Mediakwest : Pouvez-vous présenter l’histoire de l’entreprise en quelques mots ?
Marcus Hume-Humphreys : Nous avons créé Root6 Technology en 1997 : nous étions à l’époque cinq employés d’Avid en Angleterre, et avons décidé de nous lancer en tant que revendeur indépendant. Nous avions remarqué que de nombreux fabricants de matériel avaient tendance à laisser de côté les logiciels, et que de nombreux éditeurs de logiciels ne s’intéressaient plus au matériel. Le marché avait donc besoin d’un acteur capable d’offrir des solutions intégrées et d’assurer un soutien technique et opérationnel pour les utilisateurs finaux. Nous avions la plus grande confiance en notre premier produit, Softimage DS, qui nous a valu un certain succès au cours de notre première année d’activité. Ensuite, Softimage a été acheté par Avid, chez qui nous avions d’excellents contacts : nous sommes donc naturellement devenus un revendeur Avid.
En 2002, nous avons décidé de commencer à développer nos propres produits, et c’est ainsi que ContentAgent a vu le jour en 2004. Ce logiciel existe encore, mais quatorze ans plus tard l’univers numérique est devenu infiniment plus complexe et nous avons continué d’ajouter de nombreuses fonctions.
M. : Quelles ont été les plus grandes étapes de ces vingt dernières années ?
M. H-H. : Les grandes étapes de notre développement ont suivi de près celles du secteur tout entier : le passage de l’analogique au numérique, le passage de la SD à la HD et le passage des bandes aux fichiers. Ces évolutions ont bien sûr changé les besoins de nos clients, qui peuvent être de petites structures indépendantes comme de grandes chaînes de télévision, et notre rôle a été de les accompagner tout au long de ces transitions.
M. : Quelle est la place de votre entreprise dans l’écosystème du broadcast ?
M. H-H. : Nous sommes une très petite entreprise, ce qui n’est pas nécessairement un mal ! Cela nous permet d’être à l’écoute des besoins de nos clients et d’y répondre très rapidement. Notre produit se situe entre la production et la postproduction, puisque nous assurons l’ingestion de contenus dans des solutions de montage. En cours de montage, nous générons des copies destinées au visionnage par les clients ou les responsables. Enfin, au bout de la chaîne de création, c’est nous qui produisons les fichiers master en vue de la diffusion, de l’archivage, et ainsi de suite.
M. : Pensez-vous que le marché du broadcast soit plus difficile qu’il y a vingt ans ?
M. H-H. : Une chose est sûre : il y a plus d’opportunités aujourd’hui. La plus grande révolution, à mon avis, a été le passage du stockage sur bandes au stockage informatique. Puisqu’on ne peut plus toucher et manipuler les supports de stockage comme on le pouvait avec une cassette rangée sur une étagère, il faut trouver de nouveaux moyens d’étiqueter les contenus pour les retrouver facilement. Le nouveau système est plus complexe, mais plus de complexité signifie également plus de potentiel. Les entreprises qui réussissent sont celles qui savent comment réduire la pression qu’engendrent ces transitions technologiques : notre but est de rendre faciles les choses difficiles.
M. : Que pensez-vous du marché français en termes de maturité ?
M. H-H. : On trouve sur tous les marchés de grands acteurs bien établis, qui possèdent une infrastructure vieillissante, et puis des entreprises plus petites, plus jeunes, plus réactives. Nous avons des clients français extraordinairement innovants, et d’autres que nous aidons à réaliser cette fameuse transition numérique. De ce point de vue, le marché français est similaire à celui des autres pays d’Europe.
M. : Pouvez-vous nous parler de ContentAgent et de son positionnement sur le marché ?
M. H-H. : C’est un produit complètement diffrent de ce qu’il était à ses débuts. Je décrirais ContentAgent comme un outil qui permet d’automatiser des processus dans un environnement de broadcast, en amont du playout. L’utilisateur, même s’il n’a pas un profil technique, peut gérer les métadonnées, en ajouter de nouvelles, sélectionner sur une carte mémoire les prises à envoyer au montage, ou encore envoyer des fichiers dans un workflow ContentAgent. Ce workflow est capable de prendre automatiquement un certain nombre de décisions en fonction par exemple du format de fichier, de la fréquence d’image, de l’environnement de montage, et ainsi de suite. Cette automatisation est très importante, puisqu’elle permet de traiter des volumes importants de manière fiable. Ensuite, lorsqu’il faut envoyer les contenus pour diffusion, nous prenons également en charge la création du master, la vérification des métadonnées, l’interface avec un service de diffusion de fichier sur WAN… en somme, tout le processus de A à Z !
M. : Combien de produits proposez-vous ?
M. H-H. : Tout d’abord, il y a ContentAgent, qui offre une interface, une base de données et un moteur de rendu. Nous pouvons enrichir cet outil en y ajoutant d’autres moteurs de rendu appelés JobAgents, ou en utilisant CardAgent, une interface simpliée permettant aux utilisateurs non techniques d’ingérer des contenus. Ainsi, une petite installation pourra se limiter à un seul ContentAgent, tandis que les structures plus importantes utiliseront un ContentAgent et six JobAgents.
M. : Que pouvez-vous dire sur les pro ls de vos clients ?
M. H-H : Les contenus visuels sont un outil de communication extrêmement courant à l’heure actuelle : ainsi, nous comptons parmi nos clients des chaînes de télévision, des studios de postproduction, des studios de production, des agences de publicité, des grandes entreprises, des institutions de formations, et même des gouvernements, par exemple la Commission européenne. Le broadcast et la postproduction constituent cependant le plus gros de notre base de clients.
M. : Comment voyez-vous l’évolution du marché sur les prochaines années ?
M. H-H. : C’est vraiment difficile de prédire l’avenir ! Je pense que nous verrons arriver des images de plus en plus grandes, mais j’espère surtout que les fréquences d’image (HFR) augmenteront : c’est une évolution bien plus importante pour le secteur que celle de la résolution des images. Nous avons accompli des progrès incroyables depuis les débuts de la télévision, et qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Petit, je n’aurais jamais imaginé que le petit téléviseur du salon serait un jour une immense dalle accrochée à un mur…
M. : Votre entreprise a été achetée l’an dernier par Jigsaw, est-ce que cela a changé votre stratégie ?
M. H-H. : Jigsaw est le plus grand revendeur européen de produits Apple, principalement pour le secteur créatif au sens large. Root6 Technology est une petite entreprise qui possède une expertise très pointue dans les domaines du conseil en workflows et de l’intégration de systèmes, et c’est cela que nous avons pu apporter à Jigsaw. De leur côté, ils nous ont fait profiter de leur importante plate-forme de commerce en ligne, ce qui est un net progrès pour nous, puisque nous gérions encore nos ventes de manière plutôt artisanale. C’était donc une union très bénéfique qui nous a permis d’atteindre un plus grand nombre de clients tout en permettant à Jigsaw d’élargir son offre de services. Et comme nous n’avons plus besoin de nous occuper de la distribution, nous pouvons devenir enfin une entreprise totalement concentrée sur le développement de logiciels.
M. : Enfin, comment se passe votre relation avec Ivory votre distributeur français ?
M. H-H. : Ils ont vraiment aidé notre présence en France. Je connais Julien Gachot depuis environ vingt ans, nous avons longuement parlé de ce projet, et il y a trois ans nous nous sommes lancés, avec des résultats vraiment incroyables : nous savions que le marché était présent, et c’est grâce à Ivory que nous avons pu l’atteindre.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #26, p. 82-83. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.