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Les Machineurs étalonnent la série “MTB Heroes” en HDR (première partie)

Les Machineurs, filiale de Loca Images, sont des pionniers du HDR. La société Fast Fokus leur a confié la postproduction d’une série TV produite en Ultra HD, à 50 images par secondes et en HDR ! Geoffrey Nesego Fernandez, responsable du laboratoire numérique des Machineurs et Thibaut Pétillon, étalonneur, ont partagé avec nous la passion qu’ils ont investie dans ce projet. Geoffrey nous décrit, dans cette première partie, la mise en place, le workflow et les enseignements tirés de ces premiers mois de travail ; Thibaut nous a rejoints pour partager son expérience (cf. deuxième partie*). La parole est à Geoffrey Nesego Fernandez.**
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Mediakwest : Geoffrey, peux-tu nous parler de la série sur laquelle vous travaillez ?

Geoffrey Nesego Fernandez : C’est une série sportive comportant dix épisodes de vingt minutes, commandée par une chaîne hollandaise nommée INsight TV appartenant au groupe Tern. La chaîne est en phase de préparation, le lancement étant prévu au printemps. Elle sera diffusée sur les supports type box, les réseaux Internet et les satellites ; une plate-forme web offrira également le visionnage de tous les programmes en différé sur une durée non limitée. Le concept initial prévoyait une production de contenu en UHD à 50 i/s, mais, au vu des récentes avancées technologiques, ils ont décidé d’ajouter le HDR.

Ils se sont alors rapprochés de spécialistes du monde entier, afin de savoir comment aborder le problème, et de FastFokus, la société de production avec laquelle nous collaborons. Ils leur ont commandé la série MTB Heroes. Deux saisons ont déjà été produites en 4K à 50 i/s. C’est la première série de la chaîne en HDR, mais pas la seule, car ils préparent parallèlement d’autres programmes HDR. Étant les premiers à avoir commencé les travaux, nous serons probablement les premiers diffusés.

Un des enjeux les plus importants pour la chaîne a été le choix technologique entre les nombreux formats de production et de diffusion existants. Parmi tous les noms barbares, ils ont choisi la technologie HLG (Hybrid Log-Gamma), développée par la BBC, et la NHK qui, plus explicitement, correspond à une courbe gamma au doux nom d’Arib STD-B67. Cette courbe a la particularité d’assurer la rétrocompatibilité entre SDR et HDR, contrairement au PQ du HDR10 ou ST-2084, la technologie dont on entend le plus parler pour l’instant. Avec le PQ, quand on envoie le signal HDR chez des téléspectateurs non équipés, ces derniers ne peuvent pas recevoir un programme « regardable » et voient une image « flat » (peu contrastée).

La troisième solution était le Dolby Vision, qui impose des investissements très conséquents en termes de licence. En tant que laboratoire, il nous faudrait débourser 10 000 dollars d’abonnement par an, plus une partie matériel coûtant 5 000 dollars. Le Dolby Vision reste cependant la meilleure solution.

 

MK : Parmi les autres solutions HDR, connais-tu des cas de mise en pratique ?

G. N. F. : Pour le Dolby Vision, des séries produites par Netflix utilisent cette technologie. J’ai regardé des séries sans écran HDR et j’ai pu vérifier la bonne rétrocompatibilité. Hormis son coût, le Dolby Vision est très intéressant. En plus de pouvoir étalonner séparément les fichiers SDR et HDR, il crée tout seul les fichiers Mezzanine XML lors de l’export : un pour le PQ, un pour le HLG et un pour le Dolby Vision.

 

MK : Peux-tu nous décrire votre installation technique ?

G. N. F. : La station est basée sur un Mac Pro 2013 équipé de deux Firepro D700 et d’une Red Rocket X (pour la débayerisation redcode) installés dans un châssis Sonnet. Je peux lire la vidéo 5K en temps réel, sans problème, avec plusieurs nodes (couches) d’étalonnages et une débayerisation complète.

Le Mac Pro est câblé en Thunderbolt, depuis notre nodal jusqu’au studio, via un câble de 30 m. L’ensemble des périphériques USB et Thunderbolt est branché sur un boîtier : l’écran informatique, le panel, le clavier, la souris et éventuellement une tablette graphique. Il nous reste suffisamment de débit pour éventuellement brancher des disques durs de clients pour copier ou récupérer des fichiers. Une grille de distribution SDI transporte le signal vidéo.

Pour le stockage, on a recommandé et vendu à FastFokus, via Atréïd, un de nos partenaires, une tour raid G-Technology G-Speed Studio XL dans laquelle on a remplacé les disques de bases par des disques de 10 To pour obtenir un raid de 70 To utiles afin de couvrir toute la postproduction. Chaque épisode représentant entre 4 et 6 To de données, on va atteindre 50 To uniquement avec les rushes.

Depuis la station d’étalonnage dans le nodal, je sors via un boîtier Blackmagic UltraStudio 4K 12 G, je passe ensuite par un multiplexeur Blackmagic pour attaquer l’écran Sony en quad SDI 1,5 G.  Notre écran Sony BVM-X300 permettant de monter jusqu’à 1 000 nits est un des écrans HDR les plus complets du marché à ce jour. L’autre moniteur est un Eizo CG277W pour l’affichage SDR. Lorsqu’on envoie le même signal et compare directement le HDR et le SDR, la différence de dynamique est flagrante, l’écran de gauche paraissant très terne.

On peut faire la comparaison parce qu’on utilise la méthode du Arib STD-B67. On ne pourrait pas faire de comparaison directe avec le PQ. Avec le Dolby Vision, ce serait encore mieux parce qu’on pourrait adapter les étalonnages SDR et HDR plan par plan.

 

MK : Qu’est-ce qui change dans votre workflow d’étalonnage ?

G. N. F. : On s’est beaucoup documentés, notamment via le manuel utilisateur de DaVinci Resolve écrit par Alexis Van Hurkman, réalisateur et étalonneur, passionné de postproduction. Cette documentation est riche en informations et explique comment paramétrer ses projets pour le HDR.

Concernant les images sources, les recommandations pour le HDR sont relativement simples, il suffit que la(les) caméra(s) offre(nt) une dynamique de 11 diaphs au minimum. De nombreuses caméras semi-professionnelles proposent déjà 11 diaphs de dynamique. Sur notre projet, la majorité des tournages sont effectués avec une caméra Red Epic 5K, les 10 % restants avec le Canon 1DX. On obtient un résultat satisfaisant dans la correspondance des étalonnages ; mais le 1DX délivrant un peu moins de dynamique, on touche les limites. La réponse dans les hautes lumières est satisfaisante, il est par contre plus compliqué de récupérer du détail dans les basses lumières.

Il y a deux équipes de tournage. Les caméramans partant parfois filmer dans des lieux difficilement accessibles, il leur est plus simple de prendre le 1DX. Sa sensibilité est également intéressante, pour les tournages en basse lumière (en fin de journée, très tôt le matin, ou autour du feu le soir des bivouacs) lorsque, sans lumière additionnelle, la Red n’est pas adaptée.

Premiere Pro a été choisi pour le montage, car cela nous évite une étape de transcodage ; on effectue ensuite une conformation dans DaVinci. La même Red Rocket étant utilisée pendant le montage (passant d’une station à l’autre), on a pu travailler en temps réel, en demi-résolution. Nous avons préparé les métadonnées des rushes via Redcine-X pour obtenir une image convenable pendant le montage.

La gestion interne des espaces colorimétriques pour le HDR n’est pas encore totalement au point pour tous les formats, mais comme Premiere Pro fonctionne en passthrough, il ignore ce qu’il a en entrée et fournit la même chose en sortie. On ne perd donc logiquement pas d’informations. Par contre, lorsqu’on travaille en Rec. 2020, ce qui est observé via Premiere Pro pendant le travail n’est pas fiable ; on ne dispose pas de la totalité des couleurs visibles pendant le montage.

En sortie de DaVinci, une fois l’étalonnage réalisé, on revient dans Premiere Pro pour stabiliser les plans étalonnés et ajouter les titrages, la totalité de l’habillage et le mix. L’assemblage est réalisé dans Premiere, mais comme les techniciens ne peuvent pas voir ce qu’ils font, ils ont toujours la crainte de perdre ces données à l’export, et qu’ainsi le résultat reste identique à ce qu’ils ont envoyé (c’est-à-dire une image terne, avec des couleurs pauvres). Pour avoir mené des tests, on peut confirmer que leur crainte est infondée.

La première étape de la configuration de DaVinci consiste à choisir dans les paramètres color manage les bonnes courbes gamma de travail. Pour l’étalonnage du premier épisode, on avait sélectionné une courbe de gamma 2.4 (courbe de gamma de travail), et en sortie on était sur du ST-2084, donc une courbe PQ. On s’est rendu compte qu’il n’était pas possible de visionner du SDR dans ces conditions. On a alors changé une première fois de solution pour passer du ST-2084 au HLG pour finalement passer du HLG « de base » au standard de la BBC et du NHK.

L’étalonneur travaille d’abord la version HDR, à raison d’une journée et demie par épisode. Une fois la postproduction finie, nous préparerons l’étalonnage SDR Rec. 709 de tous les épisodes simultanément, afin qu’ils puissent être diffusés sur le web ou sur d’autres plates-formes et servir de source pour la réalisation de teasers.

Quatre semaines sont prévues pour le HDR, auxquelles on ajoutera une semaine pour repasser sur chaque épisode en SDR, à raison d’une demi-journée par épisode. Le risque principal de cette étape, c’est de remonter du bruit qu’on n’aurait pas en HDR. On a consacré deux journées de tests à la prise en main du workflow HDR et pour appréhender la réaction des outils. Il nous a en effet fallu changer la sensibilité des commandes du panel pour le travail en HDR.

 

MK : Quels sont vos formats de travail et d’export ?

G. N. F. : L’OpenEXR et le DNxHR sont nos formats de travail. L’OpenEXR, avec un encodage 32 bits, permet d’encapsuler toutes les données sans pertes d’informations de couleur. Le défaut de l’OpenEXR étant son poids très important, on privilégie le DNxHR. Nous sommes obligés de travailler avec des formats de travail lourds pour garder les métadonnées HDR et encapsuler toutes les données de colorimétrie (parce que tous les formats ne sont pas compatibles).

Le format Master demandé par la chaîne est un fichier encapsulé en MXF, encodé en XAVC-I 300 Mb/s dans l’espace colorimétrique Rec. 2020. Pour un épisode, le fichier va peser approximativement 100 Go. Ce master va passer dans leurs propres tuyaux, et au moment de la diffusion il sera automatiquement compressé vers du HEVC. Il faut donc que nos fichiers soient en Rec. 2020, en HLG, avec la bonne courbe de gamma.

 

MK : Quelles sont les exigences de Tern sur le workflow ?

G. N. F. : Comme nous avons été les premiers à travailler sur ces projets, nous avons essuyé les plâtres et nous les avons aidés à concevoir le workflow. Hans Buhr, le directeur technique de Tern, est venu passer une journée entière avec nous pour évaluer les méthodes de travail. Pour l’étalonnage HDR, on émet plus de lumière que d’habitude dans la salle d’étalonnage pour éviter l’éblouissement, la quantité de lumière émise par l’écran étant très intense.

L’étalonnage en HDR étant plus fatigant, des pauses plus régulières sont nécessaires. Les spécifications techniques initiales de la chaîne demandaient un éclairage de moins de 5 candelas autour de l’étalonneur. Avec ces conditions, on trouvait cela dangereux pour sa vue. Il y a un plan de coucher de soleil impressionnant sur l’écran Sony ; celui-ci a failli nous rendre tous aveugles au début (rires) !

Sur cet écran, il y a un petit témoin orange, le max foil ; il s’illumine dès que la luminosité moyenne de l’image dépasse les capacités du moniteur, il alerte l’utilisateur en précisant ne pas être capable d’afficher correctement l’image (et donc il te dit : attention, ce sera forcément pire ailleurs, fais gaffe !). On est très contents de l’avoir, même si c’est effectivement un petit peu une folie difficile à rentabiliser.

 

MK : Peux-tu nous parler des problèmes d’export de métadonnées que tu as rencontrés ?

G. N. F. : La théorie voudrait que lorsque l’on exporte un fichier en paramétrant correctement l’espace colorimétrique de sortie avec la bonne courbe de gamma, ces informations soient inscrites automatiquement dans les métadonnées du fichier d’export. Or, il s’avère que ce n’est pas le cas, lorsque l’on exporte un fichier avec nos paramètres de travail (Rec. 2020 Arib STD-B67) on ne récupère pas les métadonnées. On a essayé plusieurs formats dont DNxHR, ProRes 444 et XQ, OpenEXR, XAVC-I et HEVC.

Pour intégrer les métadonnées aux fichiers, nous avons trouvé un petit outil freeware d’origine allemande nommé Hybrid. Il nous permet d’indiquer que le fichier est en Rec. 2020 et de préciser la bonne courbe de gamma. Pour l’instant, on ne peut pas le faire avec Premiere Pro et à notre grande surprise, ça ne fonctionne à priori pas non plus avec DaVinci. Le film final est exporté en XAVC-I ; les métadonnées seront implémentées avec Hybrid sur ce fichier. On a testé cette procédure de manière concluante sur un extrait envoyé à la chaîne.

 

MK : Comment Tern gère-t-il la distribution du HDR vers ses téléspectateurs ?

G. N. F. : Les téléspectateurs pourront passer par une application de Smart TV à partir de leur TV compatible pour lire le contenu que l’on prépare, et cela en HLG avec toute la dynamique. Si leur téléviseur n’est pas compatible, ils liront l’étalonnage adapté au Rec. 709.

 

MK : Cela veut-il dire qu’il y aura deux signaux transmis par la chaîne ?

G. N. F. : Tern doit choisir entre deux options. La première étant la possibilité d’inscrire les métadonnées correspondant au Rec. 709 dans un fichier Sidecar XML envoyé simultanément au fichier HDR. En fonction des capacités du téléviseur, celui-ci choisira le fichier (ou plutôt les métadonnées du fichier) adapté. Cependant j’ai encore la crainte qu’avec cette technique, malgré notre volonté de développer un étalonnage pour le Rec. 709 et pour le SDR, on se retrouve avec une image fade.

L’autre possibilité, c’est que la chaîne partant du XAVC-I transcode simultanément deux fichiers en HEVC pour la diffusion par satellite ou via Internet ; le téléviseur choisissant entre les deux flux vidéo, plutôt qu’entre deux jeux de métadonnées.

 

MK : Comment fonctionne le HDR sur les téléviseurs grand public ?

G. N. F. : HDR 10 est le nom d’une technologie entière et correspond au ST-2084, qui est le nom de la courbe gamma correspondant à la norme PG. HLG et Dolby Vision sont deux autres technologies complètes. Le déploiement des normes est une question importante pour le développement du HDR. Chez Sony, une mise à jour software va activer les courbes HLG et les courbes PQ sur celles qui ne l’avaient pas. C’est une très bonne nouvelle ; d’ici quelques mois, tous les téléviseurs Sony pourront lire notre contenu, alors que ce n’était pas prévu initialement.

Pour que les téléviseurs lisent les fichiers encodés Dolby Vision, les constructeurs doivent acheter la licence auprès de Dolby ; c’est le cas pour certains moniteurs PC de la marque Benq, ces derniers prenant également en charge la norme HDR10. Quelques marques encore peu nombreuses ont implémenté cette norme sur certains téléviseurs, notamment LG.

L’avantage de la technologie Dolby Vision, c’est qu’elle transporte simultanément toutes les métadonnées des autres technologies ; ainsi, quelle que soit la technologie HDR du téléviseur, les fichiers encodés Dolby Vision devraient être lisibles et fournir un rendu correct. Le soin porté à l’étalonnage est important ; il faut soigneusement prévoir les différents cas de figure pour la préparation des fichiers XML correspondant aux différentes métadonnées. Pour le public, il reste la barrière de la box TV qui doit être compatible HDR ; il faut pour cela disposer de prises HDMI répondant à la norme 2.0a.

 

MK : Avez-vous testé le résultat de la postproduction sur des téléviseurs grand public ?

G. N. F. : Oui, sur un téléviseur Sony de Loca Images, un modèle 75 pouces Bravia XD75 sorti en 2016, un des premiers à disposer du HDR, avec uniquement le HDR10. On a visionné un épisode étalonné en HDR10. Les résultats sont très intéressants. Le gros bémol, cependant, est la réponse dans les noirs avec la technologie Led. Je pense que pour profiter du HDR, il faut un modèle Oled, même si la luminosité des écrans LCD est plus importante que sur les écrans Oled grand public. Notre moniteur Oled délivre une grande luminosité, mais l’écran est très onéreux et la consommation électrique gargantuesque. On a doublé notre facture d’électricité uniquement à cause de ce moniteur.

Pour l’instant, la luminosité des téléviseurs Oled et Quantum Dot est de 400 nits maximum, mais le noir est beaucoup plus profond que sur les écrans LCD. Concernant le contraste, il vaut mieux aller chercher dans les très basses que dans les hautes lumières, car le ratio est basé sur la dynamique. La luminosité de l’écran grand public Sony montait presque autant que notre moniteur d’étalonnage, 800 nits contre 1 000 nits, les « noirs » n’étaient, en revanche, pas du tout au niveau.

Concernant l’espace colorimétrique, le moniteur d’étalonnage couvre une grande partie, mais pas la globalité de l’espace Rec. 2020, le téléviseur grand public embrassant une partie plus réduite de cet espace, on voit quelques différences dans les couleurs les plus saturées, mais on retrouve quand même les intentions d’étalonnage et ça fait plaisir de voir que chez nous on peut profiter de notre travail. J’ai l’intention d’orienter notre offre pour que nous fassions de plus en plus de HDR. Nous travaillons avec trois ou quatre étalonneurs, Thibaut Pétillon étant le plus expérimenté. Tous ont cependant la capacité de faire du HDR après une rapide adaptation.

 

* La deuxième partie de cet article est en ligne ici

** Extrait de notre article « Les Machineurs étalonnent la série MTB Heroes en HDR » paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.50-51. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.