Projeter en Ultra Panavision 70 mm : un défi technique ?

Quentin Tarantino a insisté auprès de son producteur, Harvey Weinstein, pour que Les huit salopards puisse être montré aux spectateurs dans son format d’origine et donc en Ultra Panavision 70 mm. De par le coût des tirages pellicule (chaque copie coûte plusieurs dizaines de milliers de dollars, sans compter les frais de transport…), il était impossible de présenter le film exclusivement dans ce format. En parallèle de son exploitation 70 mm dite « Roadshow » aux USA, il est donc distribué en numérique classique (4K) avec un montage sensiblement différent par rapport à la version argentique. (1)
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Le coût des tirages pellicule n’est toutefois pas la seule contrainte d’une sortie en 70 mm. En effet, de très nombreuses salles ne sont plus équipées de projecteurs capables de jouer des copies 35 mm (et encore moins de 70 mm). Autre difficulté (et non des moindres) : peu de cinémas ont encore le personnel technique compétent pour gérer correctement ce type de séance exceptionnelle.

En France, quelques salles réunissent encore ces conditions ou ont fait les investissements nécessaires pour les réunir à nouveau le temps de quelques séances. C’est le cas du Grand Rex (pour l’avant-première), du Grand Mercure d’Elbeuf, de l’Apollon Ciné 8 de Rochefort, du Cézanne d’Aix-en-Provence, du Gaumont Marignan et du Kinepolis de Lomme. C’est dans ce dernier cinéma que nous avons pu assister aux préparatifs et à la projection en Ultra Panavision 70 mm. 

 

Installation et réglages

Le matin même de la projection, le film de presque trois heures a été livré sous la forme de deux gigantesques bobines qui constituent la première et la deuxième partie. Selon les souhaits du réalisateur, le film possède une introduction sonore et un entracte. Ce dernier laisse le temps au projectionniste de charger la deuxième partie du film. Au Kinepolis de Lomme, c’est un opérateur aguerri et expérimenté au format, Franck Nis, qui est aux commandes. C’est lui qui a notamment reconditionné le projecteur pour qu’il puisse à nouveau tourner du 70 mm.

La pellicule circule dans un réseau de galets jusqu’au projecteur et se rembobine sur un plateau libre. Le chargement du film dans le projecteur lui-même fait l’objet de toutes les attentions de la part de l’opérateur, qui a conscience de la valeur de la copie. Franck Nis insiste ainsi sur le fait qu’une seule mauvaise manipulation peut définitivement la détériorer (rayures…). Un technicien de la société 2AVI, mandatée par le distributeur français du film (SND), veille attentivement à ce que la bobine soit parfaitement préparée et chargée.

Les copies 70 mm ont toutes été tirées par le laboratoire Fotokem aux USA. Elles ne sont donc pas sous-titrées en français. Pour assurer la diffusion des sous-titres, un petit vidéoprojecteur est placé en cabine. Il est synchronisé avec le défilement de la pellicule. Le son (entièrement numérique, lui) est assuré par un lecteur DTS XD10. Les données numériques de la piste sonore sont ainsi synchronisées avec un signal horloge (time-code) présent sur la copie 70 mm.

 

Une expérience rare !

Après une instructive présentation en salle par un spécialiste du format, François Carrin, la projection commence sur un imposant écran de vingt mètres de base. Dès les premières images, on ressent le « vibrato » de l’argentique. En effet, ce n’est pas un fichier électronique qui est diffusé mais une pellicule entraînée mécaniquement dans un projecteur. Il y a donc une infime vibration dans la fixité, une forme de pulsation oubliée depuis l’avènement du tout numérique.

La dimension organique des images saute littéralement aux yeux. Il y a un piqué, une luminosité et un contraste qui explosent dans quasiment tous les plans. Les magnifiques paysages naturels sont alors sublimés. Mais, en tant que spectateur, le 70 mm est capable de nous surprendre, même dans des moments intimistes à l’image d’un gros plan saisissant sur le visage de Samuel L. Jackson dans la diligence. Le format établit alors une proximité inédite avec les personnages et donc avec l’histoire que l’auteur cherche à nous raconter.

En argentique, l’œuvre se confond avec son support. Et, le temps de ces quelques projections, on pouvait effectivement se sentir plus proche de l’œuvre. Un plaisir immédiat et impossible à reproduire chez soi que l’on espère revoir bientôt. Le prochain film de Christopher Nolan consacré à l’évacuation des alliés à Dunkerque en 1940 sera tourné en Imax pellicule et en 70 mm. Interstellar avait bénéficié de tirages dans ces deux formats, mais majoritairement aux USA. Rendez-vous pris en 2017 ?

(1) Extrait de notre article « Tarantino, son dernier film est en Ultra Panavision 70 mm » paru en intégralité, pour la première fois, dans Mediakwest #15, pp66-68. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.