Au milieu des rayonnages de téléviseurs 4K UHD des grands magasins, les programmes les plus en vue sont généralement les retransmissions sportives et les captations d’événements culturels. Produits d’appel des chaînes, les retransmissions en direct de grands évènements sont donc assez logiquement le type de captation live qui focalise l’attention en premier lieu quand on parle de 4K UHD. Revers de la médaille, la captation live est aussi la typologie de programmes TV qui concentre le plus de difficultés liées à la 4K UHD.
Chez AMP Visual TV par exemple, l’Ultra Haute Défintion est déjà une longue histoire, puisque ce prestataire français a été l’un des tout premiers au monde à mettre en service, dès juin 2016, un car de production mobile UHD particulièrement complet. Aujourd’hui encore, le car Millenium Signature 12, avec ses 85 m2 de surface utile, ses deux mélangeurs Sony XVS 8000 et ses 25 caméras Sony HDC 4300 est le plus gros car d’Europe capable de délivrer des images 4K UHD en direct. « Cependant, souligne Stéphane Dery, directeur du développement et de la stratégie commerciale d’AMP Visual TV, s’il a été conçu dès le départ pour franchir l’étape de la captation en haute résolution des grands événements télévisuels, le MS12 n’est utilisé que 25 à 30 % du temps en configuration UHD. Ce qui est légèrement en-dessous des prévisions que nous avions faites. »
La captation live UHD plus en pointe sur le spectacle vivant
« Plus surprenant encore, ajoute Stéphane Dery, est de constater que là où les événements sportifs sont assez peu demandeurs de 4K UHD, hormis pour les compétitions internationales comme les JO ou la Coupe du monde de football, le spectacle vivant lui demande régulièrement des captations en 4K. La proportion est même inverse, puisque nous captons 70 % de nos spectacles vivants en 4K UHD. La valeur patrimoniale que représente un spectacle est généralement le moteur de la décision. »
AMP Visual TV a ainsi depuis un an fourni des moyens techniques et humains de captation en Ultra Haute Définition à la société de production Bel Air Media pour la captation de l’opéra Carmen à Aix-en-Provence, à François Roussillon pour filmer le ballet Le Corsaire à Vienne (premier test de diffusion UHD sur Arte via les satellites d’Astra et Eutelsat) ou encore à Joe Hisaishi pour le compte de la NHK Cosmomedia Europe, afin de capter un concert philharmonique au Palais des Congrès à Paris. L’art lyrique n’est pas le seul spectacle à vouloir de la 4K UHD ; certains artistes s’étant produits dans de grandes salles de spectacle ont récemment fait de même, comme pour Gorillaz, produit par Walter Films au Zénith de Paris ou Dany Boon via Les Productions du Chicon au Zénith de Lille.
C’est d’ailleurs en partie pour répondre à cette demande de producteurs spécialisés et de diffuseurs comme Arte ou Pathé, autant que pour avoir la possibilité de déplacer facilement une régie de production mobile 4K UHD à proximité des plateaux TV, que AMP Visual TV a mis en service en janvier 2018 un deuxième car de plus petite taille, également compatible 4K UHD. Le Millenium Signature 6 a été conçu pour offrir un confort et une évolutivité au moins équivalents au Millenium S12, mais avec une surface légèrement plus petite, de 70 m2.
Des coûts de production de 35 % supérieurs
« La captation Live en 4K UHD entraîne un surcoût global de près de 35 %, estime Stéphane Dery. Une partie de ces charges supplémentaires est bien évidemment liée aux équipements plus pointus commes les caméras, les optiques, les mélangeurs, les serveurs de ralentis et les moniteurs. Chaque flux en 4K UHD nécessite également quatre fois plus de bande passante à l’intérieur d’un car de production. Enfin, l’exigence plus poussée en matière de mise au point et de monitoring nécessite de travailler de manière plus pointue avec les ingénieurs vision et cadreurs. »
Le spectacle vivant étant jusqu’ici le moteur de la 4K UHD, les producteurs avec lesquels travaille AMP Visual TV demandent également régulièrement du HDR (High Dynamic Range). Ce format qui améliore la dynamique du signal vidéo est toutefois encore peu utilisé lors de directs, eu égard au workflow gourmand en bande passante et processing qu’il réclame. « Dans la majorité des cas, explique Stéphane Dery, nous récupérons les rushes en 4K-HDR à l’issue d’une captation 4K. Et ils sont ensuite montés et étalonnés chez un prestataire de postproduction. »
La gestion des rushes en 4K UHD est une préoccupation qui revient souvent dans la bouche des professionnels de l’audiovisuel qui ont déjà manipulé les signaux 4K UHD au cœur de la production de programmes de flux. Comme le résume Matthieu Parmentier Project Manager chez France TV : « Pour l’heure, suite à nos différentes expérimentations sur Roland Garros entre autres, la seule vérité concerne la taille des fichiers, en gros multipliée par 2,5 par rapport à la HD. Les temps de recopie et de transcodage en pâtissent… Nos workflows jusqu’ici ont consisté à générer la meilleure qualité 4K UHD dans de bonnes conditions et à décliner ensuite les autres versions plus dégradées. Nous cherchons notamment à optimiser les images en 4K et HDR, mais elles réclament encore aujourd’hui au moins un jour d’étalonnage supplémentaire pour offrir un rendu correct. » France TV compte aussi sur la mise à niveau en 4K UHD de ses deux cars de production haut de gamme pour y voir plus clair en matière d’optimisation de la chaîne de production 4K UHD… avec ou sans HDR. Pour réaliser ses tests, l’entreprise publique s’appuie notamment sur l’expertise de sa filiale Wahoo Production, qui réalise régulièrement depuis quelques mois des captations simultanées en HD SDR Rec.709 et en UHD HDR suivant le standard BT.2020. Hors d’une finalité du type diffusion télévisuelle, l’UHD fait aussi son chemin parmi les grandes entreprises, comme Disney qui n’a pas hésité au printemps 2017, à l’occasion du 25e anniversaire du Parc Disneyland Paris, à utiliser la 4K-UHD sur deux captations, celle du spectacle Mickey et le Magicien et celle de sa parade d’anniversaire. À noter que sur ces deux captations qui n’étaient pas en direct, Disney a utilisé des caméras 4K à grands capteurs.
Le traitement 4K-UHD du live, un goulet d’étranglement
Pour Yvan Le Verge, directeur commercial de Vidéo Plus France, qui vend et loue régulièrement des équipements broadcast en 4K-UHD dédiés au live, les surcoûts engendrés par ce nouveau format sont de l’ordre de 30 %. « Ce ne sont pas tant les équipements de captation eux-mêmes qui font le gros du budget supplémentaire que les capacités de traitement à mettre en vis-à-vis de la 4K UHD. Au sein des régies live, il est nécessaire d’avoir des mélangeurs et des outils de traitement du signal comprenant quatre fois plus d’entrées pour un flux 4K donné. Un mélangeur, qui traite par exemple en HD 32 canaux en entrée, ne gère que huit entrées 4K UHD. Idem pour les serveurs de ralenti ou le monitoring souvent deux fois et demie plus coûteux que son équivalent en HD. »
Pour Yvan Le Verge, le principal goulet d’étranglement est ailleurs cependant. « Les seuls obstacles majeurs aujourd’hui à la généralisation de l’UHD sont les deux composantes du standard IUT-R BT2020 : le HDR et l’espace colorimétrique élargi (Wide Color Gamut). Ils représentent deux goulets d’étranglement au sein des workflows de production live qui freinent pour le moment la demande. Faire des ralentis en HDR impose par exemple d’utiliser des serveurs codant les images au minimum sur 10 bits, et là on entre dans une gamme de prix plus élevée, que ce soit chez EVS ou Sony. »
Des workflows live en UHD pour toutes les bourses
En contrepoint de ces workflows 4K haut de gamme dédiés au live, le directeur commercial de Vidéo Plus insiste aussi sur le fait qu’aujourd’hui de nombreux workflows 4K différents sont possibles à des budgets bien moindres. « Si l’on veut réaliser une captation live à deux ou trois caméras, il est possible de bâtir des workflows plus simples basés sur des équipements de prise de vue du type caméscopes ou boîtiers DSLR comme le Sony Alpha 7s, le Canon Eos 5D Mark IV ou Eos C300 Mark II. Il est alors le plus souvent nécessaire de convertir les signaux 4K en sortie de boîtier du HDMI vers le SDI. Mais, cela s’effectue très bien à l’aide de boîtiers dédiés fournis par Aja ou Blackmagic. » Yvan Berge se veut optimiste concernant le déploiement de la 4K dans la production TV broadcast, car, outre le prix des équipements qui peut être varié, « la bascule des téléviseurs 4K se fait à un bon rythme, tout aussi rapide que la TVHD en son temps. Les téléviseurs 4K sont même plus répandus et les prix plus attractifs qu’à l’époque de la TVHD où cette qualité est restée longtemps un luxe à cause des technologies d’écrans plats, encore émergentes. »
Chez un autre revendeur et loueur de matériels broadcast Visual Impact, le constat est assez semblable. « Mettre en place un workflow 4K de qualité, précise Patrick Bourdareau, directeur technique et vente export de Visual Impact, nécessite pour qui veut acheter ses équipements de tournage un surcoût de l’ordre de 15 %. Hors prix des caméras, les surcoûts sont principalement liés aux optiques et aux moniteurs plus qualitatifs et aux outils de conversion-transfert ou encore de stockage des données, même si au niveau des stations de travail les performances des PC évoluent et se mettent à niveau à prix quasi-constant. »
Ce spécialiste des équipements de tournage constate également que le gros des ventes de caméras 4K est aujourd’hui constitué des DSLR et de ses variantes, parmi lesquels la Canon Eos C300 Mark IV et la Sony FS7. Toutefois, les caméras Alexa mini de ARRI (3,4K), la URSA miniPro de Blackmagic. « On voit poindre également un intérêt marqué pour la Varicam LT, précise Patrick Bourdareau. D’un bon rapport qualité-prix parmi les caméras disposant d’un capteur Super 35, elle est de plus en plus demandée en vue de la captation de défilés de mode, de concerts ou de one man shows. » Linda Ronnertz Bret, la responsable du secteur location chez Visual Impact mesure quant à elle une réelle effervescence autour de la 4K. « Depuis six à huit mois, on constate un essor de la demande pour la 4K UHD, mais les producteurs intéressés ne sont pas prêts à en assumer le surcoût. En revanche, s’ils choisissent des équipements 4K au prix de la HD, au moins ils ne négocient pas les prix à la baisse. C’est déjà un point positif dans un contexte actuel particulièrement tendu sur les prix de la location d’équipements de tournage. »
Finalement, à ce stade de déploiement et de diversification des équipements 4K, on en viendrait presque à trouver des parallèles avec les problématiques du basculement de la définition standard vers la haute définition, il y a une dizaine d’années, après quelques années d’essor des téléviseurs haute définition. « À une nuance près, précise Patrick Bourdareau, aujourd’hui, les téléviseurs 4K sont plus démocratisés que les TVHD à l’époque. Le principal souci est pour le moment la faible offre de programmes en 4K. On compte sur un essor de cette offre d’ici la fin 2018. »
En fiction, concilier dynamique d’images et résolution 4K
L’autre domaine dans lequel la 4K est le fer de lance de certains éditeurs de télévision à la demande, comme Netflix, c’est la fiction. Dans ce registre, le géant américain de la S-VOD est même draconien, puisqu’il impose une liste d’une vingtaine de caméras 4K pour le tournage de ces séries.
Pour autant, derrière ces contraintes techniques imposées par de plus en plus d’éditeurs TV qui veulent se positionner sur le plan marketing sur ce nouveau format d’images, nombre de professionnels de la fiction restent dubitatifs sur la course aux pixels en tant qu’amélioration notable de l’expérience visuelle du téléspectateur. Un peu comme le monde de la photographie artistique se montra en son temps circonspect vis-à-vis de la course aux pixels poussée par les constructeurs d’appareils photo, les professionnels de la fiction préfèrent parler de plus grande dynamique des images et de gamme de couleurs plus étendue.
Natasza Chroscicki, directrice d’Arri France, une marque de caméra qui a longtemps résisté à l’appel de la 4K avec son Alexa proposant une résolution de 3,4K jusqu’à ce que la Alexa LF (Large Format) voie le jour tout récemment, tient toujours ce discours, en s’appuyant entre autres sur la taille spécifique des photosites de ces capteurs. « Le 4K n’est pas un standard de qualité en soi, dès lors qu’il ne tient pas compte de la dynamique du signal à la prise de vue et tout au long de la chaîne de post-production. Les gens sont toujours étonnés quand je dis que le film Blade Runner 2049, réalisé par Denis Villeneuve, a été tourné avec une Alexa disposant d’un capteur de 3,4K et postproduit dans cette même résolution. Et ce, alors même que ce film a fait l’objet d’une exploitation en 4K pour le Blu-ray Disc. La plupart des professionnels qui utilisent nos caméras s’attachent surtout à la mise en place d’un workflow de qualité et maîtrisé sur la base du format Raw ou de profils ProRes haut de gamme. Cela donne des rendus d’images très qualitatifs, que ce soit en HD ou 4K. Aujourd’hui, Netflix est le seul diffuseur à imposer explicitement dans son cahier des charges de tourner en 4K. » Suivant, malgré tout, le mouvement d’ensemble de la télévision et du cinéma, Arri a franchi le pas du 4K avec une caméra Alexa LF qui se positionne à un prix de l’ordre de 80 000 euros, là où ses alter ego, les caméras Sony Venice et Red Weapon, sont légèrement moins coûteuses et se situent un cran au-dessus sur le plan de la résolution avec du 6K. La course aux pixels n’est donc pas près de s’arrêter…
L’embarras du choix
Quelle que soit la filière, le phénomène le plus marquant avec l’essor actuel de la 4K, est l’embarras du choix pour les réalisateurs et les directeurs photo en matière d’équipements. Un directeur photo expérimenté comme José Gérel, qui a pris l’habitude depuis des années de tester des matériels à la pointe de la technologie avoue d’ailleurs : « autant apprécier tourner avec des caméras de fiction 4K haut de gamme en équipe lourde que récemment pour un documentaire de découverte de la collection Connaissance du monde (projetée en salles) qu’il a tourné en Malaisie en 4K à l’aide d’une caméra XD-CAM Sony PXW- FS7 qui coûte moins de 10 000 euros… et avec un drone Phantom 4. Parti en équipe réduite avec des zooms photo, le rendu final est assez bluffant de qualité. La prise de vue d’un tel documentaire s’est effectuée assez simplement en S-log et n’offrait pas de complexité en postproduction. En revanche, sur des fictions TV je dois batailler ferme pour imposer le 4K, à cause parfois d’une incompréhension de ce que ce format implique en postproduction en termes de charge de travail dans la gestion, le stockage des rushes et l’étalonnage. »
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #27, p. 20-23.Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.