Dossier sur l’IMF, Norme internationale pour les masters audiovisuels

Interoperable Master Format : on en parle de plus en plus, le noyau de la norme a été officiellement publié et les industriels l’intègrent à leurs produits. L’IMF est sorti de la phase de conception pour faire désormais partie du paysage audiovisuel.
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Nous avons rencontré Pierre-Anthony Lemieux (Sandflow, pal@sandflow.com), l’un des principaux rédacteurs de la norme, lors de son intervention à la formation IMF de Mesclado.

 

Mesclado : Pierre-Anthony Lemieux, vous qui étiez de l’aventure dès le départ, comment est né IMF ?

Pierre-Anthony Lemieux : L’IMF est né du succès de la norme D-Cinema Package (DCP). Cette dernière rend possible la distribution d’un film à travers le monde en utilisant un seul format de fichier, chaque région recevant une ou plusieurs versions du film (les « Compositions »). Plusieurs Compositions peuvent se partager les trames audiovisuelles qu’elles ont en commun, réduisant ainsi la complexité de distribution.

Dès 2006, les studios hollywoodiens commencèrent à envisager un format comparable pour leurs masters. L’idée se concrétisa en 2007 par la création d’un cahier des charges sous l’égide de l’Entertainment Technology Center (ETC), un think tank basé à l’Université de Californie du Sud (Los Angeles).

 

M : On dit qu’IMF est l’héritier du DCP, or ce n’est pas le cas, que répondez-vous à cela ?

P-A. L. : L’IMF est l’héritier des leçons acquises durant le développement et la commercialisation de la norme DCP. IMF réutilise notamment autant que possible des technologies existantes, tel que MXF, XML et DCP, tout en imposant des contraintes propres à l’IMF. Par exemple, chaque contenu (son, image, sous-titre…) est stocké dans un fichier MXF compatible avec le format AS-02 de l’AMWA. L’imposition de contraintes et la réutilisation de technologies éprouvées facilitent l’interopérabilité entre produits et réduisent les risques et les coûts de développement de ces derniers.

 

M : Comment s’est effectué son développement ? Quelles ont été les difficultés technologiques à surmonter ?

P-A. L. : Une fois rédigé, le cahier des charges fut déposé en 2011 auprès de la Society of Motion Picture and Television Engineers (SMPTE), un organisme de normalisation international, qui se chargea alors de la création des normes IMF au sein du groupe de travail 35PM50. Les 197 membres de ce groupe de travail incluent fournisseurs de contenu, industriels, prestataires de services audiovisuels et opérateurs de sites web, avec une forte représentation de l’Europe, du sud-est asiatique et de l’Amérique du Nord.

Le projet de normalisation a atteint un jalon important en 2013 avec la publication des normes noyaux de l’IMF.

L’utilisation de technologies éprouvées, comme les Broadcast Profiles de la norme JPEG 2000 pour la compression d’image, a réduit de beaucoup les difficultés technologiques durant le développement. Je dirais que le principal enjeu fut de combiner ces nombreuses technologies, couvrant son, image, sous-titres, métadonnées, etc., dans un tout cohérent.

 

M : Où en est IMF aujourd’hui, presque 6 ans après la naissance de l’idée ?

P-A. L. : Avec la publication de ces normes noyaux, l’IMF est officiellement disponible. De nombreux produits commerciaux compatibles avec l’IMF sont commercialisés, ou en cours de développement, et l’IMF peut être à présent exploité. Les solutions proposées par 15 fournisseurs ont d’ailleurs été testées lors du 1er plugfest à Hollywood en mai dernier.

 

M : Que répondez-vous à ceux qui n’y croient pas (« on en parle beaucoup mais rien ne se passe ») ?

P-A. L. : La convergence du monde de l’audiovisuel et de l’IT est inéluctable, à cause de la prolifération de workflows basés exclusivement sur des fichiers électroniques et l’accroissement du nombre de versions de chaque contenu audiovisuel. Cet accroissement est dû à la fois à la prolifération de formats d’image, son, fichier, etc. demandé par chaque destinataire, et à la globalisation qui entraîne la distribution de contenu créé sur-mesure pour chaque territoire.

Tous les maillons de la chaîne audiovisuelle seront inévitablement confrontés à cette convergence. L’IMF, en proposant un format de fichier optimisé pour la gestion, création et distribution de multiples versions de programmes de stock, est une solution actuelle et réelle à cette convergence.

Les exploitants doivent s’assurer que leurs fournisseurs d’équipement et de logiciel intègrent ces nouvelles normes et nouveaux workflows. Au-delà de conférences telles qu’IBC, NAB, SMPTE et HPA, ces utilisateurs peuvent aussi rechercher des formations sur-mesure et participer à des groupes de travail. Certains de ces groupes de travail sont internationaux, tel que le SMPTE 35PM50, d’autres nationaux, tel que le RT021 de la CST.

 

M : IMF implique la dématérialisation des supports : que pensez-vous des levées de bouclier de certains grands réalisateurs pour « sauver » la cassette ou la pellicule ?

P-A. L. : La pellicule reste un medium unique pour la capture d’image. Comparées à l’échange électronique de fichiers, ni la cassette ni la pellicule n’offrent cependant d’avantages financiers ou techniques pour la distribution de contenu.

 

M : On remarque que les US prennent le leadership sur l’intégration d’IMF. Pourquoi ce retard en Europe, selon vous ?

P-A. L. : Je ne parlerais pas de retard européen en général car de nombreux leaders dans le développement de normes et produits IMF sont Européens. En réalité, il existe une opportunité pour l’Europe de prendre le leadership dans l’intégration de l’IMF, et de réduire les coûts de création, gestion et distribution de contenu audiovisuel à travers l’Europe, quels que soient la source et le destinataire de ce contenu.

 

M : La France participe au standard IMF via l’application Mezzanine Film Format poussée par la CST. Comment percevez-vous cette participation ?

P-A. L. : Cette participation est une preuve de la vitalité d’IMF.

Du côté technique, la norme IMF a été structurée afin de rendre possible la création de normes dérivées (les « Applications » comme l’application Mezzanine Film Format poussée par CST), qui répondent à des besoins de marché précis, tout en réutilisant le tronc commun de l’IMF (« Core Constraints »). Ce dernier constituant près de 95 % de la complexité de l’IMF, l’IMF peut s’adapter rapidement aux demandes du marché tout en minimisant les coûts de développement et d’adoption.

Un autre exemple d’Application est l’Application 2 Extended (SMPTE ST 2067-21) qui couvre les formats d’image Quad HD (QHD), de la famille des formats 4K/UHD, et qui devrait être publiée dans les mois qui viennent.

 

M : Quelle est la suite une fois que le standard est publié ? Y a-t-il des étapes supplémentaires à franchir ?

P-A. L. : La publication des normes noyaux de l’IMF n’est en effet qu’une première étape. Les prochaines étapes, dont certaines sont déjà en cours, incluent :

– l’interopérabilité autour du SMI (« Sample Material Interchange ») facilitant la création et l’échange de contenu test entre utilisateurs et fournisseurs afin d’identifier erreurs, lacunes et ambiguïté dans les normes ;

– la création d’Applications supplémentaires afin de répondre aux demandes du marché, comme par exemple l’émergence de contenu High Dynamic Range (« HDR ») (plage de couleurs et de luminance accrue) ;

– l’achèvement des normes Output Profile List (« OPL ») qui permettent d’automatiser la conversion de contenu IMF vers des formats de distribution comme MPEG-2, H.264, etc.

 

M : Un premier plugfest a été organisé en mai dernier. Était-ce un succès ? Quels ont été ses résultats et y en aura-t-il un deuxième ?

P-A. L. : Ce premier plugfest, organisé à Burbank (US), fut un succès sur deux axes :

– il a permis à près de soixante intervenants de se rencontrer, issus des studios hollywoodiens, des fabricants de produits IMF, des labos de postproduction et des destinataires potentiels de packages IMF, tels que Netflix ;

– il a également permis aux fournisseurs de produits IMF d’échanger des fichiers IMF créés à partir de masters fournis par les studios hollywoodiens et la société Mikros Image.

Un second plugfest est en cours d’ébauche.

 

Conclusion

Futur succès commercial ou spéculation ?

À ce jour, la majorité des utilisateurs du format sont des majors hollywoodiennes et une quinzaine d’industriels ont démontré des solutions compatibles. Le principal enjeu pour l’adoption d’IMF à l’échelle mondiale n’est pas technique mais réside dans la capacité de toute notre industrie à évoluer. 

 


Formations IMF

Dans le cadre de son programme Media Engineering Intelligence (MEI), Mesclado dispense des formations courtes sur IMF, adaptées à tout public, technique ou non (dates sur www.mesclado.com). Ces journées sont également proposées dans plusieurs pays en allemand, anglais, arabe, espagnol et italien.

Mesclado participe activement à la normalisation IMF, via son implication au sein du groupe de travail SMPTE 35PM50.


Liens utiles

• Society of Motion Picture and Television Engineers (SMPTE) [www.smpte.org]

• Groupe de travail CST RT021 [www.rt21.cst.fr/fr/]

• IMF Forum [imfforum.com/IMF_Forum/Home.html]

• Tout savoir sur IMF : mesclado.com/IMF