Menées par René Broca, les RADI ont croisé, toujours sur le mode du partage, les innovations techniques et les nouvelles pratiques de production des studios d’animation, et ont surtout insisté sur les retours d’expérience. La troisième édition faisait ainsi sienne la réflexion du directeur technique Flavio Pérez chez Les Fées Spéciales, qui a ouvert le blog La Cuisine : « Plus on partagera les connaissances et les outils, plus vite on progressera et moins on réinventera la roue à chaque nouvelle création de studio d’animation ». Plus de 300 professionnels de la filière (une progression en forte hausse) ont suivi cette journée introductive aux Rencontres Animation Formation (RAF), lesquelles se réservaient les problématiques d’emploi et les enjeux de formation. Focus sur quelques cas pratiques et pistes de réflexions.
Le cas Xilam
Au même titre que le pipeline de fabrication, la R&D est devenue un véritable enjeu de productivité pour les studios qui, quelle que soit leur taille, cherchent à être plus efficaces sans sacrifier la qualité de l’image. Pour autant, la constitution du pipeline et les conditions d’exercice de la R&D dépendent encore fortement de l’historique du studio et sont souvent liées à l’arrivée d’une nouvelle production. Souvent considérée comme un luxe, la R&D, qui nécessite un investissement important pour les « petits » studios, ne se met parfois en place qu’au bout de plusieurs années d’activité.
Aussi Xilam s’est-il tourné vers la R&D quand le studio a commencé à vouloir fabriquer lui-même ses productions. Rapatriant ses séries sous-traitées jusqu’alors au Vietnam, la société a ouvert en juin 2017 son premier studio d’animation à Lyon. « Il était devenu nécessaire de numériser les images pour obtenir des gains de productivité, remarque le directeur technique Charlet. Mais fabriquer n’étant pas dans la culture du studio, la R&D a d’abord servi à faire un travail d’accompagnement afin que Xilam devienne un studio de fabrication à part entière. Dans un premier temps, nous avons organisé les productions, mis en place les nomenclatures, les arborescences… » Si des séries comme Paprika ou Magic (saison 2) réalisées sur Flash et After Effects ne présentent pas d’enjeu majeur de fabrication, la numérisation de la série Oggy et les cafards (270 fois 7 minutes) oblige le studio à se tourner vers l’UltraHD : les dessins papier scannés puis vectorisés sous Toonboom Harmony ne présentant pas une qualité de trait suffisante. « Avec cette série et aussi la série Mr Magoo (78 fois 7 minutes) qui vient de commencer, nous gagnons une vraie expertise en UHD. Nos trois prochaines séries seront réalisées sous ce format. »
L’équipe de R&D a également été mise à contribution sur le long-métrage J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, lequel repose sur un tournage en live et une rotoscopie 3D, ainsi que sur du retraçage 2D sous Blender. Une première pour Xilam : « Nous utiliserons le plug-in de Blender qui permet d’animer en 2D directement à partir de la 3D. Mais il est encore trop tôt pour en parler : nous venons juste de terminer la fabrication des assets et de commencer le tournage en live avec la rotoscopie 3D. » D’autres enjeux techniques encore : la série documentaire animalière Si j’étais un animal comportant des modules animés sur TVPaint, ainsi que la série Petit Méchant Loup de Nicolas Le Nevé, une animation façon pop-up qui se fera sous Unity dans un environnement 3D temps réel. « Aujourd’hui, nous arrivons à anticiper, se félicite Pierre Charlet. Les storyboards des nouvelles séries sont soumis à la validation technique par la R&D et par le directeur technique (TD) afin de détecter en amont les éventuels problèmes. »
Cap sur l’UHD et le HDR chez Blue Spirit
Invité par les RADI l’an dernier, Blue Spirit avait introduit son logiciel de suivi de production Simone. Cette année, le studio d’animation (Paris, Angoulême et Montréal), qui a ouvert un nouveau studio dédié à la 2D à Angoulême, tenait à mettre en avant l’UHD (Ultra Haute Définition) et le HDR (Hight Dynamic Range), un choix de format qui a des incidences sur la R&D (sept personnes) et le pipeline de fabrication. Arthur et les enfants de la Table ronde (52 fois 11 minutes), dont les décors 2D ne sont plus réalisés en Chine, constitue sa première série 3D UHD-HDR. « Traités en 3D et dotés de rendus 2D, les décors jouent avec les lumières et les textures, constate Frantz Delbecque, directeur des studios. Mais pour garder cette richesse des contrastes, il fallait passer à l’UHD et au HDR. Outre avoir des taux de contraste plus élevés, l’image HDR élargit la gamme de couleurs et devient plus immersive. Ces formats sont ceux de demain. C’est un pari payant, au même titre que le passage de la SD à la HD. »
Le poids des images étant multiplié par huit, la première conséquence pour le pipeline est l’augmentation des données : « Un épisode de 11 minutes correspond à un tera de données. On se retrouve donc avec 52 teraoctets à gérer pour une seule saison ! », poursuit Frantz Delbecque. Devant augmenter sa capacité de stockage (monitoring, etc.) et trouver des solutions de conservation pérenne, Blue Spirit a opté, pour des raisons de coût, de sécurité et de facilité d’utilisation, pour les technologies Cloud. Produire avec ces nouveaux formats tout en restant dans une économie de série (l’enveloppe budgétaire demeure identique) oblige aussi l’équipe de R&D à optimiser les outils, voire à en développer de nouveaux afin d’améliorer la p roductivité : « Avec le HDR, l’étalonnage en fin de chaîne devient obligatoire, ce qui n’était pas forcément le cas pour une série d’animation. »
La R&D vue par un « petit » studio : le cas Knightworks
Établi à Paris en 2009, Knightworks n’a abordé la R&D qu’à partir de 2013 lors de l’embauche d’un directeur technique. Pour ce « petit » studio spécialisé en 3D (5 à 50 personnes) qui mène de front la fabrication de séries TV et le développement d’un premier long-métrage, l’amélioration de la productivité passe par celle des outils, mais pas seulement : « Nous ne voulons pas imiter les grands studios, mais nous démarquer par une 3D atypique. Ce type de rendu réduit en plus les temps de calcul », remarque Umaru Embalo, cofondateur de Knightworks. Le studio tient aussi à ce que les nouveaux graphistes qui arrivent continuent à travailler avec le logiciel 3D de leur choix (3DS- Max, Maya, Blender, etc.), lequel est implémenté au fur et à mesure (s’il ne l’est pas déjà) dans le pipeline de fabrication. « Les scènes 3D texturées et mises en lumière sont envoyées en Alambic sur notre ferme de rendu, détaille Umaru Embalo. La personne en charge du compositing a aussi le choix entre Nuke, Fusion ou After. Puis les chiers passent sur Da Vinci Resolve pour la conformation nale avant d’être envoyés, en fonction de la production, dans Première ou Avid. »
Pour faciliter la gestion des traits, des ombres (etc.) de cette 3D au rendu 2D, la R&D a développé des outils maison, de même qu’elle a automatisé un grand nombre de tâches au compositing. Enfin un asset manager et des outils codés en Python permettent de traiter les fichiers très diversifiés du studio. « Même si le studio ne fabrique pas encore de séries TV pour plusieurs saisons, nous voulons accéder facilement aux assets (props…) et les réutiliser au besoin. » Pour économiser la sauvegarde manuelle des fichiers, source potentielle d’erreurs, le project manager a été porté dans chaque logiciel. « Notre objectif est de connecter les étapes de fabrication de la manière la plus naturelle afin que les graphistes ne s’occupent que de la partie artistique. » Toujours pour améliorer sa productivité, Knightworks a choisi de passer à Linux : « Cela nous a changé la vie. Le gain en temps de calcul et de transfert de fichiers est incomparable. » Pour limiter l’investissement dans la ferme de rendu, le studio recourt en partie aux services de Google Cloud : « Nous bénéficions ainsi d’une puissance de calcul élevée pour un coût abordable. Deux mille machines peuvent être déployées pour le calcul de la production. Un petit studio peut ainsi rivaliser avec un grand. »
Studio 100 Animation aborde la VR pour le storyboard
À la recherche d’un gain supplémentaire de productivité, Studio 100 Animation (séries Maya l’Abeille, Heidi) a commencé en 2016 à intégrer la VR dans son pipeline de production de séries : « Nous avions optimisé tout ce qui pouvait l’être, note le réalisateur Jérôme Mouscadet. Mais nous pouvions aller encore plus loin pour sécuriser la qualité, les plannings et les budgets. » Dans le collimateur de l’équipe, le passage toujours délicat de la conception 2D à la mise en scène en 3D : « Une fois que le storyboard sur Toonboom est terminé, on se retrouve parfois avec des éléments de décor déconnectés de la modélisation 3D en termes d’échelle ou de placement, qu’il faut corriger au layout », précise le producteur Jean-François Ramos. Après avoir testé l’outil VR sur HTC Vive auprès des postes concernés (scénariste, chef déco, story boarder, designers), l’équipe décide de l’utiliser comme plateau de tournage virtuel et aide au découpage sur la série Heidi (39 fois 26 minutes).
« L’immersion en temps réel donne un meilleur aperçu de la mise en scène 3D. On se rend immédiatement compte de la taille des props et du placement des personnages », note le réalisateur. Filmée avec une caméra virtuelle, la scène est directement importée dans Toonboom avec les personnages découpés dans le décor. Il suffit alors d’ajouter des voix témoins pour juger de la narration et des jeux de scène. Développé sous Unity, le labo virtuel de Studio 100 Animation est prévu pour s’enrichir, au fur et à mesure des productions, avec de nouveaux outils VR comme une aide au layout par exemple. D’ores et déjà, le studio constate que se mettent spontanément en place des nouveaux tandems composés d’un storyboarder et d’un cadreur virtuel.
Après Autour de Minuit, Normaal Production opte pour Blender
Le plus populaire des logiciels libres 3D, Blender, continue de s’implanter dans les studios d’animation. Parmi les premiers à l’avoir intégré au pipeline, Autour de Minuit (séries Babioles, Jean-Michel, le Caribou des Bois…) récidive avec sa nouvelle série 3D Non-Non de Mathieu Auvray. En raison du volume important (52 fois 7 minutes), la série entièrement réalisée sous Blender (hormis le son) a été fabriquée en interne jusqu’au layout 3D puis animée chez Team To (Valence) avant de revenir au studio pour la mise en lumière et les VFX. Pour cette production, qui réutilise le pipeline (et les nombreux assets) élaboré sur le 26 minutes, une ferme de rendu GPU a été spécialement mise en place afin de réduire les temps de calcul. Si le logiciel ne pose plus de difficulté d’intégration dans le pipeline, le studio pointe une problématique nouvelle, apparue avec le succès du logiciel, à savoir le manque de disponibilité des animateurs et des développeurs en open source.
Parmi les nouveaux studios de la communauté Blender, outre Xilam (pour le long-métrage J’ai perdu mon corps), Normaal Animation, qui fabrique toutes ses productions en interne (et en France) depuis sa création en 2002, a basculé dans le logiciel libre à l’occasion de sa série 3D Ella, Oscar & Hoo réalisée par Emmanuel Linderer. Le passage à Blender n’a rien toutefois d’un one shot, mais d’une volonté du studio, qui recourait auparavant à After Effects, à aborder de nouveaux styles graphiques et possibilités narratives. Blender lui permet aussi d’obtenir des quotas d’animation (de l’ordre de 7/8 secondes par jour) impossibles à avoir avec After Effects. Son approche du logiciel 3D reste néanmoins peu orthodoxe. Sur la série (52 fois 11 minutes) adaptée d’un album dessiné par Michaël Dudok de Wit, le logiciel 3D n’est utilisé que pour l’animation (personnages et props) : le rendu définitif (avec les textures, les VFX…) s’élaborant lors du compositing. « Nous tenions à conserver l’aspect 2D du dessin originel, remarque le réalisateur. Nous ne voulions pas non plus animer à 25 images par seconde, mais donner un aspect plus heurté à l’animation. » De même, pour respecter le style graphique de Michaël Dudok de Wit, un rig spécifique a été mis en place par le directeur technique Christophe Seux afin d’animer le personnage d’Oscar, lequel a la particularité de garder un profil identique, quel que soit l’angle de vue. L’aspect très cerné des personnages par contre, traité avec le moteur de rendu Freestyle, a nécessité une finalisation à la main.
Percée continue de l’open source
Le développeur Franck Rousseau (CGWire) recourt également aux logiciels libres, qui favorisent le partage de la R&D. « Lorsque leur volume de production augmente, les studios perdent souvent du temps à des tâches rébarbatives, voire inutiles. Beaucoup refont alors la même chose avec les mêmes technologies. » Privilégiant le langage Python, le développeur propose aujourd’hui aux TDs et chargés de production une solution de gestion de production dédiée en open source. À la différence de logiciels éprouvés comme Shotgun (en open source également) mais difficiles à configurer, cette solution s’adresse aux studios d’animation de petite ou moyenne taille. Elle est composée de trois modules : Zou, une API HTTP servant à centraliser les données de production ; l’application web Kitsu permettant de visualiser les validations des tâches et de suivre l’avancement des productions ; enfin Gazu, un client Python permettant aux outils 3D du pipeline d’accéder à toutes les données de la production.
Les RADI tenaient également à présenter un outil en open source de rigging, une étape devenue incontournable de la chaîne de production 3D. Proposé par Toonkit, le rig automatisé Oscar se retrouve aujourd’hui aussi bien dans les séries (Boule et Bill Saison 2, Yakari) que dans les longs-métrages (Zombillenium, Croc-Blanc…).
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #25, p. 94-96. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.