La salle de cinéma du futur

Le cinéma a connu une vitalité exceptionnelle ces dernières années : sur les 150 000 salles mondiales, presque un tiers ont ouvert il y a moins de 10 ans. Pour certains, la concurrence du streaming, qui connaît un essor fulgurant, va mettre un terme à cette expansion. Rien ne prouve encore que ce scénario va se réaliser, d’autant que l’offre du cinéma évolue pour être toujours plus compétitive. À quelles évolutions faut-il s’attendre à moyen terme ?
1_Samsung 3D Cinema LED_2.jpg

 

Marketing digital : des mutations à grande échelle

Les sites web, les applications mobiles et la vente de tickets en ligne ont déjà bouleversé la relation du spectateur au cinéma (en France, plus des trois quarts des sorties en salles commencent par une visite sur Internet). Cette révolution va se poursuivre avec un impact d’autant plus fort que les applications du marketing digital peuvent essaimer très rapidement dans les salles, contrairement à des investissements plus lourds tels que les systèmes de projection laser. Deux innovations, susceptibles l’une et l’autre de créer une disruption, peuvent être évoquées : Moviepass et SmartPricer.

Moviepass est une formule d’abonnement qui permet d’aller au cinéma une fois par jour dans à peu près n’importe quelle salle pour un peu moins de 10 dollars par mois (9,95 $). Moviepass fonctionne actuellement dans 91 % des salles américaines.

Lancée en 2011, cette « carte » a d’abord été vendue 50 $ par mois puis 20 $ avant de descendre à 9,95 $ en août 2017. C’est là qu’elle a vraiment décollé, drainant plus d’un million d’abonnés en un mois, un record : il en a par exemple fallu cinq à Spotify et dix à Hulu pour générer autant de souscriptions. Moviepass devrait atteindre les trois millions d’abonnés d’ici la fin de l’été.

Mais le système coûte aujourd’hui beaucoup plus qu’il ne rapporte : pour chaque place vendue, Moviepass reverse le prix d’un ticket normal aux cinémas partenaires. Et comme les abonnés font bon usage de leur carte (plus de deux entrées par mois en moyenne), la société encaisse de lourdes pertes (plus de 20 millions de dollars par mois).

Les doutes sur la pérennité de Moviepass sont de plus en plus forts, aussi bien du côté de la bourse américaine que des professionnels du cinéma. AMC, le premier exploitant américain, qui n’a jamais cru à la viabilité de l’offre, même si la carte Moviepass est acceptée dans ses établissements, vient de lancer sa propre formule : trois films par mois pour 19,95 $.

« Trop beau pour être vrai ». C’est ce que beaucoup d’analystes ont pensé quand Moviepass a lancé sa formule à 9,95 $ en août dernier. L’écart de prix avec l’offre AMC ne peut que les conforter dans ce jugement. Au printemps, Moviepass a pourtant surenchéri en lançant, pour une durée limitée, une deuxième formule à 7,95 $ permettant de voir trois films par mois.

 

 

Aggravation des pertes en perspective ?

Moviepass cherche à faire valoir la viabilité de son offre à long terme : 6 % du box office américain sont réalisés aujourd’hui grâce à sa carte (plus d’un million de tickets du film Black Panther ont été vendus par son intermédiaire). Si sa contribution aux ventes de tickets continue à croître, Moviepass peut envisager de négocier des accords avec les exploitants pour récupérer au moins une part des recettes de confiserie (que les détenteurs de Moviepass achètent d’autant plus volontiers que le prix du ticket leur paraît indolore).

Moviepass envisage aussi de passer des accords avec les producteurs : un film promu efficacement sur son application mobile (c’est-à-dire auprès de la bonne cible, sur la base des données que Moviepass est en train d’engranger sur les goûts et les habitudes de ses clients) peut booster la carrière d’un film en salles et donc sur les autres supports de diffusion (streaming…). Moviepass pourrait alors revendiquer une part des recettes des ayants droit sur la diffusion des films.

Pour contrer Netflix, la bête noire des exploitants américains, quoi de mieux qu’un Netflix du cinéma donnant accès aux films sur grand écran pour un prix d’abonnement mensuel équivalent ? Il faut déjà que Moviepass passe le cap de la tourmente financière actuelle. Si elle n’y parvient pas, il paraît clair, vu le succès qu’elle rencontre auprès des spectateurs, que d’autres formules, sûrement moins généreuses, prendront le relai.

Smartpricer a lancé un autre principe qui pourrait se répandre dans le futur : appliquer aux ventes de tickets de cinéma sur Internet les recettes du marketing digital en vigueur pour les places d’avion, les chambres d’hôtel… Fin 2017, la startup Smartpricer a vendu sa solution de « tarification dynamique » à la filiale allemande d’un des principaux circuits de salles européens, UCI, après que l’exploitant l’ait testée pendant deux ans dans quelques établissements. United Cinema Chain, la principale chaîne de cinémas russes, teste à son tour la solution de Smartpricer.

Les prix des places peuvent évoluer en fonction de paramètres variés : délai entre le moment où le ticket est acheté en ligne et la séance, jour et heure de la projection, situation du fauteuil dans la salle (rangs de devant, du milieu…), « fraîcheur » du film, météo… À l’exploitant de choisir les paramètres qu’il juge les plus pertinents pour stimuler les spectateurs et remplir ses salles.

Si les prix des places jouent constamment au yoyo, la tarification dynamique peut susciter la méfiance. Pour l’éviter, Smartpricer mise sur la transparence de l’offre (les exploitants doivent fournir au public des informations claires sur leurs principes de tarification) et sur le fait que les spectateurs doivent pouvoir obtenir un tarif jugé avantageux quelle que soit la séance. Vendre les places les moins bien situées à des prix plus attractifs est un moyen d’y parvenir, mais il faut que les places soient vendues au numéro, une pratique très répandue dans les salles allemandes ou anglaises, mais très peu développée en France pour l’instant.

 

 

De plus en plus de technologies dans les grands multiplexes

Dans son rapport sur l’avenir des salles de cinéma publié en 2016, Jean-Marie Dura notait un retour de l’activité commerciale dans les centres-villes aux dépens de la périphérie dans plusieurs pays d’Europe. Il en concluait notamment que les grands multiplexes, éloignés pour la plupart des cœurs de ville, devraient proposer des expériences toujours plus innovantes et impressionnantes pour continuer à faire le plein de spectateurs.

Le phénomène du retour en centre-ville n’est pas encore très marqué en France – il l’est plus en Grande-Bretagne par exemple – mais cela n’empêche pas les multiplexes d’investir de plus en plus massivement dans des solutions technologiques innovantes.

L’essor de la projection à haut contraste (high dynamic range) en est actuellement l’illustration la plus marquante : une quarantaine d’écrans se sont équipés en Eclair Color (la solution HDR la plus abordable) au cours des deux dernières années en France ; CGR a installé sa solution ICE dans quatorze de ses salles depuis début 2017 et Dolby Cinema va être implanté dans sept cinémas Pathé (trois ont été déjà équipés depuis le mois de novembre dernier). S’ajoutent à ces solutions de projection hors normes les systèmes de son multidimensionnel : Dolby Atmos, emblème du son immersif, équipe désormais quelque 200 écrans en France.

L’attrait des spectateurs pour ces solutions haut de gamme est fort, même si les salles qui les proposent pratiquent généralement des prix de place sensiblement plus élevés. Il paraît inévitable qu’un nombre croissant de multiplexes de périphérie équipent au moins un de leurs écrans avec ces systèmes de projection exceptionnels, ne serait-ce que pour éviter la désaffection d’une partie de leur clientèle au profit d’établissements concurrents qui en seraient déjà dotés.

Outre les solutions de projection et de son, il faut mentionner le procédé de fauteuil intelligent (4DX), conçu pour simuler les mouvements de l’image mais aussi le vent, la pluie… On a longtemps dit que cette innovation conviendrait mieux aux marchés émergents du cinéma (Chine…) qu’à ses « vieux » territoires habitués à des expériences cinématographiques plus classiques mais le 4DX est en train de gagner l’Europe : il va être notamment installé d’ici 2020 dans cinquante salles Gaumont Pathé, dont quatorze en France.

 

 

Cinémas de centre-ville : diversification et nouvelles technologies ?

Si les salles urbaines peuvent profiter d’une reprise de l’activité commerciale dans les cœurs des villes, Jean-Marie Dura estime dans son rapport que la fragilité économique à laquelle est confrontée une bonne part de ces structures (malgré les aides de l’État) ne peut pas être atténuée sans changements structurels. Ces derniers passeraient notamment par une diversification de la programmation (concerts, opéras, conférences…), permettant de compenser les aléas de l’exploitation des longs-métrages, et par le développement d’activités annexes (restauration…).

Il est intéressant de noter que des offres de programmes destinées à enrichir la programmation des salles indépendantes sont en train de naître aux USA. Deux annonces ont été notamment faites à l’occasion du dernier Cinemacon.

Eclair USA (groupe Ymagis) met désormais à la disposition des salles du Cinema Buying Group (CBG, une structure collective d’achat regroupant 1 100 salles américaines) un catalogue de films indépendants sur sa plate-forme EclairPlay. Nagra, filiale du groupe Kudelski, propose également aux salles du CBG un catalogue de contenus téléchargeables en ligne, baptisé Mycinema. Il s’agit, dans ce second cas, de programmes alternatifs (sport, concerts…) dont une partie sera diffusée en direct. Des offres équivalentes arriveront très vraisemblablement en Europe sous une forme ou une autre.

La diversification de la programmation et le développement d’activités annexes ne seront peut-être pas les seules mutations que les salles de centre-ville sont susceptibles de connaître. Elles pourraient aussi expérimenter une nouvelle révolution technologique après celle du passage à la projection numérique : Samsung vient de lancer la commercialisation d’Onyx, une solution d’écran LED

En abolissant le projecteur placé en fond de salle, Onyx simplifie les principes de la projection. Samsung garantit en outre que son système permet d’obtenir une gamme de couleurs plus riche et augmente significativement le niveau de contraste (Onyx produisant notamment des teintes noires plus profondes).

Même si la solution de Samsung ne fait pas l’unanimité (certains parlent d’une image trop télévisuelle), elle suscitera certainement l’intérêt des exploitants installés dans les centres-villes : simplifier les principes de projection est un moyen de gagner de la place dans des établissements qui peuvent difficilement gagner de la surface alors qu’il leur faudra logiquement plus d’écrans s’ils se lancent dans une stratégie de diversification de leur programmation.

Les projecteurs « classiques », destinés aux écrans de petite taille, autorisent toutefois les mêmes gains de place. Ils sont suffisamment compacts pour se passer de cabine (les accrocher au plafond, dans la salle, est parfaitement envisageable et déjà communément pratiqué). Sur le marché des salles de centre-ville, il faut s’attendre à une rude compétition entre les prestataires de la projection « traditionnelle » (laser ou xénon) et les promoteurs de la rétroprojection Led.

 

 

Onyx de Samsung

La technologie Onyx Cinéma Led a été développée avec le soutien des studios hollywoodiens et elle est bien évidemment compatible DCI. L’agrément a été obtenu en mars 2017. La technologie offre un contraste et une luminosité bien supérieurs à ce qui peut se trouver dans les salles actuelles. Samsung parle de contraste infini (Infinité : 1) ; il est vrai que pour faire du noir, il suffit d’éteindre les diodes (le noir est vraiment noir et les blancs très blancs !). L’écran est compatible HDR et la version est 4K et 3D.

À la différence d’une projection conventionnelle, la technologie Cinéma Led permet d’avoir une couleur uniforme sur tout l’écran, y compris sur les bords ; il n’y a pas de hot spot lumineux. Lors d’une projection 3D avec des lunettes, la luminosité est de 300 nits, ce qui permet d’apprécier la luminosité et une 3D plus réaliste.

Cette nouvelle technologie d’écran va changer la morphologie des salles, modifier le gradinage et permettre de développer de nouveaux services. Certains exploitants envisagent de proposer des dîners avec une ambiance lumineuse normale.

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 94/98. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.