La coproduction, enjeu majeur de Cartoon Movie 2018….

Pour sa 20e édition, Cartoon Movie, qui se déroulait en Mars dernier à Bordeaux, a décliné dans (presque) toutes les langues européennes, la coproduction de longs-métrages d’animation. Avec près de 20 % d’augmentation de sa fréquentation en deux ans, le forum européen de coproduction de films d’animation démontre le dynmamise de la filière tout en s'imposant comme événement de premier plan...
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Cette année, Cartoon Movie a regroupé 900 professionnels venus de toute l’Europe (et de plus loin encore) pour assister à la présentation d’un panel diversifié (en augmentation lui aussi) de projets de longs-métrages. La seconde édition bordelaise aura aussi confirmé la vitalité de la Région Nouvelle-Aquitaine (40 studios, 1 200 professionnels) qui a présenté quelques-uns des projets les plus remarqués tels que La Fameuse Invasion des ours en Sicile (Prima Linea et Indigo Film), La Guerre des licornes (Autour de Minuit et Schmuby Productions), Croc-Blanc (SuperProd) ou L’Extraordinaire Voyage de Marona  (Sacrebleu Productions), lesquels sont en partie (ou entièrement) fabriqués dans les studios d’Angoulême ou de Bordeaux. « La présentation de La Fameuse Invasion des ours en Sicile a attiré à elle seule près de 400 personnes dans la salle, note Marc Vandeweyer, directeur général de Cartoon. C’est du jamais vu au Cartoon Movie et même au Cartoon Forum ! » Parmi les 60 projets (dont un tiers est soutenu par la France), les films familiaux se taillent une part de choix au détriment des projets ado-adultes qui peinent toujours à boucler leurs financements et convaincre les diffuseurs. Et ce malgré l’accueil chaleureux du Cartoon Movie et de son public acquis d’avance. À noter enfin l’augmentation du nombre des coproductions européennes, mais aussi chinoises comme en témoigne Dragon Keeper, une coproduction ambitieuse entre l’Espagne et la Chine. Un sésame pour Marc Vandeweyer, qui a tenu à rappeler que les audiences des coproductions internationales, selon l’Observatoire européen de l’Audiovisuel, se montrent trois fois plus élevées que celles de films nationaux. Ce n’est donc pas une surprise si le forum, qui a aidé depuis sa création 300 films d’animation à trouver leur financement, accueillait, pour la première fois, le Prix Eurimages au Développement de la Coproduction.

 

Une offre « famille » élargie

Constituant la plus grosse partie des pitchs (34 projets sur 60 sélectionnés), les films familiaux se caractérisent par des positionnements plus affirmés. Correspondant parfaitement à cette audience, Terra Willy, produit par TAT, le plus célèbre des studios d’animation toulousain, conjugue habilement le mythe de Robinson Crusoé avec l’aventure spatiale, l’école de la débrouille avec l’apprentissage de la différence. S’appuyant sur des décors fouillés, divers et contrastés et mariant les univers (SF et jungle), la comédie familiale suit l’aventure d’un petit garçon séparé de ses parents lors d’un voyage spatial. Au lieu de se retrouver sur Terre, sa capsule de secours débarque sur une planète inconnue et sauvage. Réalisée par Eric Tosti, la production a soin de réduire le nombre des personnages (afin d’entrer dans le budget de 6 millions d’euros) pour mieux varier les ambiances et sophistiquer le design des caractères. Sa fabrication, qui s’appuie sur le pipe line 3D mis en place pour le long métrage Les As de la jungle, semble tout aussi maîtrisée. « Le film sera prêt dans un an et sortira lors du second semestre 2019 », assure Eric Tosti. Distribué en France et à l’international par Bac Films et soutenu par la région Occitanie et le Procirep, le film, dont le budget était presque bouclé lors de sa présentation (il l’est depuis), devrait suivre les pas des As de la jungle  (700 000 entrées en France), dont un As de la jungle 2  est annoncé en développement.
 Prima Linéa Productions, quant à elle, part à la conquête du grand public avec un conte épique. Ambitieuse coproduction franco-italienne (980 décors, nombreux caractères animés), La Fameuse Invasion des ours en Sicile  réalisée par Lorenzo Mattotti a fait également l’unanimité auprès du public de Cartoon Movie. Le long-métrage d’animation, qui sortira en 2019, est de fait servi par un scénario (Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain) et une direction artistique (Lorenzo Mattotti) à la hauteur du roman éponyme de Dino Buzzati dont il s’inspire. Réunir les 12 millions d’euros de son budget a toutefois demandé à Prima Linéa près de trois ans. Participent au financement de cette grande fresque 2D, outre France 3 Cinéma et la Rai Cinéma, les régions Nouvelle-Aquitaine et l’Ile-de- France, et le CNC qui est intervenu tout au long de la production. Doté d’un pipe line identique à celui de La Tortue rouge (basé sur TVPaint) dont Prima Linéa avait assuré la production exécutive, la coproduction franco-italienne est entièrement fabriquée chez Prima Linéa (Paris) et son studio 3.0 Studio basé à Angoulême.

 

Dotée d’une facture tout aussi somptueuse, l’aventure épique Dragon Keeper, par Ignacio Ferreras et Jian-Ping Li, adaptée elle aussi d’une saga littéraire à succès, constitue l’une des plus importantes coproductions hispano-chinoises réunissant Dragoia Media (avec Movistar Plus et Atresmedia Cine) et China Film Animation. Co-écrit et fabriqué en 3D à parts égales entre l’Espagne (Illion Animation Studios, SPA Studios) et la Chine (China Film Animation, Base FX), le projet (au budget non communiqué) plante le décor en Chine ancienne et narre l’amitié d’une fillette et d’un dragon impérial, dernier de sa lignée. Forts de cette implication chinoise, les producteurs, assurés d’une distribution internationale, envisagent déjà une trilogie animée.

 

Autre quête initiatique sur fond de grands espaces, Lulu & Nelson  porté par les Armateurs (Ernest et Célestine, Kirikou) et réalisé par Paul Leluc (Les Grandes Grandes Vacances) conduit en Afrique du Sud (au temps de l’apartheid) sur les traces des lions. En conjuguant vie sauvage et amitié, le projet (entre 8 et 10 millions d’euros), par excellence un film familial, sera réalisé en 3D avec un traitement pictural sur des décors 2D chez Blue Spirit afin de retrouver la délicatesse des planches de l’illustratrice Aurélie Neyret.

 

Désireux d’élargir leur audience, les « nouveaux » films familiaux ne s’interdisent aujourd’hui ni l’autobiographie nostalgique, ni les sujets graves (comme le décès des proches). Très attendus du public, les réalisateurs Jean-François Laguionie (Louise en hiver) et Enzo d’Alò (Pinocchio) reviennent ainsi avec des projets prometteurs en développement, Slocum et A Greyhound of a girl. Toujours produit par JPL Films et écrit par la scénariste Anick Le Ray, Slocum, de Jean-François Laguionie raconte une enfance passée auprès d’un père se rêvant grand navigateur. De même que pour Louise en hiver (qui s’adressait à un public plus âgé), le réalisateur revendique la lenteur et le côté artisanal de la production « afin d’atteindre un haut niveau de qualité ». Le film devrait toutefois aller encore plus loin dans son traité aquarellé « à fleur de papier ». Le projet était à la recherche d’un diffuseur et d’un distributeur. Le film d’Enzo d’Alò est, quant à lui, issu de l’adaptation d’un livre irlandais. Coproduit par le luxembourgeois Paul Thiltges Distributions, le britannique The Illuminated Films et l’italien Aliante, il réunit le scénariste David Ingham et l’animateur Peter de Sève (Ice Age, Mulan, le Petit Prince). « C’est une histoire poétique qui sublime la mort de la grand-mère, laquelle revient toujours aider sa petite-fille dans ses efforts pour devenir un grand chef », résume le réalisateur. Estimé à 8 millions d’euros, le film à la 2D très texturée, bénéficie d’un apport important du Film Fund Luxembourgeois et aurait déjà sécurisé, lors de sa présentation, son budget à 80 %.

 

Il arrive enfin que cette offre familiale élargie emprunte à la cible ado-adulte certaines de ses problématiques. Ainsi Voyage à Teulada, une coproduction 2D entre la France (Mareterraniu), l’Espagne (12 Pinguinos) et l’Italie (Mommotty), traite de l’expulsion et de l’exil en narrant les souvenirs d’une vieille femme contrainte dans le passé de quitter son pays (la Sardaigne) envahi par une base de l’Otan. Connu pour ses courts-métrages d’auteur sans concession, Lardux Films aborde, pour sa part, le long-métrage d’animation, avec Les Voisins de mes voisins sont mes voisins d’Anne Laure Daffis et Léo Marchand, en proposant une nouvelle façon de le produire. Reprenant des animations extraites de ses courts-métrages (La Saint Festin, La Vie sans truc), la production au budget inférieur à 2 millions d’euros entend ainsi appliquer le modèle de production du court-métrage (pas de bible graphique, petite équipe d’animateurs, délais raccourcis…). En gestation à Lardux Films depuis une dizaine d’années, le projet entrecroise plusieurs histoires d’habitants d’un même immeuble (un ogre gourmand qui a perdu ses dents, un magicien étourdi…) et mêle avec la même légèreté poétique l’animation traditionnelle, le stop motion et la prise de vues réelles. Ce film d’auteur, dans lequel « les enfants ont toute leur place », bénéficie de l’avance sur recette du CNC, ce qui est, d’après le producteur Christian Pfohl, de bonne augure pour la suite de la production.

 

Ado-adulte ?
 Un appel aux diffuseurs

Légèrement inférieure à celle de l’édition 2017, l’offre ado-adulte (moins de 25 %), émanant surtout de l’hexagone, reste toujours aussi exigeante et engagée. Menés par des producteurs déterminés (Autour de Minuit, Je Suis Bien Content, Beast Animation, Walking the Dog…) et de nouveaux venus dans l’animation qui le sont pareillement (Special Touch Studios, BrotherFilms, My Fantasy & 2P2L, Paprika Films…), les pitchs traitent de sujets d’actualité (les enfants-soldats en Afrique, le transgenre, le racisme, etc.), s’inspirent d’histoires réelles ou de grandes œuvres de la littérature mondiale comme Le Loup des mers  de Jack London, ou bien sont des adaptations cinéma de courts-métrages (ou de séries web) devenus cultes. Presque toutes les présentations ont en commun de se conclure sur un appel pressant en direction des diffuseurs afin qu’ils créent des cases. Porté par le luxembourgeois Paul Thiltges Distribution et Sébastien Onomo (Special Touch Studios), producteur aux Films d’Ici de Funan et La Sirène, Allah n’est pas obligé dévoile, sous la forme d’un road movie, l’embrigadement forcé d’un jeune Guinéen dans des milices rebelles, qui se retrouve plongé au cœur d’une guerre civile au Libéria. Adapté du roman d’Ahmadou Karouma par Zaven Najjar, le projet au rendu 2D en cours de développement n’avait, au moment de sa présentation, pas de diffuseur et était à la recherche de coproducteurs. Pour sa distributrice luxembourgeoise, cette histoire estimée à 4,5 millions d’euros gagne à être racontée sous une forme animée.

Produit par BrotherFilms (France), Nature humaine  rappelle pour sa part le colonialisme au début du XXe siècle qui a conduit des sociétés savantes à emprisonner des pygmées dans des enclos à singes, comme ici au zoo de New York. Inspiré d’un fait réel, le film en concept (4 millions d’euros) constitue le premier projet en animation de BrotherFilms qui vient du documentaire (Chante ton bac d’abord). Celui-ci se démarque par son parti pris graphique hybride qui réserve pour les personnages un rendu 2D, et pour les décors, revient au photochrome (image colorisée), une « reproduction aux frontières du réel ». « Nous tenons à rester dèles au traité BD de l’illustrateur Mezzo qui signe la direction artistique », note le réalisateur Sébastien Dupouey, à l’origine du projet, qui cherchait un co-réalisateur, un producteur exécutif et un distributeur.

 

Réalisé par Anaïs Caura et produit par MyFantasy et 2P2L, Eugène revient sur le destin tragique, inspiré également d’une histoire vraie, d’un transexuel injustement accusé du meurtre de sa femme. Faisant suite à la web série de 10 fois 5 minutes The Man Woman Case (primée à Annecy 2017), la production, que devrait rejoindre Vincent Paronnaud (Persepolis, Poulet aux prunes), adopte un univers graphique noir et blanc qui s’enrichit progressivement en couleurs. Il mêle rotoscopie (redessinée) pour les scènes réelles et animation 2D pour les séquences oniriques. « Son budget de 2 millions d’euros est cohérent avec l’économie du film pour adultes », remarque son producteur à la recherche du trio co-producteur/diffuseur/distributeur. Présentée en concept en 2017, La Guerre des licornes d’Alberto Vasquez (Decorado, Psiconautas), d’après le court-métrage Sangre de Unicornio, revient au cartoon movie, toujours en tête de liste des films ado-adultes. Les aventures débridées des deux frères oursons, rescapés de la guerre sans pitié que se livrent depuis la nuit des temps les oursons et les licornes, a convaincu le Belge Panique ! de venir rejoindre la production portée par les studios français Autour de Minuit et Schmuby Productions et les Espagnols Uniko (Bilbao) et Abano Productions (La Corogne). « Psiconautas, dont nous avons été producteurs délégués et qui a remporté le Goya du meilleur film d’animation en 2017, rappelle Nicolas Schmerkin (Autour de Minuit), est la preuve vivante que l’on peut faire du cinéma d’animation pour adultes. Pour La Guerre des licornes nous récidivons avec la même équipe. » Le film, en cours de développement (3 millions d’euros), a peaufiné son écriture graphique qui recourt à de l’animation image par image : « La couleur est narrative et sa symbolique évolue au fil de l’histoire en devenant plus sombre et rouge », précise Alberto Vasquez. Les producteurs ne cachent pas leur objectif : être prêts pour Cannes et Annecy 2020. Pour Nicolas Schmerkin, « le moment est venu de créer une case pour ce genre de films ».

 

Présenté en sneak preview (un extrait de 15 minutes en avant-première), Another Day of Life, réalisé par Raoúl de la Fuente et Damian Nenow a, quant à lui, fortement marqué le public. Accompagné depuis ses débuts par Cartoon Movie, le long-métrage d’animation raconte l’engagement du reporter polonais Ryszard Kapuscinski parti couvrir en 1975 la guerre civile en Angola. En questionnant l’objectivité du reporter de guerre, le film atteint une portée universelle. Récompensée par le Prix des Producteurs européens de l’année au Cartoon Movie, son équipe de production européenne réunit la Pologne (Platige Films), l’Espagne (Kanaki Films), la Belgique (Walking the Dog), l’Allemagne (Wüste Film & Animationfabrik) et la Hongrie (Puppetworks, Budapest). Une production éclatée, difficile à mener, pour réaliser ce film mi-fiction mi-documentaire qui repose sur des prises de vues réelles, des images d’archives et surtout des captations de mouvements (filmées à l’épaule) puis retraitées pour être ralenties. Celles-ci ont été réalisées, pour l’essentiel, chez Platige Films (Varsovie), Walking the Dog (Bruxelles) se chargeant du « look and feel» 2D du film et du rendu final. « Si Cannes ne présente pas ce film d’animation dans sa sélection officielle, c’est à désespérer ! » souffle Marc Vandeweyer. Another Day of Life a fait l’objet d’une séance spéciale de la Sélection officielle au Festival de Cannes.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #27, p. 100-104. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité. 


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