La pépite de l’actuelle gamme de caméras de Blackmagic a subi une cure de jouvence, un an et demi après sa mise sur le marché. Nous avons profité de cette occasion pour étudier l’esprit de cette caméra, dont les choix techniques sont ambitieux. Quels sont ses terrains de jeux favoris ? Peut-elle s’adapter à tous les besoins ?
Commercialisée au tarif approximatif de 5 500 euros et associée au récent format Blackmagic Raw, l’Ursa Mini Pro G2 est inclassable. Elle concurrence des modèles destinés à la vidéo d’entreprise, à la fiction petits et moyens budgets et aux clips ; mais elle peut également intéresser les producteurs et réalisateurs de magazines. Possède-t-elle des atouts suffisants pour le marché de la fiction plus haut de gamme ? Sa souplesse d’utilisation autorise-t-elle son usage pour des projets documentaires ? Autant de questions que nous avons souhaité explorer en étudiant son fonctionnement et ses possibilités.
La fratrie
La gamme du constructeur est aujourd’hui riche de modèles à la destination bien affirmée. Pour la production en direct, trois modèles de caméras et des accessoires incluant des convertisseurs fibres sont disponibles. Les vidéastes et les amateurs éclairés aux budgets moins « professionnels » peuvent choisir entre deux modèles Blackmagic Pocket Cinema Caméra, aux caractéristiques impressionnantes. Nous reviendrons très prochainement sur la nouvelle BMPCC 6K fraîchement débarquée. La Micro Cinema Camera est destinée aux lieux exigus et aux dispositifs embarqués. La famille resserrée Ursa compte trois sœurs qui partagent une même forme : les Ursa Mini 4K et 4,6K et L’Ursa Mini Pro 4,6K G2. Avec sa monture B4 native, le modèle Ursa Broadcast est classé dans la catégorie des caméras de production en direct.
L’enveloppe et les accessoires
Avec un corps entièrement en métal, l’Ursa Mini Pro G2 inspire confiance. Pour en profiter pleinement, un minimum d’accessoirisation sera nécessaire. On regrette que la poignée latérale qui était livrée avec la version G1 ait disparu du carton ; cela représente un surcoût de 185 euros. L’écran de contrôle tactile intégré de 4 pouces peut être complété par un viseur Oled Full HD (1 500 €) ; et pour le support et le maniement, un kit épaulière et poignée (385 €), une poignée latérale (185 €) et si besoin un support micro (129 €) sont disponibles.
Des montures d’objectifs supplémentaires peuvent enrichir la compatibilité de la caméra et les domaines d’utilisation : PL Mount pour le cinéma et la publicité, B4 Mount pour le broadcast HD et F Mount : parce que les Nikonistes aussi ont le droit d’utiliser leurs objectifs favoris avec cette caméra. Nue, l’Ursa dispose de deux « lignes » de pas de vis en haut et en bas de son corps, quatre pas de vis de ¼ de pouce en haut et cinq en bas pour fixer la caméra sur des accroches ou des solutions de machinerie et fixer des accessoires sur la caméra.
Philosophie d’utilisation
Le domaine d’utilisation le plus habituel de cette caméra est la fiction. En précisant ses possibilités et en se familiarisant avec son maniement, nous avions pour but de préciser sa compatibilité avec d’autres domaines de production. Si vous disposez d’un objectif en monture EF et d’une carte mémoire CFast ou SD aux caractéristiques suffisantes, vous pourrez dès la sortie du carton partir à l’exploration du monde avec l’Ursa.
Elle est livrée avec un bloc alimentation secteur permettant de l’utiliser en intérieur et de la configurer sans vider ses batteries. L’adaptateur pour batteries V-lock fourni peut être remplacé par une plaque gold mount. Vous pourrez même au besoin confectionner ou adapter vos propres solutions d’alimentation grâce au connecteur et au câble fourni (voir photo).
L’Ursa Mini accepte exclusivement des cartes CFast, la version Pro G2 y ajoute deux ports SD pour cartes UHS-I et UHS-II pertinentes pour des workflows moins gourmands en débit et en qualité et également pour des budgets restreints. C’est le débit réel des cartes qui qualifiera le format, la cadence et la compression des médias enregistrables. Les cartes haut de gamme SDXC UHS-II permettent l’enregistrement au format Apple ProRes Ultra HD ou en Raw 12:1 4K.
Blackmagic a testé et listé certains modèles de cartes, avec l’indication des utilisations recommandées. Les cartes CFast seront nécessaires pour enregistrer en Raw, avec une qualité supérieure au 12:1. En plus des cartes, le SSD est à l’honneur. L’enregistreur Ursa mini SSD optionnel vous permet de plugger directement de nombreux disques internes SSD du commerce, une nouvelle prise USB-C permettant même encore plus simplement la connexion directe d’un disque SSD externe. C’est une option très souple : après avoir trouvé la solution la plus adaptée pour fixer votre disque à la caméra, les échanges avec la postproduction ou la sécurisation des médias seront simplifiés à l’extrême.
Pilotage de la caméra via une régie Blackmagic Atem
L’entrée 12G-SDI permet le visionnage du flux « programme » renvoyé par la régie et la synchronisation sur son signal de référence. Elle permet également le transport du tally (lumière signalant la caméra active) et du retour d’ordres. La caméra peut être réglée par un mélangeur Atem ainsi connecté.
Avez-vous bien fait votre Raw ?
Le Blackmagic Raw ou l’Apple ProRes : choisis ton camp camarade ! Deux philosophies de travail, mais des différences d’exploitation qui s’estompent, notamment grâce aux apports de Blackmagic, qui veut vous faciliter le Raw. En Apple ProRes vous choisissez parmi les six options (proxy, LT, 422, HQ, 444, XQ) aux débits du plus faible au plus important. Pour le Blackmagic Raw, vous choisissez entre le constant quality (Q0 ou Q5) et le constant bitrate (3:1, 5:1, 8:1 ou 12:1).
L’Ursa Mini Pro 4,6K G2 est dépourvue d’option d’enregistrement dans une variante du H-264 ou H-265 ; la qualité reste privilégiée. Pour les productions aux timings serrés, l’Apple ProRes sera certainement le format envisagé en premier. Trois modes de prise de vue sont alors proposés : film, video et extended video. Le mode film permet d’enregistrer la plage dynamique étendue d’environ 15 diaphs permise par l’Ursa Mini Pro en appliquant une courbe « log » au signal enregistré. Une LUT est affectable au moniteur ou/et sur les deux sorties externes en SDI pour apprécier plus facilement votre image et régler son exposition et sa netteté. Si vous choisissez de filmer dans ce mode, vous pourrez également utiliser une LUT dans votre logiciel de postproduction.
Le mode vidéo « traditionnel » est celui qui propose une image directement exploitable avec un minimum de postproduction, mais avec une plage dynamique limitée. Entre ces deux options, le mode extended video exploite une plus grande partie de la plage dynamique en compressant les hautes lumières à partir d’un certain seuil, mais sans nécessiter l’utilisation d’une LUT. Ce mode intermédiaire est un compromis des deux autres options. Les monteurs et les étalonneurs disposent d’une marge de travail en postproduction plus grande qu’avec le mode video avec un workflow simplifié. Les équipes de production et de postproduction étant parfois totalement séparées, les échanges d’informations telles que le choix d’un mode de tournage « log » (comme le mode film) est alors délicat à gérer, surtout lors de tournages à plusieurs caméras.
L’Apple ProRes semble donc le choix évident pour produire vos films dans les meilleurs délais. La simplicité d’utilisation du Blackmagic Raw va peut-être changer les choses. Nous avons expérimenté les possibilités de ce format avec DaVinci Resolve, Adobe Premiere Pro et Avid Media Composer. La version 1.5 du logiciel Blackmagic Raw téléchargeable pour Mac, Windows et Linux inclut un plug-in pour une compatibilité directe de ce format et des deux célèbres outils de montage. La version 9.5 du logiciel Edius offre également cette compatibilité directe sans transcodage avec le format BRaw. Les mêmes modes film, video et extended video sont disponibles en BRaw.
Mais les impacts du choix sont différents. Avec le mode film vous pouvez appliquer une LUT pour les moniteurs, et vous pouvez également l’intégrer directement dans le fichier vidéo. Cette LUT sera alors directement appliquée au format vidéo et décodée pour l’affichage d’une image directement exploitable. Les étapes de postproduction sont alors réduites au minimum. Si on utilise les modes vidéo et extended vidéo, contrairement à l’Apple ProRes, aucune information du signal vidéo capté par le capteur n’est perdue. Ce sont deux modes intéressants.
Sans nécessiter de LUT pour le visionnage dans la caméra ou pour la postproduction, toutes les options restent permises en cours de travail. En Raw, les modes video et extended video ou le mode film sont une interprétation du signal issu du capteur enregistré et compressé par les métadonnées accompagnant les fichiers. Les données originelles sont donc conservées et toute nouvelle interprétation peut être générée à la demande. Il est tout à fait possible de retrouver un mode film par exemple alors qu’un mode video était sélectionné au tournage.
Exploiter tout le capteur ou une fenêtre du capteur
La résolution native du capteur est de 4 608 x 2 592 pixels avec un ratio 16/9. En Raw, la totalité du capteur est exploitée uniquement en 4,6K ; tous les autres modes sont fenêtrés. Comparativement à un capteur plein format (full frame), le capteur super 35 de l’Ursa Mini Pro présente un crop factor (coefficient multiplicateur) de 1,5. C’est-à-dire qu’un objectif 50 mm installé sur la caméra proposera un cadrage équivalent à celui procuré par un objectif 75 mm utilisé sur un appareil à capteur plein format ; la focale équivalente est 50 % plus grande. Lorsqu’on utilise la caméra en mode fenêtré, on resserre encore l’angle de prise de vue (une focale équivalente encore plus grande). En mode fenêtré, un tournage en Ultra HD ajoute un crop factor de 1,2. En mode HD il passe à 2,4. Le format Raw impose par nature un fonctionnement en mode fenêtré.
En Apple ProRes, vous pouvez choisir – pour des formats inférieurs au 4,6K – de travailler en fenêtré ou en exploitant la totalité du capteur ; les résolutions inférieures étant alors obtenues par interpolation du signal. Les modes fenêtrés présentent dans certaines circonstances l’avantage de proposer une longueur de focale plus importante (une valeur de zoom plus grande), à partir d’un même objectif.
Haute vitesse
Les possibilités créatives de l’Ursa Mini Pro s’étendent à la haute vitesse. La génération 2 apporte un gain notable dans ce domaine. Les plus hautes vitesses seront accessibles uniquement aux cartes rapides ou aux disques durs SSD. Il est possible d’enregistrer jusqu’à 120 images par seconde en Raw 4,6K capteur entier, et jusqu’à 300 images par seconde en Blackmagic Raw 2K DCI fenêtré ou en Apple ProRes.
Traitement de la couleur et dynamique
Si on choisit l’Ursa Mini Pro, c’est aussi pour ses qualités reconnues dans le traitement de la couleur. L’Ursa Mini Pro est équipée de la science colorimétrique Blackmagic Design de quatrième génération. L’extérieur de la caméra, la position des boutons ont très peu changé. Le capteur est également le même. L’évolution de la caméra et le travail des ingénieurs de Blackmagic s’est concentré sur le traitement numérique des informations issues du capteur.
La caméra n’est pas le modèle le plus sensible du marché. On trouve des modèles, notamment équipés de grands capteurs, plus sensibles en basse lumière. Cependant, nous avons pu comparer les deux modèles, et la nouvelle gestion du capteur porte ces fruits. Les images sont superbes à 800 ISO et restent tout-à-fait exploitables à 1 600 ISO, voire à 3 200 ISO – selon les scènes filmées – avec un traitement de réduction de bruit. Le bruit lui-même est plus « agréable ». On pourrait dire qu’on obtient un grain numérique acceptable à l’image.
L’étendue de la plage dynamique de la caméra sur 15 diaphs est absolument remarquable ; et elle reste constante sur l’ensemble de la plage de réglage de la sensibilité.
ISO et dynamique
Le réglage de la sensibilité de la caméra a un important impact sur la distribution de la plage dynamique qui reste, elle, constante sur la plage complète de 200 à 3 200 ISO. Si les conditions d’éclairage le permettent, le réglage de la caméra à 800 ISO propose un équilibre intéressant avec 5,9 diaphs disponibles au-dessus du gris neutre (18 %) et 8,8 en dessous. À 200 ISO 3,9 diaphs sont disponibles au-dessus du gris neutre et 10,8 en dessous. À l’opposé de la plage, à 3 200 ISO, l’équilibre s’inverse avec 7,9 au-dessus et 6,8 en dessous.
Amélioration du rolling shutter
Comme toutes les caméras à capteurs CMOS de grande taille, l’Ursa Mini Pro présente des déformations des lignes verticales de l’image lors du déplacement trop rapide de l’image horizontalement ; elles sont notamment souvent visibles lors de panoramiques trop rapides. Ce rolling shutter, présent dans la génération 1, a quasiment disparu de la version G2. L’affectation des données issues du capteur vers le cœur de traitement numérique du signal a été revue et démontre ici son efficacité ; le capteur n’est donc pas le seul responsable de la qualité d’une caméra.
Praticité sur le terrain
Avec des caractéristiques qui font le bonheur des chefs opérateurs et des réalisateurs de fiction, l’Ursa Mini Pro bénéficie également d’une ergonomie très pratique dans des conditions plus exigeantes en termes de praticité. En extérieur, il faut pouvoir régler la quantité de lumière arrivant jusqu’au capteur pour éviter de surexposer l’image, et également pour pouvoir gérer l’ouverture du diaphragme et isoler des personnages par rapport au fond. Le filtre ND intégré, à quatre positions, évite l’utilisation de filtres ou de matte box.
Pour le son, les réglages sont accessibles avec des potentiomètres de réglages des niveaux accessibles en façades, le choix d’affectation des quatre canaux, le réglage des entrées micro/ligne/AES et l’alimentation 48 volts. Le son était déjà un point fort de la génération 1, il semble ne pas avoir subi de modifications.
Lorsque l’on accessoirise la caméra, le bouton on/off situé au-dessus de la caméra peut être difficilement manipulable ; c’est pour cela que l’on peut accéder à l’alimentation de la caméra via les touches « rec » et « forward skip » manipulées simultanément. Blackmagic Camera Control est une app gratuite pour iPhone, qui permet également d’allumer, d’éteindre et de régler la caméra et les objectifs installés sur cette dernière. C’est une option idéale pour piloter une caméra au bout d’une grue ou sur un drone.
Les utilisateurs d’Android devront acquérir une des applications disponibles sur Google Play, comme le Blackmagic Camera Controller développé par SayEffect Tech Solutions et commercialisé 7,63 €. La visualisation de l’image se fait via les sorties de la caméra ou le moniteur ; on pourra dans certaines situations faire usage d’un système externe de transmission vidéo sans fil.
Conclusions
C’est une évolution plus qu’une révolution. L’Ursa Mini Pro 4,6K G1 étant une très belle base de travail, les équipes de Blackmagic ont décidé avec raison de se concentrer sur l’optimisation de son potentiel. Les possesseurs de la G1 ne ressentiront pas forcément l’impérieux besoin de changer leur outil, ce qui est bien pour la pérennité de leur investissement ; mais les nouveaux acquéreurs bénéficieront d’un modèle abouti à tout point de vue.
LE BLACKMAGIC RAW
Sur de nombreuses caméras mono-capteurs, les photosites, (les éléments élémentaires chargés d’enregistrer la lumière et filtrés selon les couleurs primaires rouge, vert et bleu), sont disposés selon une structure particulière dite « matrice de Bayer ». Pour obtenir une image exploitable, il faut alors débayeriser le signal. Avec le Blackmagic Raw, une partie de cette opération purement technique est effectuée « matériellement » dans la caméra pour permettre une plus grande rapidité de traitement lors de la phase de postproduction.
Le Blackmagic Raw est optimisé à partir des caractéristiques du capteur pour proposer un rapport qualité/poids de fichier intéressant. Un travail a également été mené au niveau de l’accélération CPU et GPU pour les stations de postproduction, avec une compatibilité étendue aux technologies Apple Metal, Nvidia Cuda et OpenCL, dans le but de permettre une lecture en temps réel sans baisse de résolution du fichier sur de nombreux ordinateurs. Les informations des optiques compatibles sont elles aussi enregistrées en tant que métadonnées du fichier Raw ; même les évolutions de zoom et de mise au point au cours de la prise de vue sont enregistrées.
Deux types de Raw sont disponibles. En débit constant, le poids du fichier est prédictible, mais selon la complexité de l’image des dégradations restent possible. Les compressions (3:1, 5:1, 8:1, 12:1) sont exprimées comparativement au fichier Raw non compressé. En qualité constante, le poids du fichier sera directement lié aux caractéristiques des images, et donc très faible sur une image fixe, mais sans limites sur une image très complexe comme de très fins feuillages en mouvement rapide. L’application Blackmagic Raw Player permet le visionnage fluide et accéléré des rushs ; elle est actuellement disponible sur Macintosh et est en cours de développement sur PC.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.20/22. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.