L’animation a fait le plein au dernier Cartoon Forum

De plus en plus internationale, la plate-forme de coproduction de séries d’animation (10 au 13 septembre 2018, Toulouse) fait état d’un marché très soutenu.
BANDEAUchapardeurs.jpeg

 

Avec presque un millier de participants (producteurs, investisseurs, distributeurs, acheteurs), Cartoon Forum poursuit sa progression et livre, avec cette 29e édition, un instantané d’un marché en plein essor, lequel serait même, d’après certains producteurs, en situation de surchauffe.

Fort de 83 projets pitchés (qui ne verront peut-être le jour qu’en 2020/2021) venus de toute l’Europe, le forum de coproduction se montre non seulement d’un très haut niveau, mais d’une tonalité « plus joyeuse et optimiste qu’auparavant », comme le relève Marc Vandeweyer, DG de Cartoon.

D’autres raisons encore pour l’organisateur de se montrer optimiste : Amazon et Hopster étaient présentes, ainsi que la plate-forme de streaming Netflix (en demande de séries d’animation européennes) arrivée en force à Toulouse. Servies par des pitchs de mieux en mieux maîtrisés, les coproductions commencent aussi à sortir de la sphère européenne pour se tourner vers le Canada, le Japon, voire la Chine.

Si le Cartoon Forum tend donc à devenir encore plus international, les Français dominent toujours la sélection avec 27 projets présentés. Ceci étant, la défection de France 4, qui impacte déjà les budgets de l’animation, si elle n’était pas officiellement à l’ordre du jour, était présente dans tous les esprits : « Nous espérons que France Télévisions continuera de jouer son rôle de premier coproducteur en Europe de séries d’animation, espère Marc Vandeweyer. Si France Télévisions est impacté, c’est toute l’Europe de l’animation qui le sera. Un retour en arrière est inimaginable. »

Pour l’heure, pas d’inquiétude à avoir pour ceux dont le line up s’adresse majoritairement aux « preschool » ou aux 6/11 ans, le graal des diffuseurs. « L’animation est cyclique, mais force est de reconnaître que, depuis 2016, la production s’avère très soutenue. Comme il faut en moyenne quatre années pour monter une production, nous pouvons être tranquilles jusqu’en 2020 », note avec humour le producteur Florent Mounier (2d3D), un familier de la manifestation.

 

 

Ruée sur les formats courts

Réduction des budgets, forte affluence aux guichets : les nouvelles séries d’animation délaissent les 26 minutes pour se tourner vers des formats plus courts de 11, 7 voire 3 minutes, lesquels ne sont plus considérés aujourd’hui comme les parents pauvres de l’animation.

Recherché par les producteurs, le créneau du preschool (4/5 ans) qui, pour l’heure, conserve sa place sur la chaîne des Zouzous (France Télévisions), continue aussi à séduire pour son format court – surtout des 7 minutes –, sa trame narrative épurée et son traitement qui s’accommode aussi bien de la 2D (numérique, papiers découpés, etc.) que de la 3D ou des expérimentations en volume.

 

Parmi les propositions (et présentations) les plus enlevées, on relève celle de Normaal Animation et du studio canadien Groupe PVP, Woolly Woolly (78 fois 7’). Reposant sur des marionnettes tricotées à la main, cette comédie visuelle loufoque sans dialogue, inspirée de l’univers décomplexé de l’Américaine Anna Hrachovec (MochiMochi Land), introduit des gnomes unisexes qui passent leur temps à tricoter les accessoires dont ils ont besoin pour résoudre les énigmes posées par des enfants narrateurs. Estimée à 7 millions d’euros, la série tout en laine (décors y compris) est prévue pour être fabriquée dans le studio de Normaal à Angoulême.

Moins décalée mais tout aussi soyeuse, Komaneko, chat curieux (52 fois 7 minutes) résulte d’une association atypique entre un « petit » studio en stop motion français, Komadoli Studio (Paris), et un « grand » studio japonais, Dwarf Studios (Tokyo). Connue au Japon pour avoir fait l’objet de plusieurs films (dont l’un a été distribué par Gebeka), l’histoire de cette petite chatte bricoleuse asiatique rendue en stop motion est en passe de devenir aujourd’hui une star à l’international (6,8 millions d’euros pour 23 mois de production).

Traditionnellement riche en adaptation de livres pour enfants, l’offre preschool du Cartoon Forum a encore retenu la série 2D Zouk, la sorcière (52 fois 11 minutes), introduite par Bayard Jeunesse Animation et Normaal Animation. Celle-ci narre les aventures d’une petite sorcière « dotée d’une forte personnalité » dans la vie de tous les jours.

La série Les Qui Quoi (52 fois 7 minutes), coréalisée par Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet et coproduite par Silex Films et Doncvoilà Productions, donne également vie à des héros d’albums jeunesse (Actes Sud). Les Qui Quoi s’y prêtent particulièrement, qui ont le pouvoir de faire naître, d’un seul coup de crayon sur la page blanche, des animaux comme des objets.

Enfin, la série Pompon le petit ours (39 fois 7 minutes pour 3,8 millions d’euros) produite par Supamonks et réalisée en 2D par Mathieu Gaillard, met en scène un ourson qui fait de « l’extra avec de l’ordinaire ». La série adaptée d’un livre de Benjamin Chaud sera distribuée par Dandeloo qui présentait, pour sa part, Billy, le hamster cowboy (78 fois 7 minutes) avec le studio belge Amosphere Media. Adaptée des livres de Caterina Vackx, cette comédie aventure en 2D (6,5 millions d’euros) s’inspire du Far West et de son imaginaire pour mettre en scène un petit hamster qui s’imagine être un cow boy et un chercheur d’or « alors qu’il n’est qu’un enfant ». La série pourrait être produite en partie par le studio Oulala, ouvert par Dandeloo à Valence.

 

« Nous nous sentons bien dans cette offre jeunesse », reconnaît Emmanuelle Pietry, productrice chez Dandeloo dont la saison 1 de la série à succès La Cabane à histoires vient d’être diffusée en Chine et pourrait être adaptée pour le Brésil et l’Inde. À noter que les Français n’ont pas le monopole du genre. La présentation des Irlandais de Cartoon Saloon, Silly Sundays (52 fois 11 minutes), a été unanimement saluée par le public du Cartoon Forum pour sa fraîcheur et son esthétique de papier découpé.

Réputée pour être plus coûteuse que la 2D, la 3D réussit à s’imposer, quant à elle, dans plusieurs séries preschool comme SamSam (52 fois 11 minutes) produite par Folivari et Bayard Jeunesse Animation. Pour sa troisième saison (France Télévisions), la série adaptée des albums de Serge Bloch va s’appuyer, une fois n’est pas coutume, sur le long métrage en 3D de Tanguy de Kermel (sortie prévue fin 2019). Elle pourra ainsi bénéficier d’une chaîne de fabrication 3D déjà éprouvée chez Mac Guff Ligne, et s’enrichir de nouveaux décors et de personnages tout droit issus du film sans trop grever son budget (de 7,5 millions d’euros). Les histoires seront ainsi plus longues et plus adaptées à la pétulance du « plus petit des plus grands héros de la galaxie ».

Autre série Full 3D remarquée lors du Cartoon Forum, Splat et Seymour (52 fois 11 minutes) présentée par Just Kids, une filiale de Blue Spirit. Adaptée des albums de l’auteur britannique Rob Scotton aux dessins très fouillés, la série réalisée par Jean Duval, qui narre l’improbable amitié entre un chat et une souris, s’enrichira de décors spécialement créés pour la série, et filmés de manière cinématographique. Lors de la présentation, le choix du plug-in 3D dédié au rendu des poils du chat n’avait pas encore été décidé. C’est l’un des défis de cette production estimée entre 7 et 8 millions d’euros.

 

 

Les 6/11 ans, l’idole des chaînes

L’animation hexagonale contribue pour un tiers à l’offre destinée aux 6/11 ans. Pour cette cible favorite des diffuseurs, les formats s’allongent (13 minutes) et certains producteurs osent parfois du 26 fois 22 minutes comme Cyber Group Studios, qui présente la série Droners avec Supamonks et La Chouette Compagnie. Les techniques 2D et 3D s’hybrident aussi plus facilement. Cette année, comme si elles s’étaient donné le mot, la plupart des histoires délaissent la ville pour la campagne, et encensent la vie au grand air.

Présenté par le producteur Pierre Coré (La Station Animation) qui en est le co-auteur, Les Enfants de la campagne (52 fois 13 minutes pour 7,5 millions d’euros) suit ainsi des bandes d’enfants dans leur vie quotidienne. « Entre véracité, férocité et tendresse », précise le réalisateur Fabrice Fouquet qui a choisi un mix 2D et 3D pour dépeindre cette campagne considérée ici comme un personnage à part entière. Avec V et les fantômes (52 fois 11minutes), c’est un petit port de pêche du littoral breton qui sert de cadre à cette comédie fantastique mêlant le monde des esprits, les Ankou, vivant dans une ville sous-marine, avec celui du surf où s’affirme une petite parisienne « réfugiée » au bord de la mer. Prévue pour être en 2D, la série est à la recherche de diffuseurs et distributeurs (pour un budget de 7 millions d’euros).

 

Une tout autre vision de la campagne est apportée par les Belges de Lunanime et Beast Animation venus avec une série décalée, The Fluffy Four (52 fois 7 minutes), qui introduit un quatuor d’animaux de ferme cherchant à s’extraire de la planète Terre au moyen d’une navette-betterave. Cette aventure spatiale doit faire l’objet d’une animation en stop motion chez Beast Animation (Panique au village, etc.) sur fond de décors en prises de vue réelles, un traitement qui ajoute au burlesque des situations (des marionnettes en gravitation, etc.).

D’un tout autre ton, le spécial de 26 minutes présenté par Laïdak Films, Maman pleut des cordes, inscrit également son histoire sur fond de campagne : le séjour « forcé » chez la grand-mère d’une enfant de la ville pendant que la mère soigne sa dépression à l’hôpital. Le projet prévu pour la 2D (sur TV Paint), dont la facture poétique a séduit France Télévisions, a fait l’objet d’un Cartoon SpringBoard avant d’être pitché à Toulouse.

D’autres projets 2D se sont fait également remarquer comme ceux portés par le studio d’animation lillois Redfrog et le montpelliérain Mad Films. Le premier est une adaptation comique d’une bande dessinée, La Vie en slip (52 fois 11 minutes), le second, Origin Arena (39 fois 7 minutes), une incursion irrévérencieuse dans l’histoire : « Chaque épisode de la série fait appel à des personnages célèbres, comme Léonard de Vinci ou Marie Curie, et les met dans des situations improbables en leur faisant faire équipe avec des coéquipiers moins brillants ou inattendus (un homme préhistorique, Mulan…) afin de résoudre des énigmes. À la fin de la saison, les protagonistes comprendront le pourquoi de leur duo et la raison de ces épreuves », promet le producteur Jean Mach, qui recourt au web pour ancrer son projet.

Minoritaires en nombre, les projets foncièrement 3D ont tendance, quant à eux, à s’appuyer sur le fantastique ou le comique d’aventure. Inspirée de la collection The Borrowers de Mary Norton, la série 3D de 52 fois 11 minutes proposée par Blue Spirit Productions, Les Chapardeurs, s’inscrit dans la lignée des adaptations dont la plus célèbre est le long-métrage Arrietty, le petit monde des chapardeurs du studio Ghibli. Traduite librement en Full 3D, la série en développement, qui a fait l’ouverture du forum de coproduction, introduit deux mondes parallèles qui s’ignorent : les Humains et les Minuscules qui vivent chez les premiers à leur insu. Pour rendre lisible ce changement d’échelle, le réalisateur opte pour un rythme d’animation à 12 images par seconde et une caméra très mobile capable de se faufiler dans les moindres recoins de la maison.

Sans conteste, le projet le plus « gonflé » du forum, la série Full 3D Pfffirates (52 fois 11 minutes) est porté par Cube Creative. Prévue pour être entièrement réalisée sous le logiciel libre Blender (elle sera la première série chez Cube à inaugurer ce nouveau pipeline), la série action-comédie au budget de 8 millions d’euros introduit des pirates au corps rondouillard et serti d’une valve comme une bouée. Un détail qui donne lieu à de multiples gags : chaque mauvais coup occasionnant un dégonflement plus ou moins comique du personnage.

Lors de sa présentation, Lionel Fages a rappelé la genèse du projet. À savoir, un court-métrage créé à l’origine par un étudiant de Supinfocom et repéré par le fondateur de Cube. Quelques années plus tard, l’auteur s’est souvenu de cette rencontre. TF1 a été également séduit par cette histoire originale de pirates gonflés prêts à se dégonfler à chaque instant. L’équipe recherchait un autre diffuseur et un distributeur. Sans oublier un « toy master ».

 

 

Animation ado-adulte, une nouvelle génération

Le soutien enthousiaste de Cartoon Forum pour le genre ado-adulte n’y fait rien : les chaînes tardent toujours à concrétiser leur intérêt. L’édition 2018 note toutefois un frémissement dû à la présence d’acheteurs et d’investisseurs dans les salles où se tenaient les pitchs.

« Plus de 50 investisseurs dans certaines salles, c’est du jamais vu, se félicite Marc Vandeweyer. Mais les diffuseurs vont-ils entendre ce signal qui provient de la nouvelle génération ? C’est un véritable enjeu d’avenir. »

Très remarqué, Selfish (30 fois 2’30 pour un budget estimé à un million d’euros), écrit et réalisé par Nicolas Trotignon et Mathieu Vernerie (Kazak Productions), a emballé le public par son sujet (l’addiction aux réseaux sociaux et le droit à la déconnection), son casting de caractères (des poissons hyper connectés), ses dialogues truffés de jeux de mots et son graphisme 2D incisif.

Pour rester dans l’univers marin, le luxembourgeois Zeilt Production et Watt Frame ont concocté Au fond du bocal (26 fois 5 minutes), une drôle et grinçante plongée dans un aquarium dont les hôtes ne perçoivent de leur environnement que des images déformées. L’infini jeu des reflets et des déformations sur le bocal autorisent des situations d’immersion cocasses, lesquelles sont rendues au moyen d’intégrations 3D sur des décors filmés en prises de vue réelles. « Ce tournage permet une réelle économie d’échelle, mais aussi de varier les sujets », remarque le producteur Laurent Witz.

Enfin, le salutaire Dans ta face par Doncvoilà Productions et Bridges revient sur des situations quotidiennes de harcèlement ou d’agressions verbales, et y apporte des savoureuses réponses en forme de « réparties polies qui claquent », lesquelles permettent à l’agressé de retourner la situation avec humour et mordant. Les modules courts en 2D (30 fois 1’30 pour 380 K euros) sont prévus pour le web ou la télé. Le public de professionnels a très largement apprécié ce projet, qui avait déjà été remarqué lors d’un coaching programme du Cartoon Forum, et salué la performance de la réalisatrice Ève Ceccarelli (issue de La Poudrière) lors de sa présentation.

 

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #29, p.112/115. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


Articles connexes







Salto, clap de fin
 26 janvier 2023