Les résultats du POC organisé par Videlio et l’IIFA sur l’interopérabilité du ST-2110

L’intégrateur broadcast Videlio Media et l’institut de formation IIFA ont organisé début juillet 2019 un POC centré sur l’interopérabilité au niveau de la structure et du contrôle des flux audiovisuels, transmis selon le standard ST-2110 pour la production live en IP. Réunissant douze constructeurs, ils ont montré que le transport vidéo sur IP est devenu une réalité en déployant six workflows de production.
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Dans le domaine de la production vidéo live, la migration du câblage SDI vers des infrastructures tout IP est un mouvement inéluctable, en particulier grâce à la généralisation des interfaces 10, 25, 40 ou 100 Gb/s compatibles avec les débits nécessaires pour exploiter les flux non compressés, gérés par la norme SMPTE ST-2110.

Ces ports IP, destinés au transport en mode paquets des signaux vidéo et audio sans compression, sont de plus en plus présents sur les équipements de production : mélangeurs vidéo, processeurs, convertisseurs…

Après une première période centrée sur les normes SMPTE 2022, conçues dans une optique de transport global des signaux et de leur sécurisation, la norme ST-2110 répond en priorité aux besoins de la production au cours de laquelle il faut traiter de manière séparée chacune des « essences », la vidéo, les multiples pistes audio, les métadonnées, le contrôle et les références temporelles.

C’est pourquoi la norme ST-2110 est organisée en une longue série de chapitres (ST-2110-10, -20, -21, -30…), certains étant encore en cours de rédaction (voir tableau). La séparation des « essences » se prête bien à la mise en place des workflows média, dans lesquels chaque module est spécialisé pour traiter une essence donnée.

L’exploitation des équipements ST-2110 fait basculer l’univers traditionnel des broadcasters vers celui de l’IT et des réseaux IP pour lesquels les technologies et les procédures sont basées sur des concepts totalement inédits pour le monde de l’audiovisuel. La complexité de la norme ST-2110 et les nouvelles méthodes sur lesquelles elle s’appuie ne rassurent pas les exploitants et techniciens qui doivent entreprendre une véritable conversion culturelle.

Face à l’émergence de nouveaux projets basés sur le tout IP, les responsables de Videlio Media et de l’IIFA, un organisme de formation qui a déjà accompagné de nombreuses chaînes et équipes audiovisuelles dans ce travail de mutation vers l’IT, ont décidé d’organiser un POC (Proof Of Concept) pour vérifier l’interopérabilité des flux entre des équipements provenant de plusieurs constructeurs.

Outre cet aspect, il s’agissait également de montrer que la norme ST-2110 offre une véritable souplesse dans la gestion séparée des divers flux audiovisuels, à la fois pour optimiser au mieux la charge réseau, mais aussi offrir toute la souplesse indispensable en phase de production. L’une des fonctions clés d’une architecture tout IP est remplie par l’orchestrateur qui facilite le passage d’un workflow à l’autre et offre des outils de pilotage et des panneaux de commande similaires à ceux des régies câblées en SDI.

Enfin, le dernier objectif était de découvrir en configuration de production les bonnes pratiques de mise en œuvre de ces nouvelles architectures, leurs limites et les points à surveiller lors de la mise en place d’un système tout IP.

 

Douze constructeurs associés à ce POC

Au départ, les initiateurs du POC avaient prévu d’interconnecter cinq ou six équipements distincts fonctionnant en ST-2110. Mais devant l’intérêt suscité par une telle expérimentation, d’autres constructeurs ont contacté Videlio Media et l’IIFA pour s’y associer. Ce sont en définitive douze constructeurs qui ont participé au POC en mettant à disposition seize équipements distincts, le tout piloté par un orchestrateur Magellan d’Imagine Communications et par un logiciel développé lors du POC, exploitant les API fournies par les constructeurs.

Au cœur du dispositif, se trouve un switch réseau Cisco de la gamme Nexus 9000 avec 48 ports recevant des modules SFP avec un débit de 1, 10 ou 25 Gb/s et six interfaces 40 ou 100 Gb/s compatibles QSFP28. Aja avait fourni deux modules de conversion HDMI <-> ST-2110, l’un en sortie d’une caméra JVC et le second pour afficher des signaux ST-2110 sur un écran JVC. Embrionix a mis à disposition deux modules de conversion SFP équipés l’un d’une double entrée SDI et l’autre en double sortie SDI, eux aussi raccordés à des caméras et à des écrans, Sony et JVC en l’occurrence.

La fonction de playout était assurée par un serveur Harmonic Spectrum X. En plus de l’orchestrateur Magellan déjà cité, Imagine Communications avait fourni un module de monitoring multiviewer Epic, ainsi qu’un processeur de conversion et de traitement vidéo Selenio Network Processeur. Il permet de traiter 32 entrées et 32 sorties HD-SDI depuis et vers du ST-2110 sur un port 100 Gb/s. Sony était également présent avec une caméra HDC-3100 équipée d’une sortie IP ST-2110 et un mélangeur XVS-8000 équipé full IP. Il récupérait des sources via ses interfaces IP et renvoyait un mixage vidéo vers l’installation.

Une passerelle Nevion Virtuoso était affectée à la conversion de la sortie SDI du mélangeur NewTek, mais servait aussi à du monitoring. Un châssis Micron MediorNet de Riedel récupère quatre flux IP via son interface ST-2110, effectue du clean switch et extrait un contenu audio renvoyé vers le PowerCore Audio de Lawo. Malgré ses multiples possibilités de traitement et de conversion audio, ce dernier avait surtout pour fonction d’extraire des signaux audio depuis des flux IP et de les convertir en analogique vers une enceinte amplifiée.

En plus d’un mélangeur TC-1 et d’un TriCaster, NewTek était également présent avec sa passerelle NC1 I/O IP. Avec le NDI, ce constructeur développe son propre protocole vidéo sur IP, basé sur des principes techniques totalement différents de ceux du ST-2110. Mais grâce à cette passerelle les signaux ST-2110 du POC étaient renvoyés vers les mélangeurs NewTek et en retour la sortie mixée repartait vers les équipements du POC. Une première technologique en Europe qui montre avec quelle facilité le passage d’un environnement à l’autre se fait de manière transparente.

Tektronix jouait un rôle central dans la mise en œuvre de ce POC en fournissant un générateur de référence PTP SPG8000A et un outil de mesure Prism pour l’analyse des signaux.

 

Une gestion des workflows totalement inédite

L’ensemble de ces équipements ST-2110 a été déployé en sept jours dans l’espace de formation de Videlio à Gennevilliers sous la coordination de Pascal Souclier et d’Emanuele Di Mauro (respectivement directeur et responsable de projet à l’IIFA) et de Marc Deshayes, directeur technique de l’ingénierie système et Jean Felix Luigi, chef de projet chez Videlio.

L’objectif des organisateurs était de parvenir à configurer six workflows simples et opérationnels correspondant à des configurations de travail habituelles dans les chaînes TV : sélection et contrôle d’une source vers un écran, sélection d’un process vidéo IP vers IP, clean switch entre plusieurs sources (dont une non adressable directement), playout avec habillage et commutation sur une source live, gestion séparée de chaque flux audio et contrôle d’une sélection de sources via une API.

Lors de la présentation des résultats de ce POC, Emanuele Di Mauro est revenu sur quelques éléments essentiels concernant le déploiement d’une infrastructure tout IP : « Dans une installation tout IP, on est un peu démuni car on ne voit pas directement son workflow. En SDI, chaque matériel est équipé d’entrées et de sorties, câblées successivement. On voit physiquement son workflow et c’est très rassurant. Dans une architecture tout IP, tous les équipements sont reliés en étoile sur le switch central (ou dans une topologie arborescente de type Spine Leaf) grâce à des liaisons IP fonctionnant de manière bidirectionnelle. Avec la même infrastructure on peut passer d’un workflow à l’autre sans rien modifier au niveau câblage. Ça donne beaucoup plus de souplesse car on passe alors à une gestion dynamique des workflows. Mais il faut alors un autre outil : l’orchestrateur. »

L’orchestrateur peut fonctionner de deux manières. Soit il contrôle directement les équipements réseau pour aiguiller les paquets entre la source et la destination, soit il pilote les équipements de destination. Dans ce cas, les sources de contenus transmettent des flux émis en mode multicast, et c’est l’orchestrateur qui indique aux destinations sur quels flux elles doivent se connecter.

Dans le premier cas, on utilise des outils de type SDN (Software Defined Network) qui virtualisent les couches réseaux et transforment les switchs réseaux en sorte de gare de triage. Cette approche a l’inconvénient de dépendre de la couche de messagerie utilisée par les switchs. Pour ce POC, la méthode de contrôle des destinations a été choisie, en cohérence avec la tendance actuelle qui privilégie le contrôle des flux au niveau applicatif, en lien avec le standard NMOS. Ce dernier va probablement s’imposer, mais il n’est pas encore totalement implanté et confirmé.

Pour la mise en place du POC, ses responsables ont alors choisi de piloter les équipements grâce au protocole Ember +, créé à l’initiative de Lawo, et choisi par de nombreux constructeurs broadcast. Il offre une structure similaire à celui du SNMP avec des branches de paramètres imbriquées.

L’orchestrateur Magellan d’Imagine Communications contrôlait de manière directe les équipements de ce constructeur (le multiviewer Epic et le processeur Selenio), puis grâce à Ember + les modules SFP d’Embrionix et les convertisseurs AJA. Pour l’outil de mesure Prism de Tektronix, Imagine Communications avait déjà développé un « connecteur » logiciel approprié.

Pour d’autres matériels comme le serveur Spectrum X d’Harmonic ou l’interface audio Lawo, une technique particulière a été adoptée : au lieu de contrôler directement ces destinations par l’orchestrateur Magellan, ce dernier envoyait les commandes via un dispositif central de conversion IP <-> IP, le processeur Selenio qui faisait office de passerelle NAT Multicast.

 

Le rôle essentiel du protocole PTP

Comme dans les architectures de type SDI, l’intersynchronisation des sources est un élément essentiel pour assurer une commutation propre entre les sources d’images. Dans une infrastructure IP, celle-ci est obtenue grâce au protocole PTP (Precision Time Protocol), issu de la norme IEEE-1588, adaptée à la vidéo dans le cadre du ST-2059 et maintenant intégré dans la ST-2110-10. Le signal de référence temporelle est fourni par un équipement « maître » sur lequel tous les autres équipements vont se synchroniser en mode slave.

Dans le cas du POC, le signal de référence était fourni par le générateur Tektronix SPG8000A, renvoyé ensuite vers le switch Cisco et redistribué à tous les équipements qui y sont connectés. L’outil d’analyse Prism de Tektronix est un élément indispensable pour contrôler l’intersynchronisation des signaux entre eux. Le protocole PTP tient compte des temps de propagation aller et retour des signaux sur les liens IP. Lors du POC, il a fallu ajuster la durée de certains tampons pour tenir compte de disparités de latence entre les matériels de divers constructeurs.

La qualité et les performances des modules SFP sont aussi des éléments fondamentaux dans l’exploitation d’un système de production tout IP. Cisco fournit des modèles en conformité avec les spécifications de ces actifs réseaux. Mais il existe de nombreuses autres sources d’approvisionnement plus économiques. Lors du POC, les équipes techniques ont constaté des écarts importants de performances selon leur origine avec parfois des incidences sur les signaux, pas évidentes à diagnostiquer. L’outil d’analyse Prism s’est révélé être d’un grand secours pour détecter l’origine de ces dysfonctionnements.

Plusieurs fois, une manipulation sur un équipement ou même un simple déplacement de câble provoquait une perte d’images ou de signaux, qu’intuitivement il semblait facile à corriger alors qu’en réalité les analyses et les mesures du Prism permettaient d’en déceler la cause sur un autre équipement. Le surcoût engendré par les modules SFP performants et fiables est également un paramètre à prendre en compte dans la mise en place d’un système tout IP.

 

Une grille de commutation fonctionnelle grâce à une API programmée sur place

La plupart des équipements et des applicatifs sont fournis avec des API afin de les piloter par des systèmes externes. Dans le cadre du POC, Emanuele Di Mauro a développé à titre expérimental une interface web tactile pilotant les modules Embrionix de manière à les exploiter dans une configuration de grille de commutation. Ce module de contrôle a été développé en cinq heures en PHP-MySQL. Il démontre ainsi que dans une équipe technique en charge d’un système de production IP, il est fort utile qu’au moins l’un de ses membres possède des compétences en développement pour gérer des API pour des besoins spécifiques et remédier aux limitations des outils de pilotage ou de l’orchestrateur mis en place.

Au cours de la présentation qui a conclu la semaine de tests du POC, Emanuele Di Mauro est revenu sur plusieurs points essentiels à prendre en compte lors du déploiement d’une architecture de production tout IP.

« La mise en place d’un réseau IP pour traiter des flux audiovisuels ne s’improvise pas et exige de solides compétences IT dans l’équipe d’intégration. Les actifs réseau se configurent grâce à de multiples lignes de commande avec lesquelles il est indispensable d’être à l’aise », explique-t-il.

Le POC était organisé autour d’un seul switch réseau, mais pour un vrai système de production, plusieurs switchs seront associés dans des architectures redondantes et complexes comme celle des « Spine Leaf ». Il faut également maîtriser toutes les subtilités de l’adressage multicast et être très rigoureux dans le plan d’adressage des machines.

 

Associer des compétences réseau et métier

Les équipes techniques ont dû faire face également à des difficultés d’accès aux manuels et documentations techniques des matériels. Elles sont soit incomplètes ou pas tenues à jour par rapport aux évolutions des « firmwares ». Plusieurs fois, ils ont dû se faire confirmer des informations techniques via des échanges directs avec les supports techniques des constructeurs.

Encore plus surprenant, certains matériels ont été fournis dans des configurations ou avec des versions logicielles ne correspondant pas à ce qui était annoncé. L’analyseur Prism a été d’un grand secours pour détecter immédiatement les caractéristiques réelles du signal fourni. Ainsi, par exemple, un équipement était annoncé ST-2110 alors que les signaux fournis étaient en 2022-6.

Mais pour Emanuele Di Mauro, « Le plus gros challenge lors du déploiement d’un système de production tout IP se situe au niveau de la constitution de l’équipe technique. Trois pôles de compétences doivent être réunis. Bien sûr un chef de projet avec une vraie expérience métier du broadcast, et au même niveau, un second responsable avec une véritable vision IT de l’installation et en complément un ou plusieurs développeurs selon la taille du projet. Ces derniers prendront en charge la conception des IHM pour piloter et centraliser l’interface utilisateur avec les API fournies par les équipements. »

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, dans le cadre de notre dossier « Les nouvelles architectures des chaînes de télévision », p.50/52. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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