La première action des propriétaires de data centers, afin de réduire la facture énergétique, est de rafraîchir leurs baies informatiques de la manière la plus économique possible. Ainsi, du fait de son climat, la zone arctique, au nord de la Suède ou de la Norvège, abrite les plus grands data centers européens. Quels que soient les progrès réalisés pour réduire la facture énergétique, il demeure une chaleur excédentaire (dite chaleur fatale) qui est perdue et évacuée par la circulation d’air ou d’eau ou par les tours de refroidissement des groupes froids de la climatisation. Ce gisement de calories peut être potentiellement exploité pour chauffer un immeuble, une piscine ou contribuer au mix énergétique d’un réseau de chaleur en apportant une énergie considérée comme propre. Des premiers exemples de récupération de la chaleur d’un data center existent, tel le réseau de chaleur Dalkia de Val d’Europe à Marne-la-Vallée qui chauffe le centre aquatique voisin ou celui de l’Université de Bourgogne qui chauffe des bureaux. Mais au contraire des données, la chaleur n’aime pas être transportée, ce qui a conduit des fabricants comme Stimergy ou Qarnot Computing à installer le data center au plus proche des utilisateurs de la chaleur.
Les chaudières numériques chauffent la piscine
La société grenobloise Stimergy a développé une solution innovante de chaudières numériques intégrant un mini-data center piloté à distance. Après avoir essaimé des réalisations au travers de l’Hexagone en grande partie pour chauffer des résidences collectives, le fabricant revendique quatre installations en région parisienne : à Colombes pour une résidence universitaire, à Montreuil pour une résidence collective en logements sociaux (bailleur RIVP), à Palaiseau pour un foyer de jeunes travailleurs (bailleur Logement Francilien) et enfin dans le XIIIe arrondissement à Paris pour alimenter en eau chaude les bassins de la piscine de la Butte-aux-Cailles. Pour Stimergy, cette première installation dans une piscine annonce d’autres projets équivalents à venir en 2018, comme pour le nouveau centre aquatique de Rueil-Malmaison. La piscine de la Butte-aux-Cailles est un bâtiment historique, construit en 1922 et alimenté à son origine en eau chaude à 28 °C par un puits artésien creusé à plus de 600 mètres de profondeur. Depuis une dizaine d’années, l’ancienne chaufferie au charbon a été remplacée par une sous-station reliée au réseau de chaleur urbain de la CPCU. La piscine compte trois bassins, un intérieur et deux extérieurs, un grand bassin et un plus petit. « En début d’année, six de nos chaudières numériques ont été installées dans un local technique au sous-sol pour chauffer l’eau des bassins. Le réseau de chaleur demeure le mode de chauffage principal », présente Christophe Perron, CEO et fondateur de Stimergy.
Le tarif de vente de la chaleur des chaudières numériques est un peu inférieur à celui de la chaleur du CPCU. L’énergie utilisée est considérée comme renouvelable, étant issue de la récupération de chaleur fatale. L’installation de la Butte-aux-Cailles comprend six chaudières numériques de 4 KW upgradables à 8 KW. Chaque chaudière abrite 18 serveurs, immergés dans un bain d’huile pour le rafraîchissement. « Nous en sommes à la moitié de la puissance installée, mais nous pourrons produire à terme environ 40 MWh par an et par chaudière, soit 2 000 MWh sur 8 ans. L’idée est d’arriver à satisfaire à 90 % le besoin talon de la piscine, ce qui correspond entre 10 et 20 % des besoins globaux », poursuit Christophe Perron. La chaleur générée par les serveurs en fonctionnement est récupérée via un échangeur avec une sortie de l’eau à 40 °C pour le circuit alimentant les bassins. L’offre data center de Stimergy est mixte stockage avec environ 100 To de stockage disponible par baie et calculs par serveurs dédiés ou en mode cloud. Certains des serveurs du data center de la piscine sont mobilisables pour calculer les images 3D des séries du studio d’animation TeamTO.
TeamTO, la démarche verte
Le studio d’animation parisien a entamé une démarche environnementale globale afin de réduire son empreinte carbone, avec une organisation tendant vers le sans papier (story board 100 % numérique par exemple), avec un encouragement aux employés à utiliser des déplacements propres (avec un garage à vélo sécurisé dans la cour) ou encore en donnant ou en recyclant les ordinateurs vieillissants afin de prolonger leur durée de vie. Côté équipements, les locaux ne sont pas climatisés, mais un rafraîchissement est obtenu avec la ventilation double flux. Au départ du dernier employé en soirée, les écrans et l’éclairage 100 % Led sont éteints automatiquement.
« Nous avons été coproducteurs d’une série TV, Plankton Invasion, pour laquelle a été évalué le bilan carbone par épisodes en collaboration avec Ecoprod. Des actions ont été entreprises pour la production, comme réduire le nombre de voyages, favoriser les échanges par le web, etc. En revanche la partie calculs demeure très consommatrice d’électricité », confie Jean-Baptiste Spieser, directeur technique chez TeamTO. Le studio exploite en effet pour ses besoins une importante ferme de serveurs sur les sites de Paris et de Bourg-les-Valence où se trouvent 800 serveurs, principalement pour le calcul. Le studio gère habituellement six productions en parallèle, ce qui permet de lisser l’activité de la ferme en limitant les pics de calculs.
« Nous voulions aller plus loin et engager une action qui à la fois améliore notre bilan carbone et nous permette de gérer les pics de production. Notre choix s’est porté sur l’offre data center de Stimergy dont les tarifs peuvent être intéressants selon la nature du besoin par rapport à du calcul cloud online type Google », ajoute Jean-Baptiste Spieser. TeamTO a effectué des tests de faisabilité en calculant avec Stimergy à petite échelle sur la série Angelo la Débrouille et envisage de passer en 2018 à plus large échelle avec le projet Take it Easy Mike. Sur cette production, il est envisagé d’utiliser jusqu’à 50 voire 100 serveurs dédiés, soit 20 à 25 % du parc de serveurs installés à la piscine. Cela représenterait en 2018 environ 10 % du parc de TeamTO leur permettant de gérer les pics. À chaque extrémité de la liaison Ethernet entre la piscine et le studio, la connexion se fait en gigabit.
Radiateurs ordinateurs
Un autre exemple est donné par Qarnot Computing, une société créée en 2010 qui a développé des radiateurs ordinateurs baptisés Q.rad avec des microprocesseurs embarqués qui à la fois chauffent la pièce où ils sont situés et servent pour offrir un service de cloud computing.
« Le prix du Q.rad varie en fonction des fonctionnalités ainsi que du volume de commande, à partir de 2 500 euros l’unité. Ce prix comprend la pose des radiateurs, leur maintenance et leur remplacement gratuit tous les 5 ans. Nous remboursons l’électricité utilisée qui est mesurée par un compteur électrique situé à l’intérieur de l’ordinateur », présente Eloïse Emptoz, responsable marketing stratégique chez Qarnot Computing.
Le fabricant travaille en direct avec des promoteurs immobiliers et des bailleurs. Leurs projets sont actuellement majoritairement en logements collectifs, mais le tertiaire est un axe de développement. La puissance unitaire de 500 W d’un radiateur correspond à l’entrée de gamme en radiateur électrique et permet de chauffer entre 5 et 10 m2. La demande en calculs HPC sur cloud existe dans certains secteurs comme la banque, la recherche ou l’animation 3D. Plusieurs courts-métrages comme par exemple Cosmos Laundromat, réalisé par la fondation Blender et Prix du Jury au Siggraph 2016 ou Dunder, du studio norvégien Fabelfjord, ont ainsi été calculés sur Q.rad. Supamonks Studio est aussi client de Qarnot Computing.
« Lorsque nous avons emménagé dans nos nouveaux locaux au 1er janvier 2016, nous avons installé 60 nœuds de calculs Omar de Qarnot en racks ainsi que trois radiateurs Q.rad. L’aide aux industries techniques et innovations du CNC nous a aidé au financement. Nous gérons nous-mêmes la distribution du calcul entre nos différents serveurs », précise Pierre de Cabissole, directeur de production chez Supamonks Studio. Qarnot a aussi mis en place un service (SaaS) de rendu en ligne Qarnot Render, à destination à la fois des studios et des artistes indépendants. Ce service est conçu pour fonctionner suivant certaines contraintes, telle la demande de chauffage directement contrôlée par les utilisateurs.
« Nous avons dévoilé au CES 2017 à Las Vegas la troisième génération du Q.rad qui intègre différentes fonctionnalités domotiques comme la charge sans fil du téléphone portable, la détection de présence et d’intrusion, des sondes d’ambiance, le routage wi-fi ou le pilotage des consommations au sein du bâtiment (eau, électricité). Il permet aussi à l’utilisateur de centraliser et de piloter à distance d’autres équipements comme les ampoules, compteurs, interrupteurs connectés, etc. en étant compatibles avec les protocoles comme EnOcean, HomeKit, Nest Weave… », confie Eloïse Emptoz.
Ces développements sont menés dans le cadre de la construction du pôle de solidarité du département géré par le bailleur social Gironde Habitat, et qui va voir le jour en 2018 à Bordeaux, dans le quartier du Grand-Parc. 346 unités de la nouvelle génération de radiateurs boostés à la domotique et équipés de processeurs type AMD Ryzen vont être déployées dans le bâtiment mixte qui comprend des bureaux et 49 logements sociaux.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #25, p. 74-75. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.