui peuvent exister dans ce pays, mais dans la vie quotidienne on se sent loin de l’image qu’on peut avoir de cette zone. J’ai toujours senti beaucoup de respect de la part des hommes, qui étaient très protecteurs avec moi. Un exemple encore : je suis un des personnages centraux du film qui va être fait par l’équipe pakistanaise. Je trouve que montrer une femme qui travaille, d’autant plus en faisant un métier généralement masculin, témoigne d’une ouverture d’esprit plus grande que celle qu’on aime prêter à ces populations. Je pourrais multiplier les anecdotes pour signifier que ce pays souffre d’une image bien plus négative que ne l’est sa réalité, mais je ne suis pas sûre que ce soit là le sujet.

Pour conclure je pourrais simplement dire que je trouve toujours extrêmement enrichissant d’élargir ses horizons, d’aller à la rencontre d’autres cultures et d’échanger avec eux pour essayer de comprendre quels sont leurs modes de vie et de pensée. Cela nous donne un autre regard sur notre propre fonctionnement et on sort tous gagnants de ces confrontations. Il n’est même pas nécessaire d’aller bien loin pour cela, le dépaysement et l’aventure sont à nos portes, pour peu qu’on choisisse de les pousser.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 10-13. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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