Du 10 juin au 10 juillet, à l’occasion de l’Euro de football, l’heure était à la mobilisation. Des vingt-quatre équipes finalistes, bien sûr, et de leurs milliers de supporters en villégiature en France, mais aussi des 1 900 professionnels, intermittents pour la plupart, en charge de la production de l’événement et… des inspecteurs du travail.
« Nous sommes prévenus que des contrôles seront menés à l’IBC et sur les stades afin de s’assurer que tant les prestataires d’UEFA Euro 2016 – la société créée pour l’occasion – que les diffuseurs présents sur place respectent la législation française en la matière », annonçait Franck Choquard, directeur d’European Production Coordination (EPC/Eurovision), une structure créée en 2008 par l’Union européenne de radio-télévision (UER), quelques jours avant le début de la compétition.
Que ce type d’événement puisse favoriser les entorses au droit du travail (un jour de repos par semaine et une durée maximale hebdomadaire de 48 heures, ou 60 heures par dérogation) n’a en réalité rien d’étonnant. L’athlétisme en fournit un exemple. « Les sessions du matin commencent à 8h30, ce qui veut dire qu’il faut être présent dès 6h30. Les épreuves durent jusqu’à 13 heures, avant de reprendre à 16 heures. Mais le break de trois heures ne donne pas le temps de rejoindre son hôtel. Et elles se terminent à 23 heures. C’est très long et c’est tous les jours », rapporte cet ingénieur du son belge, qui a notamment travaillé sur les Mondiaux de 2011 en Corée du Sud.
Au demeurant, il est courant que des événements internationaux fassent appel à des ressources extérieures, à la demande parfois des organisations sportives elles-mêmes. Ainsi, l’Union cycliste internationale (UCI), soucieuse d’uniformiser la production de toutes les manches de la Coupe du monde et du championnat du monde de cyclo-cross, impose le même réalisateur. Et des équipes étrangères peuvent offrir une plus grande valeur ajoutée dans le traitement de certains sports, comme les Suédois ou les Norvégiens sur le biathlon.
« Dumping social » et salaires
Pour autant, le principal motif de ce recours à l’international est d’ordre économique. Comme lors du championnat du monde de hand-ball à Paris, en 2001, filmé par des équipes et des cars espagnols, moyennant des prix alors inférieurs de 30 % à ceux pratiqués par les Français.
Plus récemment, durant l’été 2012, la production des matchs de Ligue 1 sur beIN Sports, confiée à l’espagnol Mediapro et sa filiale française Imagina, ranima la polémique. Le « collectif des techniciens intermittents de l’audiovisuel » avait alors accusé le prestataire de « dumping social » en favorisant l’emploi de « techniciens espagnols ou portugais » au détriment de « techniciens français qualifiés », et dénoncé une baisse des salaires.
Pour une pige de 8 heures, ceux-ci varient selon l’ancienneté et les acquis de certains. Ainsi, les minima conventionnels, révisés pour la dernière fois en juillet 2015 à l’heure où nous bouclons, s’échelonnent entre 157,15 € (barème M1) et 165 € (barème M2) pour un cadreur, un technicien vidéo ou encore une scripte. À quoi s’ajoute un tarif super dérogatoire, qui s’applique uniquement les jours de direct sur des opérations en extérieur, fixé à 207,74 € brut sur le service public, et entre 225 et 231 € sur d’autres chaînes pour un cadreur, par exemple, et 300 € pour un truquiste. Sans compter, le cas échéant, une majoration de 50 % les dimanches et jours fériés, qui passe à 100 % le 1er mai, et le paiement des heures supplémentaires ou des indemnités de transport, calculées en fonction du temps de voyage et du lieu de production.
Comme les cadreurs et les opérateurs ralentis, les réalisateurs comptent parmi les personnels dits « artistiques ». À la base, ce sont des intermittents comme les autres, qui ont le droit de travailler pour différentes chaînes, sauf ceux qui sont liés par un contrat d’exclusivité. Celui-ci fixe leur rémunération et leur garantit un certain volume de prestations en extérieur ou de plateaux télé par an, avec la possibilité d’en faire plus.
À Canal +, par exemple, ils sont cinq dans ce cas : deux pour le rugby (Laurent Daum, Sami Chatti) et trois pour le football (Jean-Jacques Amsellem, Laurent Lachand, Jérôme Revon). Ce dernier est l’un des rares en France à avoir monté sa société de production. À l’étranger, en revanche, nombreux sont ses confrères à avoir franchi le pas. À l’image du suédois Johan Bernhagen, spécialiste reconnu de l’athlétisme et du biathlon, à la tête de NCP.
Des contrats à géométrie variable pour les réalisateurs
En charge de dispositifs lourds et complexes sur le sport « premium », les réalisateurs contribuent, pour une part essentielle, à l’image de la chaîne dans l’opinion. Du coup, leurs cachets n’ont rien à envier à ceux des commentateurs et autres consultants-vedettes. Ainsi, selon notre enquête, les mieux payés empochent entre 200 000 et 400 000 € de gains annuels, lesquels, outre des prestations en extérieur, incluent éventuellement des émissions de plateau, une activité de conseil auprès d’instances sportives et des piges à l’international, payées au forfait entre 7 000 et 24 000 € pour un événement spécial, genre Tour cycliste ou autre.
Ces salaires ne correspondent pas seulement au travail fourni lors de la compétition, mais aussi à celui effectué en amont, typiquement pour le Tour de France. La préparation de la Grande Boucle commence avec les débriefings de l’édition précédente, à l’automne, et se poursuit sur le terrain, dès le mois de janvier, avec deux semaines de repérages, puis une en février, une en mars, une en avril et une dernière en mai. Ensuite, avec l’aide de son assistante, le réalisateur s’attèle à consigner dans un road-book les informations qui serviront aux pilotes hélico et moto. Au final, le Tour l’occupe contractuellement cent à cent dix jours par an.
Pour les autres courses de la saison cycliste française, chaque jour de direct est payé 1 250 €. De son côté, pour filmer les passing-shots et les services-volées des stars du tennis, le réalisateur en charge de la coordination du tournoi de Roland-Garros émarge à 2 000 € par jour, et ses collègues à 1 800 ou 900 €, selon qu’ils officient sur le Central ou le Lenglen, ou sur un court annexe.
Service public oblige, « ces salaires relèvent d’un barème extrêmement précis, selon le type de sport, le prestige de l’événement, l’importance du dispositif, l’horaire de diffusion, etc., couvrant une quarantaine de cas et validé chaque année par un contrôleur d’État, tout comme les cachets au-dessus de la norme, typiquement celui du réalisateur du Tour de France, qui bénéficie d’un contrat annuel estimé à 100 000 € », explique un proche du dossier.
De la même manière, un réalisateur de foot touchera 2 500 € pour un match « premium » en prime time, 1 800 € pour une rencontre à sept caméras sur France 4, par exemple, et 1 000 à 1 200 € pour un décrochage régional.
Même si certains sont payés 400 € la prestation, ces niveaux de rémunération sont, dans l’ensemble, supérieurs à ce qu’ils sont à l’étranger, notamment en Europe, où les salaires, typiquement pour des opérations orchestrées par l’UER, commencent à 200 € et oscillent entre 600 et 2 000 € par jour pour les réalisateurs, dont la rémunération moyenne n’excède pas cependant 1 000 €.
CDDU pour tous
Pour un employeur privé, le coût final se situe quelque part entre 35 et 55 % de son chiffre d’affaires. « Dans mon cas, les personnels intermittents représentent une masse salariale annuelle de 700 000 à 800 000 €. Sur les gros mois, avec deux cents intermittents pour la partie production, je suis à 100 000 €. Et à 15 000 € sur d’autres, avec une trentaine d’intermittents », détaille Vincent Wathelet, président de CIS SAM, une société monégasque qui dispose d’un fichier de mille noms pour des prestations dans le monde entier.
Autre exemple : AMP Visual TV consacre aux salaires de ses personnels (permanents et intermittents) 46 % de son chiffre d’affaires (108 millions d’euros), dans lequel l’activité sport, cars-régies et HF confondus, pèse 53 millions d’euros (49 %). Maintenant, dans la masse salariale de l’ensemble des intermittents, la part de ceux travaillant sur le sport entre pour 63 %, soit 14 400 000 € sur le dernier exercice comptable (1er avril 2015/31 mars 2016).
Pour compléter ses équipes de permanents sur les plateaux ou en extérieur, le prestataire embauche 3 000 intermittents par mois en moyenne, dont 1 900 pour le sport, sous contrat à durée déterminée d’usage (CDDU), ce pour quoi il a d’ailleurs obtenu la certification sociale.
Comme aide à la planification de quelque 4 500 tournages par an, dont parfois plus de quarante par semaine pour le sport, AMP Visual TV utilise un fichier de 2 600 noms. Ce précieux outil permet d’avoir une cohérence dans le choix des intermittents afin de limiter les frais de déplacement. Sauf que, sur certaines productions, le réalisateur a encore le pouvoir de choisir ceux avec lesquels il souhaite travailler, quitte à réduire le nombre de caméras, dans un contexte de resserrement budgétaire, et à laisser des personnels locaux, dont de nouveaux entrants, voire des permanents, désœuvrés.
« Aujourd’hui, certains n’arrivent plus à trouver assez de jours de travail en province et migrent vers les grandes villes, explique Gilles Sallé, son président. D’où un appauvrissement des ressources en local. Cela concerne surtout les personnels artistiques, moins polyvalents que les techniciens. C’est cette population qui nous fait parfois défaut et que nous devons renouveler sur nos agences. » [ndlr : Paris, Metz, Lyon, Toulouse, Nantes et Les Sables-d’Olonne].
En revanche, peu d’intermittents sont directement employés par les chaînes. Ainsi…
* Cet article est paru en intégralité pour la première fois dans Mediakwest #18, pp.78-81. Soyez parmi les premiers à lire nos articles en vous abonnant à notre magazine version papier ici
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