En invitant pour la première fois l’Irlande à venir présenter des projets de séries d’animation devant un parterre de 950 professionnels, Cartoon Forum (Toulouse, 13-16 septembre 2016) a créé un appel d’air propre à rééquilibrer la plate-forme de coproduction innervée depuis une dizaine d’années par les productions hexagonales (26 projets soumis sur 80). Le Canada et la Corée du Sud étaient également de la partie en exposant quatre projets issus des Cartoon Connection Canada et Cartoon Connection Asia.
Outre ces nouveaux venus, Cartoon Forum, qui a lancé en 2015 Cartoon Springboard et le Coaching Programme, a continué plus que jamais à mettre en avant les jeunes studios : « Si leurs projets sont créatifs, ils peuvent aboutir, rappelle Marc Vandeweyer, directeur général de Cartoon. Nous devons offrir une alternative au rêve américain et faire le lien entre l’école et l’industrie culturelle.» La confrontation stimulante avec leurs pairs mieux installés a placé, cette année, la barre très haut.
Jeunes studios ou émergents, le bon cru
Mis en avant à l’instar d’autres studios locaux (TAT, E-magine), Xbo Films s’est fait remarquer pour son projet « ZooBox », un spécial de 26 minutes coproduit avec Moukda Production et réalisé en stop motion : une technique que le studio toulousain maîtrise parfaitement. Avec un sujet universel pour les 4-5 ans (l’Arche de Noé), une héroïne empathique et des décors riches et variés, le projet au budget de 600 000 euros (2,5 millions d’euros pour la série TV de 26 x 7 minutes) a attiré, fait peu habituel, de nombreux distributeurs français et étrangers lors de sa présentation.
Nouveau venu dans l’animation, La Cabane Production s’adresse également à ce public préscolaire avec « Mush-Mush & les Champotes » (52 x 11 minutes) : une bande de champignons craquants partant à la conquête de la forêt. Présentée par Perrine Gauthier avec le belge Thuristar, la série (6,5 millions d’euros), dont le pilote a été réalisé en 3D par le studio Banana, cherchait ses diffuseurs, distributeurs et partenaires.
Pour les 6-10 ans (une cible représentant 58 % des projets), l’offre se montre tout aussi qualitative. Dandeloo s’est distingué en introduisant des caractères peu fréquents en animation, des plantes vertes de bureau. « Les Bitkiz » (52 x 13 minutes) révèle la vie secrète de végétaux passe-partout devenant super héros dès que les humains tournent le dos. Prévue en 2D (pilote réalisé par Caribara), cette série sitcom (5,5 millions d’euros), qui pourrait faire l’objet d’un spécial, souhaitait rencontrer ses coproducteurs et faire des préventes.
Pour la même tranche d’âge, Folivari annonçait « Menino et les enfants du monde » (52 x 7 minutes). Coproduite avec Winds et Cyber Group qui la distribuera, la série réalisée par Pauline Brunner et Marion Verlé croise des images de la collection documentaire « Sur les chemins de l’école » (production Winds) avec le petit héros du long métrage d’animation d’Alê Abreu : « Menino » (« The Boy and the world »). À chaque épisode, celui-ci, accompagné de son chien, rencontre un enfant du bout du monde (Chine, Népal…) qui l’invite à partager, en vrai, son quotidien.
Pour définir le traité graphique et la méthode de travail de cette série hybride atypique de 3 millions d’euros, le producteur a réalisé, non un pilote, mais un épisode de 7 minutes. « Cette invitation à découvrir la planète à hauteur d’enfant est plus qu’une série, insiste Didier Brunner. C’est un devoir si nous voulons laisser une trace dans le futur. »
Si des contacts ont d’ores et déjà été pris avec des chaînes américaines et russes, les producteurs lancent un appel aux chaînes publiques et privées, plates-formes SVoD et grands réseaux afin d’entrer en production au second trimestre 2017 (pour une livraison en 2019). Et, à terme, de créer un label « Menino » via une chaîne Internet diffusant des films courts et des modules interactifs.
Tant Mieux Prod (“Les Cartons de M. Carton”), quant à lui, a surpris son public avec « Toby Lolness », une saga feuilletonnante en 2D au souffle épique s’adressant à la famille (13 x 52’). Inspirée d’un roman illustré, la série suit les péripéties d’un jeune garçon dont dépend la survie de son peuple. Riche de décors originaux (Toby vit dans un arbre gigantesque) et de personnages que l’on voit grandir, la série estimée à 7,5 millions d’euros a interpellé les diffuseurs : « La série « Les Grandes Grandes vacances » (les Armateurs/Blue Spirit) a montré que le feuilleton pouvait marcher à la télé qui a besoin de grands récits », remarquait Pierre Siracusa (France Télévisions).
Non moins ambitieux, « Pirates des abysses », le projet de série (52 x 13 minutes) et de spécial (pouvant servir de préquelle) est porté par le studio bordelais I can Fly (série “Baskup”). S’appuyant sur l’expérience de Pierre Frolla, champion du monde de plongée en apnée, la série narre, dans un style steampunk, les aventures d’un groupe d’enfants, épaulés par le plongeur, qui parcourent le monde pour sauver les espèces aquatiques en danger. Transmedia, le projet de 7 millions d’euros (hors spécial), dont le pilote a été animé par le studio sud-coréen Animal Studio, comporte une application mobile et il est prévu qu’il soit également décliné en réalité virtuelle. Ce projet a déjà réuni la Fondation Albert II de Monaco, le Musée océanographique et l’investisseur chinois Parkview.
Les grands en pleine forme
Devant cet assaut de projets de très bonne facture, les studios d’animation « historiques » ont rivalisé de qualité en présentant des projets à fort potentiel. S’associant avec le suisse Nadasdy Films, Folimage montre ainsi « Vanille », un spécial de 26 minutes réalisé par Guillaume Lorin, lequel raconte la découverte de la Guadeloupe par une petite Parisienne. Le dépaysement (passager) n’affecte pas seulement le sujet, mais aussi la forme qui mêle de manière sensible des prises de vue réelles et des personnages 2D. Très musical (il y aura beaucoup de chansons créoles), le projet estimé à 500 000 euros s’accompagnera de supports numériques, dont un voyage en réalité augmentée : « En passant sa tablette ou smartphone sur une carte, l’enfant découvrira des vidéos ou des jeux en fonction de l’endroit survolé, expliquent les producteurs. Ce concept de carte augmentée pourrait s’appliquer à la découverte d’autres îles. »
Intégration réussie également (mais d’un autre type) pour Millimages qui, avec « Kung-Fu Brothers » (78 x 7 minutes pour 7 millions d’euros), a fait salle comble. Introduite par le studio qui fêtait ses 25 ans, cette comédie-action sans dialogue coproduite par la Chine – et déjà inscrite dans le line-up de France 3 – met en scène deux caractères animés (un chien et un lapin amateur de kung-fu) dans un décor réel, l’appartement du dessinateur dont on ne voit que les mains et parfois les pieds. Dès que celui-ci franchit la porte, les caractères s’animent, de même que certains objets. « Nous voulons faire une série culte avec des scènes de kung-fu rappelant des films mythiques, annonce Roch Lenner. Son esthétique est particulière puisqu’elle comporte à la fois de la 2D, de la 3D, de la stop motion et des prises de vue réelles. »
Faisant partie également des projets les plus remarqués, « Runes », une série de 26 fois 22 minutes proposée par Les Armateurs, relate l’enfance de Guillaume le Conquérant contraint de vivre sous un faux nom pour échapper à ses ennemis. Dans sa fuite, il réveille un dragon viking. Écrite par Guillaume Mautalent et réalisée en 3D avec un rendu 2D par Augusto Zanovello, la série a opté, comme « Les Grandes Grandes Vacances », pour le format feuilletonnant. S’inscrivant de même dans le registre du merveilleux, Blue Spirit s’adresse aux 4-5 ans avec un remake d’Alice au pays des Merveilles. Traduite en 3D, « Alice & Lewis » (52 x 11 minutes) part du quotidien pour investir un monde imaginaire dont l’héroïne doit décrypter les étranges règles. La série de 5,5 millions d’euros sera fabriquée en France et au Canada.
Autre pitch très suivi, « Mr Magoo » de Xilam Animation, qui a choisi le format court de 78 fois 7 minutes, fait revivre les péripéties du vieux monsieur myope créé dans les années 60. De son côté, Cyber Group Studios, très présent lors de cette édition, cumulait trois présentations de séries au titre de coproducteur (« Les Sœurs enchantées » avec The Jim Henson Company), de distributeur (« Ernest et Rebecca » de Media Valley) et de producteur-distributeur (« Menino et les enfants du monde »).
Les films pour adultes marquent le pas
La progression attendue des films pour adultes n’a pas eu lieu : les producteurs accusant le coup en raison de la raréfaction des fenêtres de diffusion. Il n’en demeure pas moins que les films pour adultes (au nombre stable de sept) continuent d’être très suivis. Sur le ton de l’humour acide, « Amour, Passion & CX Diesel » de Pixies Cinéma traite ainsi des rapports familiaux avec, en toile de fond, la Citroën CX Diesel de l’aïeul dont tout le monde rêve d’hériter. Inspiré d’une BD, le projet se démarque par un style graphique qui, sans trahir l’original, emprunte adroitement à l’animation en volume. La série de 26 fois 13 minutes, au budget de 3,5 millions d’euros, a été suivie par plus de 60 acheteurs, du jamais vu pour ce créneau.
D’un tout autre genre, « Le Loup des mers » de Elda Production, adapté du roman de Jack London, fait se confronter un jeune journaliste et le capitaine brutal d’une goélette, lequel l’a sauvé d’un naufrage. Réalisé par Emmanuel Gorinstein sous un format feuilletonnant, ce projet à rebondissements (10 x 10 minutes ou 3 x 30 minutes pour un budget de 1,5 million d’euros), dont le pilote a été fabriqué par Je Suis Bien Content, cherchait un diffuseur français et un distributeur.
Cartoon Forum réservait pour sa clôture « The Wind-Ups » du studio d’animation espagnol Leonstudio, l’un des trois projets sélectionnés du Springboard et certainement le plus comique. Épaulée par Autour de Minuit qui intervient en temps que producteur, la série (26 x 3 minutes) introduit des toons en forme de sexes. Les épisodes, très courts, mettent en scène des situations érotiques peu orthodoxes.
Si la salle a fait un standing ovation, seul Canal+ Espagne a marqué son intérêt. Pour financer le projet (15 000 euros par épisode), Autour de Minuit envisagerait donc une solution en crowdfunding. Le producteur, qui dispose de studios à Paris et à Bordeaux via Schmuby (celui de Clermont-Ferrand étant sur le point de fermer), se chargera de l’écriture des scripts, d’une partie de l’animation 3D (sous Blender) et de la postproduction son, tandis que le studio espagnol signerait les modèles 3D et l’animation.
*Extrait de notre article paru pour la première fois dans Mediakwest #19, p.106-108. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.