Vente en ligne des places de cinéma : pourquoi tant de disparités entre les pays ?

Un peu partout dans le monde, les exploitants de salles cherchent à développer les ventes de tickets sur Internet, avec des résultats très inégaux. En France, la part annuelle de tickets vendus sur le Web est estimée à 7%. Elle serait de 30% en Grande-Bretagne, 13% aux Etats-Unis et plus de 50% en Chine. Comment expliquer les écarts entre ces trois derniers pays ?
line-for-avatar-peace-cinemas-shanghai-china-11.jpg

 

Grande-Bretagne

Les Britanniques sont les champions de la vente de billets en ligne en Europe, même si les 30% annoncés n’émanent d’aucune étude officielle et sont donc à prendre avec précaution.

Le fait que la Grande-Bretagne devance ses voisins paraît logique puisque c’est l’un des pays européens où les consommateurs achètent le plus en ligne : d’après une étude publiée par Google en 2014, 32% des Britanniques ont réalisé des achats via leur smartphone cette année là contre 15% des Allemands et 8% des Français.

Le fait que de nombreuses salles anglaises offrent aux spectateurs la possibilité de choisir leur place à l’avance favorise aussi les ventes en ligne : quand on veut être sûr d’occuper les bonnes places, mieux vaut acheter ses tickets à l’avance sur internet plutôt qu’au guichet juste avant la séance, surtout les jours d’affluence (week-end…)

Une autre caractéristique de l’exploitation britannique joue en faveur de l’achat en ligne : le parc de salles est principalement détenu par des grands circuits qui ont les moyens d’investir dans des solutions en ligne performantes (site web, billetterie…).

On ne peut pourtant pas dire que les exploitants anglais font tout pour stimuler l’achat en ligne : le surcoût qu’ils appliquent aux achats de tickets sur internet varie, d’après une étude publiée par l’expert Stephen Follows fin 2015, entre 60 pence et une livre par ticket, ce qui représente au minimum 5% du prix du billet.

Diverses enquêtes, menées au Royaume Uni ou ailleurs, montrent que les consommateurs sont hostiles aux frais de gestion appliqués aux achats sur internet : ils ont du mal à en comprendre la justification, d’autant qu’il ont le sentiment de décharger le prestataire d’une partie du travail qu’il devrait accomplir s’ils achetaient en magasin (ou à la caisse d’un cinéma).

Les exploitants anglais ont tenté de justifier la majoration du prix du ticket sur internet mais la pression des spectateurs a été forte : Cineworld, deuxième exploitant du pays en nombre de salles, a fini par supprimer les frais de transaction en 2012… avant de les réintroduire en 2014. Récemment, c’est Odeon, le leader de l’exploitation en Grande-Bretagne, qui les a supprimés à son tour.

 

Etats-Unis

Au pays de la “plastic money”, le fait que seul un billet sur dix (13%) soit acheté en ligne peut sembler étonnant.

Contrairement aux Britanniques, les spectateurs américains n’ont pas l’habitude de choisir leur place à l’avance. Imax, qui a longtemps été l’un des rares exploitants à proposer la formule des sièges numérotés aux Etats-Unis, représentait selon une estimation faite en 2015 le tiers des réservations en ligne effectuées dans les salles du pays.

La vente de tickets sur internet a été en outre freinée par une organisation complexe et peu transparente pour les spectateurs : les leaders de la vente en ligne, Fandango et Movietickets, lancés tous deux en 2000, se sont partagés le marché en signant des contrats exclusifs avec les chaînes de cinéma. Ce duopole, que les exploitants ont organisé eux mêmes (les gros circuits figurent parmi les principaux actionnaires de Fandango et Movietickets), a perduré jusqu’en 2014.

Les exploitants américains ont-ils pris récemment conscience des bénéfices qu’ils peuvent tirer de la vente en ligne ? En tous cas ils font le maximum désormais pour la promouvoir : après avoir instauré il y a deux ans une vraie concurrence entre Fandango et Movietickets en les laissant travailler avec toutes les salles américaines, les circuits ont décidé d’ouvrir le marché à de nouveaux opérateurs (apparition l’an dernier d’Atom tickets, un prestataire spécialisé dans la vente de billets sur les téléphones mobiles) et ils sont de plus en plus nombreux à adopter le principe des places numérotées (dans les salles premium notamment).

 

Chine

Début 2015, la presse annonce que le box office chinois a progressé de 34% l’année précédente. Quelques mois plus tard, alors que les analystes n’en finissent pas de commenter cette croissance à deux chiffres, patatras ! On apprend que le taux de croissance de l’année 2014 a été largement surévalué.

Que s’est-il passé ? La surestimation est étroitement liée à la vente des tickets sur internet (censée représenter la moitié des billets vendus en 2014). Lawrence Wang, responsable en Asie de la société Movio (prestataire de solutions de marketing digital pour le cinéma), l’explique dans un article publié en mars 2015.

Les grands opérateurs internet chinois (Alibaba, Baidu, Tencent) se sont mis à préacheter massivement des places de cinéma auprès des exploitants pour les revendre ensuite en ligne aux spectateurs. Les circuits de salles en pleine croissance et donc sûrement très endettés, devaient être ravis de pouvoir écouler aussi facilement leurs billets, d’autant que les opérateurs les leur achetaient à bon prix. Lawrence Wang évoque des montants de transaction de cet ordre :

. prix du ticket au guichet : 40 yuans

. “prix de gros” payé par les opérateurs de télécommunications : 25 yuans

. prix de revente sur internet : 10 yuans

Quel intérêt pouvaient bien avoir les opérateurs internet à vendre 10 yuans des places achetées 25 yuans ?

Wang explique qu’Alibaba et consorts se sont lancés dans la vente dématérialisée de billets pour appâter les consommateurs chinois : en leur proposant des places au quart de leur prix, ils les ont incités à faire leurs premiers achats en ligne et les données de profil collectées grâce à ces transactions (âge, sexe des acheteurs,…) leur ont permis d’identifier les autres types de produits et services qu’ils pourraient proposer en ligne à chacun d’eux.

Si les exploitants chinois ont profité un temps des achats de tickets en gros, ils ont fini par en subir les effets pervers en perdant la maîtrise de leur politique tarifaire : comment vendre une place même à moitié prix au guichet d’un cinéma quand le client peut l’obtenir au quart de sa valeur sur internet ?

Comment les exploitants chinois peuvent-ils sortir de cette situation ? La fin de l’histoire reste à écrire. Toujours est-il que la surestimation du box office chinois en 2014 est due en grande partie au fait que les places achetées en gros ont été totalement comptabilisées dans les recettes annuelles des salles alors qu’elles n’ont été que partiellement écoulées sur le web par les opérateurs télécom. En 2016, le box office chinois a progressé de 3,7%, d’après le Hollywood Reporter.