Retransmissions sportives – Plongée dans le monde des intermittents (Partie 2)

Suite de notre notre article consacré au monde précaire et hétérogène des intermittents travaillant à la retransmission des compétitions sportives. (première partie publiée hier). *
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Peu d’intermittents sont directement employés par les chaînes. Ainsi, lors du dernier Dakar, sur une équipe de vingt-quatre personnes en charge de la production du signal privatif de France Télévisions, cinq seulement relevaient de ce statut, contre dix-neuf permanents.

Tous sont sous CDD d’usage. Mais si certains, comme une scripte, un assistant-réalisateur ou un régisseur, sont directement payés par le donneur d’ordre, d’autres ne le sont pas. « Il paraît logique que ce soit le prestataire qui paye les intermittents, cadreurs et opérateurs ralentis en tête, dès lors que ceux-ci sont rattachés au car et exploitent son matériel », justifie Francis Cloiseau, directeur adjoint des sports, en charge de la production.

 

Un statut avec ses limites et ses codes

L’autre raison est que, sur France Télévisions en l’occurrence, un intermittent ne peut pas dépasser 140 jours de travail par an. Et ce, afin d’éviter à l’entreprise toute demande d’intégration en CDI.  

Dès lors, « on ne peut pas interdire aux gens d’aller travailler ailleurs, réagit le responsable. Aucun des intermittents que nous employons n’a ce type de contrainte, ce qui n’est pas forcément le cas partout. » Ainsi, à l’aube des années 90, alors que le foot était l’enjeu d’une sourde rivalité entre TF1 et Canal +, les pigistes qui travaillaient pour la chaîne du groupe Bouygues étaient menacés d’être tricards chez le concurrent. « Quand je suis de bonne humeur, ça m’amuse de retrouver ailleurs jusqu’à des cameramen formés chez nous. Quant aux mauvais jours… », reconnaissait un jour Charles Biétry, alors patron des sports de Canal  +. Preuve que le « mercato » des intermittents a ses limites et ses codes, en dépit d’un statut qui, en théorie, leur permet d’avoir différents employeurs.

D’autre part, ceux qui passent du statut d’intermittent ou d’indépendant à celui de permanent sont rares. Ainsi, depuis 2012, les sports de France Télévisions n’ont connu qu’un seul exemple, celui d’un assistant-réalisateur. De même, au cours de ces quatre dernières années, cinq free-lances, qui avaient commencé à travailler pour EPC sur des opérations de host broadcasting dans des rôles de coordination ou de project management, sont devenus des collaborateurs permanents de l’UER.

 

La prime aux plus expérimentés

De son côté, AMP Visual TV assure être le premier contributeur français en volume de travail intermittent avec 1,2 million d’heures par an, dont près de la moitié pour le sport. Maintenant, « si nous avons soutenu la croissance de nos parts de marché, nous avons aussi “ staffé ” l’entreprise afin de limiter le recours aux intermittents parce que le législateur nous l’imposait, il voulait que nous ayons beaucoup plus de permanents », concède Gilles Sallé. Depuis 2007, deux cents emplois ont ainsi été créés, parmi lesquels dix à quinze techniciens recrutés chaque année.

Pour ces derniers en particulier, la formation s’est professionnalisée, avec la création de filières audiovisuelles post-bac. Pour d’autres, elle passe notamment par les réalisateurs. Ainsi, Jean-Maurice Ooghe, qui réalise La Grande Boucle pour France Télévisions, apporte un soin particulier tant au choix des cameramen qu’à celui des pilotes moto, à l’heure de renouveler son équipe. Pour ce faire, il monte de fausses courses et procède à des castings, avec mouvements de caméra imposés.

« J’ai dû en organiser quatre ou cinq depuis que je fais ce métier et je vais en refaire un cette année, précise-t-il. Ces castings s’adressent à des professionnels déjà confirmés que je vais former au travail sur une moto. Ensuite, je les teste en conditions réelles sur une course. Ainsi, le dernier cameraman que j’ai sélectionné était avec moi sur le Tour d’Abu Dhabi, à l’automne dernier, et lors du dernier Paris-Nice, avant de le lancer, d’ici à deux ans peut-être, sur le Tour de France. »

Même si la concurrence est plus forte qu’autrefois, les chaînes et les prestataires fidélisent les plus expérimentés, quitte à freiner le recrutement de nouveaux entrants. « Ce sont des métiers où il est difficile de faire sa place, convient le réalisateur. Il y a un certain nombre de personnes qui travaillent énormément et d’autres qui ont beaucoup de mal à trouver du travail. Il n’y a pas une répartition homogène ou pseudo-équitable de l’activité. »

En fait, le constat n’est pas nouveau. Voici une quinzaine d’années déjà, une source syndicale évoquait un « milieu du sport à la télé » et avançait que « soixante cameramen font 80 % des émissions sportives ».

Au cours de cette période, pourtant, le volume de production a augmenté, jusqu’à faire du sport un programme permanent quand, autrefois, ses manifestations avaient lieu pendant les week-ends. Désormais, le sport d’élite, voire celui des divisions inférieures (Ligue 2, Pro D2…), squatte les écrans du lundi au dimanche, de même que des compétitions féminines et d’autres encore. « Vous avez aussi toutes les réunions hippiques qui font travailler entre cinq et dix cadreurs par réunion. Et ce, tous les jours de la semaine, voire deux fois par jour en province », souligne Gilles Sallé.

 

Multiqualification et hyperspécialisation

Reste que cette multiplication des tournages est invalidée par une réduction des moyens mis en œuvre, assure l’un des acteurs du dossier, avant d’énumérer : « Moins de caméras sur le basket et le hand-ball, par exemple, qui sont devenus les parents pauvres du sport collectif. Moins de caméras sur le rugby également. Moins d’assistants son et vidéo, plus de scripte ni d’assistant-réalisateur sur certains tournages, plus de truquiste non plus, et un réalisateur seul aux manettes. »

Dans ce contexte, la multiqualification et l’hyperspécialisation apparaissent comme des antidotes plus ou moins efficaces à la précarité. Dans le premier cas, il n’est pas rare, par exemple, qu’un cadreur sur une production sport le week-end endosse l’habit du JRI la semaine avec du matériel ENG pour une agence de presse, ou encore qu’un IP logger ou opérateur ralentis sur le football devienne cadreur ou monteur sur d’autres prestations.

Par ailleurs, des événements comme les Jeux olympiques, par souci d’économie et compte tenu de leur éloignement, favorisent également l’emploi de personnels multiqualifiés. Ainsi, un cadreur saura aussi faire de la transmission.

Pour autant, « sur les grands directs, nous sommes encore sur des métiers extrêmement spécialisés », note Jean-Maurice Ooghe. Certains cadreurs, par exemple, sont experts sur les portables ou le plan large, sans parler des grues, steadicams et autres matériels spécifiques pour l’utilisation desquels les opérateurs ont parfois droit à une prime (130 € pour un match sur beIN Sports). Reste que « nous ne sommes jamais approchés par les ingénieurs et concepteurs pour évaluer et aider au développement de nos outils de travail, qui ne sont pas toujours ergonomiques et efficaces en extérieur », se désole l’un d’eux.

« Le travail est irrégulier, mais il n’est pas précaire pour ceux qui sont les meilleurs », nuance l’une des parties prenantes. Et encore, plus que d’autres productions, « le sport est l’activité sur laquelle nous avons aujourd’hui un peu de visibilité puisque nous avons des contrats annuels ou pluriannuels qui nous permettent de prendre des engagements de volume auprès d’intermittents en leur disant : à Saint-Etienne, par exemple, nous viendrons une fois tous les quinze jours pendant dix-neuf matchs », enchaîne Gilles Sallé. Ainsi, les plus expérimentés participent à une centaine de tournages et totalisent quelque 1 200 heures de travail par an. 

Toutefois, tout peut être remis en cause au gré du renouvellement ou non de ces contrats. Ainsi, un intermittent qui ne travaille plus sur un match « premium » du vendredi soir ou du dimanche soir sur Canal +, verra son salaire mensuel amputé de 35 %. Et il suffit que dans une région, une ou deux équipes quittent l’élite pour qu’une partie de l’activité disparaisse.

 

Vers une fluidité entre les métiers

Pour la majorité, la précarité reste donc un fait économique et social. D’autant que la tendance à la réduction des coûts conduit, par exemple, à remplacer certains cadreurs par des assistants, qui installent le matériel en amont, puis cadrent, avant de finir leur journée en aidant au démontage.

Les mutations technologiques en cours ou à venir pourraient encore accélérer cette fluidité entre les métiers. Jusqu’à bouleverser le cadre social et le modèle de production ? Ainsi, avec la montée de l’Ultra HD, le métier de cadreur aura-t-il encore une substance, quand il suffit qu’un opérateur zoome dans l’image pour proposer d’autres valeurs de plan ?

De la même manière, quelles conséquences porte en germe le projet, déjà ancien, de jumelage du plan large avec les caméras aux 18 mètres, ou encore la mise en place de dispositifs de suivi automatique sur des petits sports collectifs comme le volley-ball ? Enfin, verra-t-on encore des cars et des intermittents sur les stades, quand ceux de la nouvelle génération se dotent de moyens intégrés pour la production des images et le transfert des données par fibre noire et connexion IP, avec une main-d’œuvre employée à des postes de permanents ?

 

Un régime dérogatoire pour le Tour de France

Avec les Jeux olympiques, le Tour de France est l’autre événement pour lequel, chaque année, France Télévisions, après acceptation du comité d’entreprise et du CHSCT interne, demande une dérogation à l’Inspection du travail.

« Nous appliquons strictement la journée de repos hebdomadaire pour tous, y compris les commentateurs, plaide Francis Cloiseau. Se pose uniquement le problème de cette journée de repos, et seulement la première semaine du Tour, pour le réalisateur. Nous avons expliqué à l’Inspection du travail la spécificité de cette réalisation, rendant une rotation impossible sur une journée. Sur ce point, nous avons eu droit à des remarques, mais aucune action en justice n’a été engagée. » Contrairement à la rumeur.

D’autre part, les intermittents du Tour bénéficient d’un régime salarial spécifique avec une prime de 210 € versée à ceux présents sur l’intégralité de la course, et une indemnisation à 125 % des temps de transfert d’une étape à l’autre.

Quant aux notes de frais, le système est le même que pour les permanents (forfait au barème Urssaf ou frais de mission sur justificatifs plafonnés à quelque 25 € par repas, qui est la moyenne sur l’ensemble du Tour). En fait, pour la très grande majorité des personnels, dont 50 % environ d’intermittents, qui travaillent à la retransmission de l’événement, l’hébergement est directement pris en charge par France Télévisions.

 

* Cet article est paru en intégralité pour la première fois dans Mediakwest #18, pp.78-81. Soyez parmi les premiers à lire nos articles en vous abonnant à notre magazine version papier ici 

La première partie de cet article est accessible ici

La suite de cet article sera en ligne dans les prochains jours


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