Pour mieux cerner ces choix, il faut distinguer les natures des documentaires à réaliser :
• reportage sociologique en milieu urbain ;
• portrait, à base d’interviews, de plans descriptifs et d’archives ;
• tournage à l’étranger en milieu plus ou moins hostile ;
• tournage animalier ;
• document (sportif) en milieu extrême (jungle, désert, montagne, océan).
Souvent ces « catégories » se chevauchent, ce qui occasionne des changements de stratégie technique selon les situations à filmer à l’intérieur d’une même production. C’est pourquoi il est aujourd’hui hasardeux d’envisager un tournage documentaire avec seulement une caméra.
Le critère du format d’image, 4K ou HD, est important mais secondaire, dans la mesure où les caméras en 2019 offrent toutes des résolutions et des qualités d’images très supérieures à ce que l’on a connu à la fin du XXe siècle, et même, pour beaucoup, proches ou équivalentes au film argentique 35 mm qui a longtemps été l’étalon. On produit déjà en 8K !
Aujourd’hui, pour le choix des caméras, on aura tendance à privilégier, outre la qualité des objectifs et des capteurs :
• la simplicité, donc la rapidité de mise en œuvre ;
• la polyvalence ;
• l’ergonomie ;
• la fiabilité dans des conditions de températures extrêmes ;
• l’autonomie énergétique ;
• le poids ;
• la discrétion.
La panoplie du cadreur s’est donc largement diversifiée et sera composée de petites et de grosses caméras : de la caméra d’action, type GoPro, aux caméras d’épaule haut de gamme, en passant par tous les outils intermédiaires, caméras de poing, drones, Osmo, et même VR360 ° à haute résolution (6K minimum) que l’on utilisera en montage classique et non pas en immersion, car elles présentent l’avantage certain de filmer tous les points de vues simultanément, qu’il ne restera plus qu’à recadrer en HD en postproduction.
Reportage en milieu urbain
Que ce soit pour un reportage court de type JT ou un sujet plus fouillé, les caméras de poing sont devenues une sorte de standard. Leur légèreté et la rapidité de mise en œuvre sont leurs arguments principaux. Certaines y allient aussi la discrétion, si importante dans certaines situations. Un petit sac à dos avec quelques batteries, une torche led, un monopode ou un trépied léger, permettront de filmer toute la journée en bougeant rapidement d’un lieu à l’autre, y compris sur des véhicules à deux roues, pour optimiser la mobilité en ville.
En intérieur comme en extérieur, elles s’adaptent à toutes les situations, de l’interview à la volée aux « beauty shots », à condition quelles soient équipées de focales courtes, d’un zoom efficient, et qu’elles soient idéalement stabilisées pour pouvoir filmer à proximité des événements.
Dans cette catégorie, il faut inclure les caméras avec stabilisateur trois axes (gimbal) issues des drones, chaussées de poignées type Osmo, comme notamment la nouvelle DJI Osmo Pocket 4K 1/2,3”, très discrète et assez performante avec ses capacités de suivi de cible, ou de zoom pour l’Osmo+ de génération antérieure.
Toutes les grandes marques, Sony, Panasonic, Canon, JVC, etc., offrent une grande diversité de caméras de poing légères et de grande autonomie énergétique, que je vous invite à comparer dans le Guide du tournage 2019 Mediakwest offert avec tout abonnement au magazine.
Reportage en milieu naturel et rural
Dans ce type de documentaire, outre le sujet et l’action, le « Beauty Shot » est important, c’est pourquoi un DSLR a pleinement sa place, ainsi que le drone, aux côtés des caméras de poing décrites plus haut. Pour les travellings en campagne, une Osmo avec capteur 1” sera la bienvenue et permettra également de suivre les actions des sujets avec fluidité.
Portrait
Tourner un portrait de personnalité amène à faire de nombreuses interviews, le plus souvent en intérieur, en studio ou en appartement. Même si une caméra de poing peut faire l’affaire, un DSLR (Digital Single Lens Reflex) de type Canon 5D Mark IV sera souvent privilégié pour la qualité de ses optiques à courte profondeur de champ et de ses capteurs, d’une densité supérieure à 20 Mp pour la plupart des modèles.
Le style très cinématographique des images produites a séduit de nombreux documentaristes malgré une ergonomie moins évidente que celle des caméras de poing, notamment en ce qui concerne le zoom, impraticable sans accessoirisation sur un DSLR, et la mise en œuvre moins spontanée pour les réglages des nombreux menus.
La gestion du son est également moins simple et moins performante en termes de connectique (mini-jack non symétrisé) qui limite les longueurs de câbles et oblige souvent à utiliser des systèmes de microphones HF ou des enregistreurs audio externes. Toutefois, pour une interview léchée où prime la qualité de la lumière et des textures de peaux, ce sont des handicaps légers, si l’on n’est pas trop contraint par le temps.
En outre, si vous produisez et diffusez en 4K, une seconde caméra dans une valeur de plan différente, simplifiera le montage, sans avoir à produire d’inévitables plans de coupes. Dans le cas où vous diffusez en HD, alors une seule caméra 4K vous permettra des changements de valeurs de plans au montage avec la possibilité de zoomer jusqu’à quatre fois dans l’image de base. Ce qui implique de choisir une valeur de plan initiale assez large pour pouvoir zoomer sur le visage au montage.
Tourner à l’étranger
Partir loin pour un tournage demande une pré-production bien pensée. Dans la jungle, le désert, la montagne, etc., pas de loueurs sous la main pour pallier les erreurs d’équipements, il faut donc ne rien oublier, tenir compte des conditions météo saisonnières, des normes énergétiques du pays visité et de la législation concernant les tournages, notamment avec un drone, le cas échéant.
• Sera-t-il simple de recharger ses batteries ? Sinon, il faut prévoir des chargeurs solaires performants, des adaptateurs secteur adéquats et un petit groupe électrogène.
• Pourra-t-on facilement tenir les équipements électroniques, dont les caméras, à l’abri des intempéries, de la température et de l’humidité ? Sinon, il faut partir avec des sacs isolants, voire réchauffants, et un sèche cheveux réglable en intensité.
• En cas de panne de la caméra principale, pourra-t-on réparer rapidement ? Sinon, une seconde caméra du même modèle sera indispensable.
Pour le choix de la caméra principale, le budget du film sera déterminant, et si l’on veut de la qualité, il faudra opter pour des caméscopes d’épaule robustes à grand capteur (1” au minimum), équipés d’objectifs interchangeables et d’un zoom puissant. Bref, des caméras qui ont fait leurs preuves dans ce type de situation, capables de supporter des écarts de température importants, une forte humidité et des secousses. Mais pas seulement.
Quand on s’éloigne de la civilisation, on a intérêt à avoir plus d’un tour dans son sac et plus d’une caméra dans sa boîte à outils. Non seulement une caméra d’épaule, mais aussi un petit caméscope de poing ou un DSLR tropicalisé et même une ou deux caméras d’action légères et discrètes avec des systèmes d’accroches simples et rapides à utiliser, comme des bras magiques de différentes tailles, pour filmer facilement à l’intérieur de véhicules étroits. C’est ici qu’une caméra VR 360 ° peut avoir toute son utilité : on la place aisément dans des endroits confinés, habitacle de voiture, avion, ULM, aérostat, tuk tuk, etc. Le placement sera important pour un résultat exploitable dans tous les axes et une bonne liberté de montage.
Enfin, il ne faudra pas oublier un drone, petit, léger (< 2kg), comme le DJI Mavic Pro 2 (900 g), qui embarque une caméra Hasselblad dotée d’un capteur 1” très performant. Les modèles Mavic Pro 1 (800 g) antérieurs feront aussi le travail, mais avec leurs capteurs 1/2,3”, on pourra rencontrer des problèmes de raccords avec les très bonnes images de la caméra principale. C’est donc à la pré-production que cela se décide, après avoir fait les tests nécessaires pour s’assurer d’un raccord image de qualité.
Tournage animalier
Sans doute le type de tournage le plus exigeant aujourd’hui et qui mobilise les plus hautes technologies, dans et autour des caméras principales. La plupart des scènes sont tournées à deux ou trois caméras simultanées, car il est difficile de faire refaire le plan à des animaux sauvages…
Tout ce qui a été décrit précédemment s’applique ici, outre l’accessoirisation complexe nécessaire à l’accroche stabilisée de grosses caméras sur des véhicules rapides qui permettra de « pourchasser » les sujets les plus mobiles sur les terrains les plus inégaux. En plus, la caméra principale, devra être dotée de capacités de ralenti haute définition (tourner à 100p permet de capter des regards furtifs, et s’y attarder au montage), de zoom hors du commun, d’objectifs très lumineux.
Il suffit de voir l’incroyable travail de la BBC dans ce domaine pour s’en convaincre. Ses équipes ont littéralement réinventé les méthodes de production des films animaliers en mettant au point des véhicules automatisés spécifiques capables de suivre un léopard à grande vitesse en cadrage serré avec une stabilité incroyable ! De même en France, il faut saluer le travail très ingénieux et novateur de Jacques Perrin dans ce domaine.
Les caméras numériques 4K, 6K ou 8K, type cinéma, sont un must en termes de qualité d’image, que ce soit en planque sous des tentes de camouflage surchauffées ou en poursuite sur un véhicule. Généralement, les drones employés sont des modèles conséquents, capables d’embarquer du poids. Enfin, des caméras thermiques ou infrarouges, filmant la nuit en haute définition, feront partie de la boîte à outil de base.
Document sportif
Ce type de tournage emprunte également au chapitre « Tournage à l’étranger », avec en plus, l’adjonction de caméras d’action de type GoPro ou VR360 ° placées sur les compétiteurs si cela est accepté.
La nécessité de filmer de loin exige de mettre en place de grosses caméras de type cinéma, dotées de téléobjectifs à très longue focale, montées sur des trépieds lourds, donc stables, et acheminées sur des perchoirs souvent difficiles à atteindre, et isolés de tout, notamment en montagne. En plus des systèmes de communication performants entre cadreurs et réalisateurs, des systèmes de transmission HF vidéo des images viendront compléter les mises en place des caméras. Les grosses caméras sont exigeantes en énergie et impliqueront une gestion rigoureuse des batteries et des capacités de recharges en pleine nature. Là encore, il ne faut rien oublier au camp de base sous peine d’échec.
Filmer des sportifs dans l’action implique aussi des interviews avant ou après l’action, qui peuvent se faire à la volée sur le terrain ou tranquillement en intérieur, avec un DSLR ou un caméscope de poing.
Pour la partie aérienne, des drones de type DJI Inspire dotés de capteur 1” et de fonctions performantes de suivi de cible, seront un minimum vital. Et si le budget est à la hauteur, alors l’hélicoptère doté d’un système de stabilisation haut de gamme sera appelé à intervenir.
Professionnalisme et bonne humeur
Tourner un documentaire de qualité n’est pas une mince affaire et fait appel à de nombreux outils et accessoires, qu’il faut choisir avec soin. Tout se prévoit en pré-production, car une fois sur la route, il reste peu de place pour l’erreur, et ce qui fait la différence, outre la qualité technique des caméras, c’est le professionnalisme et la bonne humeur de l’équipe, surtout quand on dépend des intempéries.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.28/31. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.