Tourner en France : la carte et le territoire

Les réformes des crédits d’impôt, domestiques et internationaux, ont permis à la France de renouer avec l’attractivité, d’endiguer les délocalisations et d’être de nouveau présente sur la carte internationale des tournages. Par un effet vertueux, elles offrent la possibilité de mettre en lumière tout un écosystème professionnel.
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Fin 2009, cinq projets (dont quatre longs-métrages) recevaient l’agrément pour l’obtention du nouveau crédit d’impôt international mis en place en France. Parmi ceux-ci, le premier volet de la série de longs-métrages d’animation Moi, moche et méchant qui a permis l’émergence d’un studio nord-américain au cœur de Paris, avec le succès international qu’on lui connaît.

Cette mesure, dont l’objectif premier était de faire venir sur le territoire des tournages étrangers, a permis à la France de revenir dans le terrain de jeux de tournage des blockbusters. La revalorisation en janvier 2016 des crédits d’impôt national d’une part, international (C2I) d’autre part, a entériné cet état de fait ; sur 2016, 36 projets ont été agréés pour l’obtention du C2I, pour des dépenses en France estimées à 137 M€ selon le CNC. Et sur les neuf premiers mois de l’année, 45 projets vont bénéficier de ce dispositif.

 

Au-delà du constat purement comptable, cet encadrement législatif a surtout donné à la filière cinéma et audiovisuel les moyens de se penser au-delà des frontières dans un contexte de concurrence internationale accrue.

Ainsi que le précisait lors du festival de la fiction de la Rochelle, en septembre dernier, Marc Tessier, président de Film France, « les mesures adoptées ont rendu le système du crédit d’impôt compétitif au niveau international, ce qui n’était pas le cas il y a quatre ou cinq ans. »

En 2018, quels sont les atouts du territoire France et quelle est sa place dans la carte mondiale des tournages ?

 

Des dispositifs nationaux éprouvés

La réforme du crédit d’impôt cinéma le 1er janvier 2016 a eu un impact des plus positifs sur la filière française. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la Ficam a dévoilé son baromètre pour les neuf premiers mois de 2017 : « La production de longs-métrages d’initiative française, tous genres confondus (fiction, documentaire et animation), a augmenté de 3 %, comparé à janvier-septembre 2016, pour atteindre un total de 162 projets, soit le meilleur résultat de la décennie, après les neufs mois exceptionnels de l’année 2015. » Avec 136 films, le long-métrage de fiction renoue avec son meilleur chiffre de 2013 – un record depuis 2008.

 

Autre conséquence positive de la réforme, la relocalisation des tournages n’a jamais été aussi importante, avec « seulement » 182 semaines de tournage à l’étranger pour un taux de délocalisation « historiquement bas » à 18 % pour la deuxième année consécutive. À titre de comparaison, 2015 avait été marquée par un chiffre assez inquiétant de 437 semaines de tournage à l’étranger !

 

La Ficam souligne également que ce sont les tournages à gros budget qui relocalisent le plus ; ce qui, de prime abord, peut sembler naturel par un mécanisme arithmétique simple… mais mérite tout de même de s’y arrêter. Car si le taux de délocalisation des ces films à plus de 20 M€ est nul, il est en forte progression sur la tranche des films ayant un budget de moins de 10 M€ (20 % du total de semaines de tournage). Les effets vertueux du crédit d’impôt n’impactent donc pas encore la totalité des films produits…

 Dernier point positif mis en avant par la Ficam, « Les montants investis en France dans les prestations VFX sont estimés à 15 M€, soit plus du double du montant constaté en janvier-septembre 2016 ». Plusieurs longs-métrages à fort potentiel de VFX ont fait le choix du national, à l’instar de Spirou et Fantasio d’Alexandre Coffre, Belle et Sébastien pour la vie de Clovis Cornillac, Dans la brume de Daniel Roby, Santa & Cie d’Alain Chabat, Gaston Lagaffe de Pierre Martin-Laval, Taxi 5 de Franck Gastambide, etc.

 

Ce constat est le même pour la fiction TV : en 2017, la nouvelle série TV de France 2, On va s’aimer, un peu, beaucoup…, réalisée par Julien Zidi et Stéphane Malhuret, a posé ses caméras en Auvergne-Rhône-Alpes pendant 84 jours, permettant le recrutement de 40 techniciens locaux, 30 comédiens et figurants pour plus de 3 M€ de dépenses. À la Région, on se félicite de ces bons chiffres et on avance même un ratio des plus enviables : « le Fonds d’aide à la production audiovisuelle génère en moyenne 10 € de retombées économiques directes pour 1 € d’aide régionale attribuée, dont 50 % sur l’emploi. »

 

C2I : The Very Good TRIP

Le crédit d’impôt international, lancé de façon effective en 2010, a vu son plafond et son pourcentage de dépenses relevés en 2016, passant à 30 M€ et 30 % des dépenses.

 Sur le volet de la fiction TV, le nombre de jours de tournages étrangers sur le territoire a été multiplié par quatre entre 2015 et 2016, passant de 332 à 846 jours, dont 560 directement liés au C2I (66 %). Quatre régions se sont partagé cette manne : Provence-Alpes-Côte d’Azur (43 %), Ile- de-France (27 %), Guadeloupe (12 %) et Bretagne (9 %).

 

La série Death In Paradise est, à ce titre, exemplaire : selon Film France, les six saisons de la série britannique, tournées à Pointe-à-Pitre et aux environs, ont permis de générer 104 jours de tournage, l’engagement de 83 techniciens locaux, 1 000 cachets de guration, pour des dépenses en région estimées à… 4,5 M€.

 

En 2016, le tournage du long-métrage Dunkerque de Christopher Nolan a permis à la région Hauts-de-France de rayonner à l’international : « En cinq semaines, le tournage a généré 19 M€ de dépenses dans la Région, dont la moitié pour la seule Ville de Dunkerque », ajoute Frédérique Bredin. Cette superproduction hollywoodienne a mobilisé pas moins de 450 techniciens français, et plus de 2 000 figurants locaux.

 

Outre les Nolan, Spielberg et Allen à venir sur le territoire, 2017 a été marquée par l’arrivée du volet 6 des aventures d’Ethan Hunt pour Mission Impossible, produit par Tom Cruise et J.J. Abrams. La mairie de Paris s’est enorgueillie du retour sur investissement produit par le C2I : 35 jours de tournage, plus de 300 techniciens embauchés, dépenses d’hébergement des équipes techniques et artistiques venues des États-Unis, prestations de VFX et de locations de matériel. L’addition est impressionnante : environ 25 M€ de dépenses sur le territoire parisien…

 

Mais Paris n’est pas la seule à être impactée positivement : outre Dunkerque, Arles a bénéficié en décembre de la venue de Julien Schnabel pour le long-métrage At Eternity’s Gate qui relate la vie de Van Gogh, interprété par Willem Dafoe. Pour les besoins de ce tournage, 100 personnes ont été recrutées (technique et artistique).

 

Des relocalisations qui font du bien

Comme le souligne le baromètre de la Ficam (voir interview de Stéphane Bedin…), la réforme des dispositifs n’a pas eu que des effets positifs sur les tournages étrangers ; elle a également permis de faire revenir sur le territoire de grosses productions made in France !

 

La fiction TV, en premier lieu, a repris des couleurs en 2016… même si les annonces autour du plan de rigueur budgétaire concernant France Télévisions pour 2018 ont réveillé les angoisses de production moins soutenues et, par conséquent, cherchant l’économie… ailleurs qu’en France. Ces relocalisations sont tout de même un message encourageant pour les loueurs de matériel, la postproduction. Ainsi que les plateaux.

 En se diversifiant, ceux-ci, largement représentés en dehors de l’Ile-de-France, ont su attirer de nouveaux types de tournages sur des périodes courtes, mais à un rythme régulier.

 

Les initiatives sont nombreuses pour ouvrir de nouveaux studios, à l’image du projet mené à Arenberg dans les Hauts-de-France. Le manque avéré de backlots en France est au cœur des réflexions de plateaux comme ceux de Provence Studios à Martigues.

 C’est aussi le cas dans l’Essonne avec l’ancienne base aérienne 217 de Brétigny-sur-Orge qui fait l’objet d’un projet de reconversion depuis 2015. Outre une pépinière d’entreprises, les 300 hectares de terrain inoccupés ont accueilli le tournage du long-métrage de Jean-François Richet, L’Empereur de Paris, au dernier trimestre 2017.

 Produit par Mandarin, le film retrace les aventures de Vidocq, incarné par Vincent Cassel. Pour les besoins du film, une rue pavée, des façades du Paris du 19e siècle, une place de marché ou encore un moulin ont été reconstitués. L’ambition de l’agglomération Cœur d’Essonne est de conserver ce backlot et de l’entretenir pour accueillir des tournages d’époques, nationaux ou internationaux.

 

En constituant peu à peu un maillage national de compétences et de sociétés (de production comme de postproduction), la France est revenue au premier plan et s’installe durablement sur la carte internationale des tournages. Pour autant, pouvoirs publics comme organisations professionnelles sont parfaitement conscients que la concurrence internationale est permanente. Et que chaque territoire cherche à revaloriser et rendre encore plus compétitifs ses incitatifs fiscaux. La mise en place d’un écosystème viable autour des filières techniques et de production est la meilleure réponse pour pérenniser cet intérêt des productions étrangères (et nationales).

 

 

* Pour aller plus loin, retrouvez les interviews de Stéphane Bedin (Ficam) et de Valérie Lépine-Karnik (Film France)

** Article paru pour la première fois dans Mediakwest #25, p. 60-61. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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