Mediakwest : Quelles sont les conditions optimales pour recevoir des contenus en ultra haute définition en direct ?
Philippe Sage : Une chaîne linéaire en UHD requiert entre 20 et 30 Mbit/s selon le type de contenu (sport en direct, cinéma ou documentaire). Ceci est possible grâce au système de codage vidéo HEVC (High Efficiency Video Coding) qui permet de compresser efficacement et proprement une image 4K. C’est une suite logique. Des débuts de la TV numérique en SD, nous sommes arrivés à la HD en passant du codage Mpeg-2 au Mpeg-4. On passe maintenant de la HD à l’UHD avec le HEVC. Il n’existe que deux moyens de transport de contenus permettant de fournir un débit entre 20 et 30 Mbit/s : la fibre et le satellite. Les autres modes de transport ne le permettent pas. Rares sont les abonnés ADSL bénéficiant d’un débit supérieur à 10 Mbit/s et la TNT est saturée. Il est bien prévu que celle-ci passe en 4K mais ce sera en 2024. Ce n’est pas demain !
MK : Quel est le moyen de fournir de la vraie UHD à la majorité des consommateurs ?
P. S. : Seuls 2,7 millions de foyers sont abonnés à la fibre en France, souvent dans les grandes villes. Au contraire, le satellite couvre la totalité du territoire, il suffit d’installer une parabole pour le recevoir. Le support physique (Blu-ray 4K) est également disponible. Le consommateur peut en outre visionner des contenus en VOD 4K après téléchargement. Malheureusement, on distribue des contenus UHD sur des réseaux qui n’ont parfois pas la dimension nécessaire. Le consommateur croit recevoir de l’UHD, or, avec les débits adaptatifs, même si le fournisseur envoie de l’UHD, comme le tuyau (débit) n’est pas suffisant, l’image arrive dégradée.
MK : Quelle est la part du marché du satellite en France ?
P. S. : Celle-ci est mesurée sous différentes formes. Par les communiqués émanant des diffuseurs passant par le satellite : le groupe Canal+ historiquement et Orange qui propose son offre TV via Astra à ses abonnés qui ne peuvent recevoir la TV via la ligne ADSL, faute de débit suffisant. À ce nombre, s’ajoutent les utilisateurs qui ne peuvent recevoir la TNT par l’antenne râteau et qui sont servis via nos satellites. En France, au global, près de six millions de foyers regardent la télévision via Astra (TNTSAT, Canal+ et Orange). Tous ces foyers peuvent recevoir de l’UHD par satellite dès à présent s’ils disposent d’un téléviseur ad-hoc.
MK : Quels sont les pays où le satellite est le plus implanté ?
P. S. : En France, il est utilisé par près d’un quart de la population. Les satellites Astra transportent le bouquet Sky en Angleterre. Cet opérateur totalise plus de 10 millions de foyers abonnés, dont trois millions déjà équipés d’un décodeur UHD. Nous sommes très présents en Allemagne où un peu plus de 50 % des foyers, soit 18 millions, reçoivent leur signal TV par le satellite Astra. Tous les pays d’Europe ont une offre de TV par satellite. Sur l’Afrique, la TNT se met en place, mais le satellite fournit énormément de bouquets de chaînes sur le continent. C’est notamment via le satellite SES 4 que le groupe Canal+ opère avec pas loin de q millions d’abonnés.
MK : Outre Arte et Canal+ qui réalisent régulièrement des expérimentations, d’autres chaînes s’intéressent-elles au potentiel du direct en UHD via satellite ?
P. S. : Le groupe NRJ réalise actuellement une expérimentation. Nous mettons régulièrement en place ce type de tests avec tous les grands diffuseurs. En France, Canal+ est le groupe moteur puisqu’il distribue un bouquet de chaînes via satellite. France Télévisions a réalisé des tests de diffusion de contenus en 4K. Toutes ces expérimentations nous permettent d’apprendre beaucoup.
MK : Quels sont vos prochains chantiers ?
P. S. : Mieux faire connaître l’UHD aux consommateurs. C’est important qu’ils voient la différence entre une image HD et une UHD. C’est un chantier que nous menons avec nos clients-partenaires. Le but est que, d’un coup d’œil sur l’écran TV, ils puissent identifier la qualité UHD d’un contenu de TV linéaire. Il est nécessaire d’harmoniser les discours, les normes… pour communiquer plus simplement avec le grand public. Ce n’est pas toujours simple.
MK : Si les nouveaux téléviseurs proposés sont adaptés à l’UHD, et que le grand public n’a pas le débit pour profiter de la qualité de ce format, ne risque-t-on pas un désamour de l’UHD ?
P. S. : Quand l’UHD a été lancée, tout le monde était d’accord sur le fait que la résolution de l’image était supérieure de quatre fois à celle de la HD. En revanche, les autres bénéfices tels que HDR, HFR et colorimétrie étaient encore en discussion. Désormais, une normalisation est atteinte. Il reste un problème de communication : quand j’entends le représentant de la Fnac dire qu’à Paris, il n’y a pas de satellite… Je l’invite à monter sur les toits de Paris ! Il y a énormément de paraboles. Et puis, Paris ce n’est pas la France. Si les vendeurs de téléviseurs n’associent pas leurs discours à une offre donnant accès aux contenus UHD, et ne présentent pas les chaînes en clair ou cryptées que nous proposons via Astra, le consommateur risque en effet d’être déçu. Il n’aura pas, sur son nouvel écran, le même rendu que celui qui l’a séduit dans le magasin. Et pourtant c’est possible ! Second point, on trouve malheureusement des téléviseurs low cost qui ne génèreront jamais une belle image 4K.
MK : Pensez-vous que la 5G va changer quelque chose ?
P. S. : Il faudrait pour cela savoir vers où va aller la 5G en Europe. Va-t-on l’utiliser comme aux USA en mode broadcast pour concurrencer les câblo-opérateurs ou la consacrer à d’autres secteurs (véhicules autonomes, médecine, industrie, etc.) ? Pour l’instant, rien n’est clair. Elle pourrait théoriquement permettre de diffuser de l’UHD en mode broadcast.
Lire également notre article « L’UHD, une vague encore bien timide »
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.99. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.