Mipcom 2019 : à l’ombre des plates-formes

Nul doute que l’édition 2019 du Mipcom aura été l’année de l’avènement des plates-formes de streaming dans toute sa diversité. Avec pas moins de 450 acteurs représentés, dont 15 nouveaux sur cette seule édition, plus que jamais le marché des programmes aura rimé avec SVOD, AVOD et OTT...
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Avec 13 500 professionnels accrédités – un très léger recul par rapport à 2018 – venus de 111 pays, le Mipcom 2019, qui s’est déroulé du 14 au 17 octobre, a surfé sur la vague du streaming en proposant de nombreux rendez-vous avec les mastodontes du secteur, les futurs challengers et les nouveaux outsiders de la VOD. Côté technique, l’adoption du 4K UHD et du 8K reste encore insuffisant, bien que la demande de la part des chaînes, NHK en tête, soit toujours aussi pressante.

 

Netflix : leader aux (futurs) pieds d’argile ?

Si, il y a encore peu, Netflix était sur toutes les lèvres et sujet de toutes les inquiétudes, la plate-forme fait désormais office de mesure étalon. En effet, quelque 450 services de streaming – gratuits ou payants, locaux ou internationaux – avaient fait le déplacement à Cannes pour présenter leurs offres.

Il faut dire que Netflix, bien que toujours en « pole position », est talonné par de nouveaux entrants. Ainsi que l’ironisait Reed Hastings, le concurrent de Netflix en 2017 était le sommeil ; en 2019, c’est Fortnite. Le géant américain a, en effet, vu le nombre d’heures de visionnage par abonné baisser de 617 à 616 heures aux États-Unis entre 2015 et 2018, de 600 à… 410 au niveau international sur la même période selon l’étude de Midia Research. Et la prochaine vague constituée de Apple TV+, Disney +, Amazon, HBO Max ou Peacock (groupe NBCUniversal) devrait continuer à éroder les abonnements, en dépit d’une politique de productions « fraîches ».

En outre, la stratégie de Disney+ de proposer une diffusion hebdomadaire de ses prochaines séries, ce que même Netflix a choisi de faire pour ses reality shows, permet de fidéliser l’audience et de mieux monétiser les contenus. À titre de contre-exemple, 18,2 millions de foyers avaient binge-watché la saison 3 de Stranger Things, quatre jours après sa mise en ligne !

C’est donc Amazon qui a fait le show « à la Netflix » : discours policé, éléments de langage bien rôdés et… peu d’annonces. Tout au plus, James Farrell et Georgia Brown, directrice des créations originales européennes, ont-ils évoqué une stratégie de productions ancrées sur les territoires d’origine, choisissant le mode de collaboration avec les producteurs de façon « pragmatique » en termes de partage des droits. Amazon Studios Europe a ensuite dévoilé sa « dream team » européenne, dont Thomas Dubois pour la France, en charge du recrutement de projets non scriptés. Les autres pays sur lesquels mise Amazon sont, sans surprise, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

 

OTT en Asie : penser « glocal »

Outre les États-Unis, il fallait regarder du côté de l’Asie pour mieux apprécier l’ampleur du déploiement des plates-formes OTT. À Singapour, le service de VOD HOOK, né en 2015 dans le cadre d’une joint-venture entre Sony Pictures, Warner Bros et Singtel, est présent dans cinq pays et propose un catalogue de films hollywoodiens… tout en produisant sur 2019 dix programmes originaux. « Lorsqu’on souhaite toucher un public international, explique Jennifer Batty, COO de HOOK, on doit d’abord penser à un marché local qui regarde des programmes internationaux ».

Cette notion de « glocal » fait également partie de la réflexion du service de streaming indien ZEE5 : « Le marché international est très fragmenté et nous savons que nous ne pouvons pas adresser l’ensemble du spectre. En ayant cette double approche, on peut parvenir à toucher 1 à 2 % de la population, ce qui, sur un pays comme l’Inde, est énorme. »

JKN, située en Thaïlande, mise sur tous les tableaux depuis sa création en 2013 : télévision linéaire, SVOD et AVOD. « L’idée n’est pas de prendre du temps à la télévision linéaire mais de prendre du temps sur la journée », résume Anne Jakrajutatip, CEO. « Sur la région Pacifique, nous misons énormément sur les temps de circulation dans les transports avec des formats courts que l’on peut facilement visionner. »

 

La Chine mise sur le web et les jeunes

Tout comme les Américains de Tubi, les plates-formes chinoises clament haut et fort leur intérêt pour la jeune génération ou GenZ. Avec ses 96,9 millions d’abonnés, Tencent Video mise sur une stratégie de partenariats (BBC, HBO, Netflix, Fox ou encore NHK) pour le catalogue et les coproductions selon une approche désormais clairement identifiée : « raconter des histoires chinoises avec une perspective internationale ».

Pour le site de partage de vidéos Bilibili (plus de deux millions de vidéos uploadées chaque mois), la cible est le/la jeune Chinois(e) de moins de 24 ans. « La génération Z, digital native, avec un bon niveau d’éducation et aisé financièrement, représente 328 millions de personnes, soit 24 % de la population », explique Carly Lee, chief operating officer de Bilibili. « Nos utilisateurs passent en moyenne 78 minutes sur le site pour environ 1,1 million d’actifs chaque mois. »

Outre le partage de vidéos, Bilibili s’est également lancé dans la coproduction d’animation : « Sur les trois dernières années, nous avons coproduit 71 longs-métrages chinois, 16 en coproduction internationale, 45 séries avec le Japon et préparons un nouveau long-métrage avec Sony Pictures ». Déjà présent à Sunny Side of the Doc, le site cherche également à produire du documentaire et des collections sont actuellement en cours avec BBC Earth, NatGeo, NHK ou encore Discovery.

Dans la même veine, Mango TV avance le chiffre de 66 % de ses utilisateurs âgés de moins de 24 ans. La plate-forme cherche à nouer des partenariats de coproduction dans une double perspective : toucher le jeune public chinois… et internationaliser l’audience. Pour preuve, ils ont coproduit une série de télé-réalité The Day I Ran China, avec Discovery et lancé dans la foulée une app. qui a atteint 10,8 millions de téléchargements dans… 195 pays !

 

Se démarquer par le contenu

Pour les « petits acteurs », le contenu prime sur l’offre de services. C’est en tout cas ainsi que DocuBay, une plate-forme de streaming de documentaires lancée en août 2019, souhaite se démarquer et prendre de l’abonnement sur un marché indien déjà bien encombré avec 34 offres OTT « locales ». En proposant un nouveau documentaire chaque jour sur les thèmes classiques (nature, voyage, culture, science), DocuBay s’adresse avant tout à un public anglophone.

En cherchant à se rapprocher de niches d’audience, les plates-formes de moindre envergure jouent la carte du « less is more ». Comme le soulignent les Britanniques de Britbox, née de la joint-venture entre la BBC et ITV, « nous ne pourrons jamais concurrencer Netflix, mais en ayant une offre pointue ou glocale, nous pouvons obtenir plus d’opportunités ». Le site de streaming de Britbox s’appuie sur le catalogue fort riche des deux diffuseurs anglais, mais envisage également de coproduire des séries « fraîches » dans un proche avenir.

Ce lien entre linéaire et OTT est également présent en Suède avec C More, service de SVOD et AVOD… tout en continuant à diffuser ses programmes en linéaire. « Nous sommes dans une configuration proche de celle de France Télévisions avec le linéaire qui génère des revenus nous permettant d’investir dans le numérique ». À moins que les revenus publicitaires ne basculent sur d’autres modèles…

 

AVOD : passez-moi la pub !

Et visiblement, l’AVOD (advertising supported video on demand), après des années de purgatoire, semble reprendre des couleurs. Comme le résume Olivier Jollet, managing director de Pluto TV, « l’AVOD a longtemps été considéré comme le bad boy de la VOD… mais c’est en train de changer. » Avec l’offre de streaming gratuit la plus large aux États-Unis et désormais sur les marchés de langues anglaise et allemande, Pluto TV se veut un complément de la SVOD. « La gratuité est incontestablement attractive pour le téléspectateur qui ne peut pas payer pour plusieurs services par abonnement. »

Pour autant, difficile d’admettre qu’on souhaite ajouter de la publicité au visionnage de ses programmes préférés. « La publicité doit s’adapter elle aussi à ce nouveau canal de diffusion pour s’intégrer de façon transparente », explique Jennifer Vaux, directrice en charge de l’acquisition des programmes pour la chaîne The Roku Channel, du groupe Roku. « Il faut à la fois plaire à l’audience et plaire aux clients. Avec des publicités ciblées et une stratégie publicitaire conçue en fonction du pays de réception, on peut tout à fait proposer un contenu de qualité en plus des programmes. »

Jacinto Roca, CEO de Rakuten TV déjà disponible dans 42 pays via les smart TV, en a profité pour annoncer à Cannes le lancement du service AVOD Rakuten avec une dizaine de chaînes thématiques. « Le Branded content ou contenus de marques dans un service AVOD va également avoir un impact sur la publicité plus classique que l’on voit sur les chaînes linéaires. Ce peut être une étape importante pour l’évolution de la publicité d’un point de vue général. »

Et Olivier Jollet de conclure par une note optimiste : « les revenus générés par l’AVOD sont significatifs et si cela peut permettre de soutenir la création de contenus, c’est parfait ! »

 

Twitter, « l’ami de la télé »

« Twitter aime la télévision et la télévision aime Twitter », a asséné Kay Madati, global vice-president and head of content partnerships de Twitter devant un parterre de producteurs et diffuseurs lors de sa keynote. Pour la plate-forme conversationnelle, la stratégie actuelle est de proposer aux utilisateurs les contenus premium des chaînes afin d’accroître leur monétisation et de renforcer leur image.

Avec plus de 950 partenariats conclus avec les plus grandes chaînes et groupes du monde, Twitter est devenu un acteur incontournable de la stratégie de distribution des contenus sur le linéaire. Parmi ceux-ci, Eurosport a même conçu des contenus spécifiquement pour Twitter, complémentaires du programme linéaire : « ces contenus sont multi-plates-formes pour augmenter encore plus l’interdépendance entre les canaux », a expliqué Paul Rehrig, directeur général de Eurosport Digital. Pas de recette toute faite pour ces contenus de complément : « Tout se joue en fonction du programme linéaire, l’idée étant d’accroître la visibilité. »

Et de visibilité, il en sera question dès 2020 avec les Jeux Olympiques du Japon puisque la chaîne a annoncé un accord exclusif. « Eurosport publiera des temps forts (highlights) inédits pendant la durée de l’événement uniquement sur le fil Twitter de la chaîne », a annoncé Paul Rehrig.

 

NHK : le 8K, un an après

Les premiers retours après une année de diffusion de programmes 4K et 8K par la NHK sur les chaînes BS4K et BS8K sont plutôt positifs, a avancé Atsushi Muramaya, chief of secretariat for 8K Production, lors d’une présentation en forme de bilan et prospective. « Malheureusement, il n’y a pas encore assez de producteurs et de réalisateurs qui s’en emparent », tempère-t-il. Même si le groupe audiovisuel a soutenu treize productions 8K cette année, dont deux longs-métrages cinéma, force est de constater que le compte n’y est pas encore. Certaines initiatives comme celles menées par Paramax – la captation 8K du Malta Jazz Festival ou long-métrage « Music Hole » – sont naturellement dans le viseur de la NHK, mais c’est encore insuffisant.

En attendant les Jeux Olympiques de 2020, qui devraient être – c’est en tout cas ce qu’on s’accorde à dire chez les soutiens du 8K – un facteur de changement majeur dans l’adoption de ce format, la NHK jette donc ses filets tous azimuts pour trouver des contenus : « On ne veut pas du 8K avec le style NHK mais bien des contenus ayant une certaine particularité dans le ton et le traitement. » Et c’est en Chine que la collaboration semble avancer. Cette coproduction avec Beijing TV est une première avec ce format… et à l’antenne. Intitulé Under the Sea of Clouds, le documentaire de 45 minutes, tourné avec des caméras Red Raw, nous emmène sur le plateau tibétain du mont Miniya Konka pour des images assez saisissantes.

La plupart des écrans TV en Chine étant en 4K HDR et la grande majorité des productions se réalisant en UHD, la NHK mise donc sur une collaboration pérenne avec le pays voisin. Deux autres projets documentaires sont actuellement en cours avec Beijing TV, ainsi qu’un documentaire sous-marin en 8K UHD… avec la Corée.

Forte de ses expériences de production passées, la NHK Sciences s’est penchée sur une rationalisation du workflow 8K visant à baisser les coûts. Takeshi Shibasaki, senior producer à la NHK, explique : « Nous avons constaté que nous pouvions nous affranchir de l’étape de conversion 8K en 2K pour le montage puis la conformation pour réduire les temps de postproduction. En passant directement de l’ingest 8K à un montage en 8K, nous sommes parvenus à obtenir jusqu’à 50 % de temps en moins avec des moyens humains inférieurs. »

Pour le documentaire Ancient Maya – The Great Excavation, finalisé en octobre 2019, le montage 8K s’est déroulé sur un mois seulement pour un planning total de trois mois avec 9 To de données et une équipe de seulement quatre personnes.

 

Quand la 4K se pique d’animation

On en parle assez peu mais il est vrai que l’animation est un secteur où la 4K a son intérêt. Pour Kosuke Suzuki, de la société japonaise TMS Entertainment, « dans cette période où on parle beaucoup de 4K et 8K, l’animation traditionnelle en 4K est de façon étonnante assez rare. L’animation CG peut être rendue en 4K, mais celle traditionnelle est quasi inexistante, notamment en raison de la taille du dessin que devraient réaliser les animateurs. »

La solution mise en place par TMS est de créer des datas 4K à partir de scans 35 mm : les films sont scannés, restaurés, les sons séparés et mixés et les couleurs méticuleusement corrigées en 4K HDR. TMS a présenté plusieurs réalisations effectuées sur des productions emblématiques comme Space Adventure Cobra (1982) d’Osamu Dezaki, Lupin III (Edgar, le détective cambrioleur pour la diffusion française) ou encore The Champion Tomorrow’s Joe, sorti en 1981. Le scan 4K HDR et son original ont permis de mieux apprécier la différence sur l’écran Sony 4K : luminosité plus intense, couleurs plus riches avec, pour certains arrière-plans des rendus proches de la prise de vue réelle.

Bien évidemment, ce transfert en 4K a un coût humain et technique : « Il n’y pas de processus complet automatisé, ce qui implique une phase manuelle assez importante qui impacte le budget », explique le directeur des licences de TMS. « Nous ne pouvons réaliser que deux films par an maximum et ce, d’autant que le circuit de distribution ne répond pas encore présent face à cette plus-value artistique. » Mais le studio présume sur la mise en valeur du travail de restauration d’un patrimoine qui a de plus en plus d’aficionados.

 

TUBI, L’ALTERNATIVE GRATUITE À NETFLIX

Farhad Massoudi, CEO de Tubi, la plate-forme nord-américaine gratuite de streaming en AVOD, s’est fait largement remarquer durant le Mipcom en annonçant pour début 2020 son implantation au Royaume-Uni, premier étage d’une fusée pointant droit sur l’Europe. Tubi ne veut pas concurrencer Netflix, mais apporter un complément via une offre de programmes existants au travers d’un procédé de machine learning.

Sans chercher à coproduire, Tubi se dit prêt à diffuser des contenus premium, qu’il s’agisse de séries, de films… et de programmes jeunesse. Tubi a d’ailleurs profité de sa présence à Cannes pour annoncer le lancement fin octobre de Tubi Kids, dans un premier temps aux États-Unis, une offre incluant près de 1 200 programmes spécifiques aux plus jeunes : séries, longs-métrages, etc.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.114/116. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.